L’ impossible  » réhabilitation « 

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le plus controversé des souverains belges sent toujours le soufre. Une entrevue avec Hitler, un remariage en pleine guerre : lourd passif. Dédouaner Léopold III est une cause perdue d’avance. Sa veuve Lilian de Rhéty s’y est égarée.

(1)Léopold III, M. Dumoulin, M. Van den Wijngaert, V. Dujardin, éd. Complexe, 2001

Laurent de Belgique, Fabiola, dotations princières, prises de position royales : les Saxe-Cobourg ont été bien secoués. Remuer le passé de Léopold III ne ferait que charger un peu plus la barque royale.

Gare : le feu couve toujours sous la cendre. Il suffirait de souffler sur la braise pour enflammer la polémique. Près de trente ans après son décès, le personnage sent toujours le soufre.

Son passif reste lourd, intact. Une rupture avec le gouvernement belge qui choisit l’exil à Londres pour poursuivre la lutte contre l’Allemagne nazie. Une entrevue avec Adolf Hitler à Berchtesgaden, en novembre 1940. Une attitude éminemment ambiguë à l’égard de la cause des Alliés. Last but not least : un remariage en pleine guerre avec Lilian Baels, qui ancre à jamais l’image du  » prisonnier de guerre dans une cage dorée « .

Tache indélébile sur la réputation royale. Dans les années 1970,  » parmi les principaux griefs articulés contre le roi, la mémoire collective plaçait en tête de liste le mariage de 1941 et la personnalité de la princesse de Réthy opposée à l’icône de la reine Astrid  » (1). Les Belges peuvent avoir la dent dure. A tort ou à raison.  » Léopold III doit expier des fautes. Réelles sans doute, mais, aussi, imaginaires.  »

 » Léopold III reste le talon d’Achille de la monarchie « , confie un ancien familier du roi et de sa seconde épouse. Rappeler le souverain à la barre, serait s’exposer à une réaction en chaîne. Même Albert Ier, statufié dans la galerie de nos rois, pourrait en souffrir.

Après tout, le père de Léopold III partageait avec son fils une piètre estime de la classe politique :  » Albert dénigre régulièrement les ministres et les politiciens. Il fustige la faiblesse du gouvernement et la nullité, à ses yeux du moins, des ministres  » (1). Tenter de relever Léopold III, c’est risquer de rabaisser le roi chevalier.

Moins on reparle du roi des Belges le plus controversé de l’Histoire, mieux ça vaut. Le Palais royal serait le dernier à pousser à un retour en grâce. A l’ouverture d’un hypothétique procès en réhabilitation.

Réhabilitation ? Le terme fait sursauter les historiens les mieux au fait du passé de Léopold III. Francis Balace, historien (ULg), tue l’idée dans l’oeuf :  » On ne saurait réhabiliter quelqu’un qui n’a jamais été condamné. Même les adversaires de Léopold III, le socialiste Paul-Henri Spaak en tête, l’ont reconnu : le roi avait agi en toute bonne foi.  »

Herman Van Goethem balaie aussi sec le sens d’une telle démarche. En 1162 pages, l’historien et son confrère Jan Velaers ont, mieux que personne à ce jour, cerné le personnage. Toute tentative d’en adoucir le profil serait vaine.  » Léopold III était un homme d’Ordre nouveau. Il préparait le futur dans la perspective d’une victoire allemande. Il était prêt à envisager de faire allégeance au Führer. Léopold III est quelqu’un qui s’est fondamentalement trompé.  »

Jugement sans appel. Fort peu susceptible d’être révisé. L’homme n’a pourtant pas livré tous ses secrets. Léopold III garde une part d’ombre. Enfouie dans ses archives personnelles et ses papiers privés conservés au domaine d’Argenteuil. Puis transmis pour l’essentiel au Palais royal, après les décès du roi en septembre 1983 puis de la princesse Lilian en 2002.

 » Un lot d’archives a fait difficulté lors de la répartition : en dépit du souhait du Palais royal de la récupérer, la correspondance privée adressée par le roi Baudouin à sa belle-mère, la princesse Lilian, a été reprise par la princesse Esmeralda « , explique Michel Verwilghen, ex-administrateur-délégué de l’ASBL  » Princesse Lilian – Roi Léopold III « . Secrets les plus intimes de la famille royale, petits ou grands, maintenus hors de portée des regards.

 » L’attachement de Baudouin à la princesse Lilian était éclatant. Pour sa part, Lilian de Rhéty usait et abusait de son influence pour que Léopold III reste dans le jeu après son abdication « , reprend notre familier du couple disparu.

Cherchez la femme. C’est à sa veuve que Léopold III doit la dernière tentative de réhabilitation. Aussi retentissante que maladroite. Eté 2001 : Pour l’Histoire sort de presse. L’ouvrage fait l’effet d’une bombe : feu Léopold III assène ses vérités  » sur quelques épisodes de son règne « .  » Témoignage exceptionnel, dans l’état exact où l’auteur le laissa à son décès « , assure l’éditeur Racine.

Un succès de librairie phénoménal : 35 000 exemplaires écoulés en trois jours. En réalité, il l’est au prix de graves entorses aux principes les plus élémentaires de la rigueur historique.  » Le texte publié pose d’immenses problèmes de critique historique. Il n’est pas de la main même de Léopold III, il a été travaillé par d’autres personnes. Les documents publiés en annexe n’ont pas été sélectionnés par le roi « , observe l’historien Vincent Dujardin (UCL).

La veuve du roi ne s’est pas arrêtée à ces scrupules d’historien. Aveuglée par sa passion :  » Elle vivait dans un tel désir de réhabiliter Léopold III qu’elle était dans le déni complet et l’analyse passionnelle. Alors que le roi avait tourné la page, elle n’a jamais digéré d’avoir perdu son statut de quasi reine « , assure un proche de la princesse.

Lilian de Rhéty, le plus sûr obstacle à un Léopold III revisité. Parfaite intrigante à l’influence néfaste, ambitieuse avide de pouvoir : le portrait ravageur de la seconde épouse du roi n’a guère pris de rides dans l’imaginaire des Belges. La femme par qui le scandale est arrivé garde sa réputation d' » ange noir « .

Elle n’a pas servi la cause de Léopold III. Pour l’Histoire conforte le roi dans une posture de vrai  » psycho-rigide « , dixit Francis Balace. Enfermé dans ses certitudes et sûr de son bon droit, incapable d’oublier et de pardonner.  » Ni collabo ni résistant, Léopold III était un personnage entre deux. Sans finalement savoir très bien quoi « , reprend l’historien liégeois.

Rendez-vous manqué, en 2001. Il n’a fait que rallumer une guerre d’ouvrages entre partisans et détracteurs du souverain. Léopold III n’y a rien gagné. Sauf la confirmation de l’extraordinaire pouvoir de fascination qu’il exerçait encore sur les Belges, à l’entrée du XXIe siècle.

Que reste-t-il, aujourd’hui, de cet attrait ? La flamme du souvenir vacille, faute d’être entretenue.

La présence de Léopold III est assurée dans les manuels scolaires francophones. Son évocation est nettement plus douteuse au cours d’Histoire.  » Les deux collections en usage dans les écoles de la Communauté française consacrent chacune quatre pages à la question royale « , explique Jean-Louis Jadoulle, professeur de didactique de l’Histoire à l’Université de Liège et co-directeur des deux publications.  » Mais des pratiques, on n’en sait rien. La figure de Léopold III n’est, explicitement, pas au programme de l’enseignement officiel et libre.  »

Les jeunes générations en perdent la mémoire.  » La Question royale n’évoque, plus chez des étudiants, la fin du règne de Léopold III, mais la minicrise royale de 1990 causée par le refus du roi Baudouin de signer la loi sur l’avortement « , relève Vincent Dujardin.

Trop vague pour ramener à la surface Léopold III. L’aurait-il d’ailleurs souhaité ? Francis Balace croit pouvoir répondre à sa place :  » Léopold III estimait ne pas devoir être réhabilité, puisqu’il estimait ne pas avoir failli.  »

PIERRE HAVAUX

 » Léopold III estimait ne pas devoir être réhabilité : il estimait ne pas avoir failli  »

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