L’impossible entente?

Rien ne semble plus fonctionner entre socialistes et libéraux francophones. L’affaire Donfut et les insultes qui ont suivi glacent leurs relations. Définitivement ? Le nom de l’ancien ministre Louis Michel (MR) revient dans toutes les conversations, off the record. Avec lui, négociateur en chef, et, à toutes fins utiles, candidat à la direction du gouvernement wallon, tous les scénarios resteraient crédibles.

Quelle mouche a donc piqué Laurette Onkelinx ? La virulence de sa sortie a surpris tout le monde. Quoique le torchon brûle : après les révélations sur le business lucratif de Didier Donfut, la série d’invectives entre socialistes et libéraux, Didier Reynders osait cette petite phrase assassine, lancée samedi dernier :  » Certains membres de l’appareil du PS sont devenus infréquentables.  » Vice-Première ministre fédérale, Laurette Onkelinx n’était pas visée. Elle aurait pu laisser dire. Mais elle a réagi de façon beaucoup plus radicale en lançant, dans Le Soir, un ultimatum au MR :  » Il faut d’urgence une clarification.  » Sinon ?  » Je ne resterai pas une seconde de plus au gouvernement fédéral.  » Seulement voilà, la  » clarification  » attendue – ou, plutôt, exigée – ne vient pas. Didier Reynders a même enfoncé le clou, le lundi 18 mai :  » Je n’ai pas un mot à modifier à ce qui a été dit.  »

L’attitude de Laurette Onkelinx relève-t-elle d’un positionnement interne au parti socialiste ? Possible. En prenant la défense des valeurs socialistes, que Didier Reynders aurait traînées dans la boue, la Schaerbeekoise réagit en… présidente de parti. Elle renforce ainsi sa crédibilité comme successeur possible d’Elio Di Rupo, et marque des points vis-à-vis de Rudy Demotte, autre candidat supposé à la direction du PS. Mais l’analyse a ses limites. D’abord, parce que la colère de Laurette Onkelinx ne semblait pas feinte. Ensuite, parce que le départ d’Elio Di Rupo n’est pas (encore ?) à l’ordre du jour. Celui-ci assure vouloir terminer son mandat, qui prendra fin en 2011. Et envisage même de se représenter à sa succession. Voilà pour la version officielle. En réalité, l’homme qui préside le parti depuis dix ans sortira forcément affaibli d’une éventuelle (nouvelle) bérézina socialiste le 7 juin.  » Cette fois, il ne pourra pas dire que c’est la faute aux « parvenus » de Charleroi, observe un parlementaire. L’affaire Donfut a éclaté sous son nez, dans l’arrondissement de Mons-Borinage. « 

Le message de Laurette Onkelinx pourrait aussi se comprendre dans une logique de moyen terme. La figure de proue du PS au gouvernement Van Rompuy laisse-t-elle entendre que son parti quitterait l’embarcation fédérale, s’il devait être écarté du pouvoir régional et communautaire ? Onkelinx sait que la future réforme de l’Etat, annoncée depuis longtemps mais pas encore mise en chantier, nécessitera une large majorité à la Chambre. Elle sait que les socialistes francophones sont au moins appréciés pour ça, de l’autre côté de la frontière linguistique : ils sont un partenaire de réforme crédible. Décodé, le message de Laurette Onkelinx… à Reynders et consorts serait le suivant : ah, nous sommes infréquentables ? Dès lors, ne comptez plus sur nous pour jouer les sauveurs de la Nation et maintenir en vie le gouvernement fédéral.

Effet de ricochet sur le gouvernement fédéral. Dans pareil contexte, il est impossible que Van Rompuy Ier sorte indemne de toutes ces secousses. Quasiment en affaires courantes en raison des élections, le gouvernement fédéral se retrouve à la merci des querelles de bas étage autant que du verdict des urnes. Sur fond de regain de tension communautaire, le cap de l’après-7 juin risque d’être aussi périlleux à surmonter. Voire fatal.

La bataille de Wallonie, cruciale et indécise

On l’oublierait presque : le désaccord entre Laurette Onkelinx et Didier Reynders est aussi de nature idéologique. La vice-Première défend un socialisme plus  » pur « , plus à gauche qu’Elio Di Rupo ou Rudy Demotte. C’est elle, déjà, qui avait qualifié de  » contre nature  » l’alliance libérale/socialiste sous l’ère du Premier ministre Guy Verhofstadt. Dans sa dernière interview au Soir, elle lance un appel solennel aux syndicats :  » Le PS n’a-t-il pas été le pilier le plus fort pour soutenir les droits des travailleurs, défendre la sécurité sociale ?  » La question s’adresse aux camarades de la FGTB, bien sûr, mais aussi à la CSC et aux mutualités chrétiennes. Autrement dit : Laurette Onkelinx tente de ramener le débat politique sur un axe gauche-droite. Or la droite, en Belgique francophone, se résume grosso modo au MR. Cette même droite que ciblait Philippe Moureaux dans les colonnes du Vif/L’Express, la semaine passée. En un mot, les déclarations d’Onkelinx et Moureaux favoriseraient avant tout l’émergence, en Wallonie et à Bruxelles, d’une coalition de centre-gauche, rassemblant PS, CDH et Ecolo.

Cela signifie-t-il qu’un gouvernement wallon PS-MR (avec ou sans les verts) soit définitivement exclu ?  » En politique, tout est toujours possible, réagit un parlementaire libéral. Mais cela me semble très, très, très difficile. Extrêmement difficile. Après ce qu’a dit Reynders, il y a des limites qui ont été franchies. Notre relation avec les socialistes n’était déjà pas bonne avant les élections de 2007, mais depuis lors, cela s’est encore dégradé à tous les étages.  » Un autre élu MR complète :  » L’affaire Donfut a allumé une guerre que personne n’arrive à calmer. Personne ne sait comment ça va se terminer. Personne.  » Dans les milieux laïques, l’hypothèse d’une coalition PS-MR garde ses supporters. Malgré les  » affaires « , malgré tout. Sera-ce suffisant ?

Du côté du CDH, plusieurs mandataires estiment également que le scénario d’un gouvernement wallon PS-MR reste possible, quoique peu probable.  » Cela arrange bien le PS de changer de partenaire après chaque élection, indique un élu. Les chefs de cabinet CDH ont mis des mois avant de comprendre comment ça marchait. Maintenant, nous sommes rodés au pouvoir. Raison de plus pour nous envoyer dans l’opposition. « 

Plus que jamais, le choix des électeurs, le 7 juin, déterminera la suite des événements. Si le PS baisse, mais se maintient tout juste au-dessus du MR, il garde la main. Par contre, si le MR bat le PS, alors le centre de gravité politique de la Wallonie bascule.

Le lobbying discret de Louis Michel. Un scénario circule avec insistance au MR, où l’affaire Fortis a ébranlé Didier Reynders et son entourage : miser sur l’arrivée de Louis Michel à la tête du gouvernement wallon. Commissaire européen depuis 2004, Michel père est resté très populaire en Wallonie, où il possède des racines profondes. Il ne cache pas son désir de revenir en politique nationale… ou régionale. Il l’a dit publiquement la semaine passée : le grand homme se verrait bien à l’Elysette, siège du gouvernement sudiste.

Déjà, en 2007, il avait sollicité un congé auprès de la Commission européenne pour s’investir dans la campagne électorale. En fond de liste au Sénat, il avait obtenu le score monstre de 232 000 voix. Tête de liste MR aux européennes, cette fois, il pourrait réaliser un autre  » carton « , lui qui a été très peu exposé à la critique, ces cinq dernières années, plutôt mouvementées pour les autres. Quel sera dès lors son influence ?  » Il va essayer de jouer tous les rôles possibles et imaginables, répond une pointure libérale. Il veut surtout être à la man£uvre, après le 7 juin. A tort ou à raison, il est convaincu que le MR a plus de chances d’accéder au pouvoir régional si c’est lui qui négocie, plutôt que Reynders.  » Il est vrai que la personnalité de Reynders paraît indigeste aux yeux de l’aile gauche du CDH et des proches de Joëlle Milquet. Louis Michel – et lui seul ? – semble capable de réussir l’exploit : rabibocher en deux ou trois semaines le MR et le CDH. Cela dit, avec le PS, c’est pareil ! Reynders y est à présent détesté. Louis Michel, par contre, reste le symbole du libéralisme social, respecté par les troupes socialistes. Les choses sont moins claires avec Ecolo. Louis Michel avait jadis qualifié les verts de  » nuisibles « . Certains ne l’ont pas oublié.

Le CDH arrimé au PS ? Les relations entre Milquet et Di Rupo sont objectivement bonnes, meilleures en tout cas qu’avec Reynders. Les militants humanistes gardent en travers de la gorge l’attitude de Reynders, son mépris pour le CDH. Les douloureuses négociations pour la formation d’un gouvernement  » orange bleu  » ont laissé des traces. Incroyable mais vrai : depuis cet échec, aucun membre de la garde rapprochée du président Reynders n’aurait tenté la moindre man£uvre de rapprochement avec l’équipe Milquet. Mais l’aversion pour Didier Reynders ne suffira peut-être pas à maintenir le CDH dans les bras des socialistes. En Wallonie, de nombreux élus CDH commencent à être exaspérés par les  » affaires  » qui éclaboussent le PS à intervalles réguliers, et par l’attitude hautaine que conservent plusieurs mandataires socialistes à l’égard des  » cathos « . Un député CDH :  » Si la direction du parti veut reconduire l’alliance avec le PS, le débat interne promet d’être animé. Je pense qu’on sera un certain nombre de parlementaires à dire : nous, on ne veut pas y aller !  » D’autres sont du même avis : à force d’apparaître lié au PS, le CDH va finir par se tirer une balle dans le pied et être emporté lui aussi.

Le dilemme d’Ecolo. Les militants écologistes les plus marqués à gauche refuseraient d’entendre parler d’une quelconque alliance avec le MR. Soutenir un gouvernement  » de droite  » ? Pas question. D’autres, éc£urés par la toute-puissance socialiste et encore sonnés par l’amère expérience du gouvernement arc-en-ciel, sont plus mitigés. Le président du MR s’entend bien avec les écolos liégeois, Jean-Michel Javaux et Jacky Morael. En Cité ardente, où Didier Reynders est conseiller communal, Ecolo et MR siègent ensemble dans l’opposition, face à une majorité PS-CDH. Cela crée des liens… Autre exemple emblématique : Namur, la capitale wallonne, dirigée par une majorité CDH-Ecolo-MR.  » On respire mieux depuis que le PS est dans l’opposition « , confiait l’échevin Ecolo Arnaud Gavroy, après le  » coup  » de 2006. Autre laboratoire : le Brabant wallon. La province est gérée par une majorité MR-Ecolo, voulue par Charles Michel. Pas impossible que le c£ur des verts ne penche à droite.

François Brabant, Philippe Engels et Pierre Havaux

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