Franklin Dehousse

L’impeachment de Trump, un débat européen essentiel

V u d’Europe, le procès en destitution de Trump paraît un débat secondaire. A tort. Les enjeux sont en effet considérables pour les Européens. Premièrement, à la différence des procédures précédentes (Johnson, Nixon, Clinton), celle-ci concerne directement la politique étrangère. Or, l’Europe demeure la plus importante alliée planétaire des Etats-Unis. Deuxièmement, l’ impeachment met en jeu l’Ukraine, pays d’intérêt majeur pour l’Europe. Troisièmement, ce qu’on appelle  » l’Ukrainegate  » révèle une corruption générale profonde de la diplomatie américaine (menée, par-dessus le marché, par le représentant américain auprès de l’Union européenne). Trump accomplit ainsi des manoeuvres occultes avec des intermédiaires louches, menace ses propres ambassadeurs et met ses alliés en danger s’ils ne se prêtent pas à des arnaques judiciaires destinées à servir ses visées électorales personnelles.

Chaque dégénérescence de la démocratie américaine blesse l’Europe.

Il y a déjà eu nombre de moments honteux dans l’histoire américaine. John Fitzgerald Kennedy entretenait ainsi une connexion avec Sam Giancana, gangster notoire (liant l’utile à l’agréable, il partageait même avec lui une maîtresse qui acheminait de temps à autre d’épaisses enveloppes d’argent noir). L’administration Bush Junior a sans cesse menti aux médias, au Congrès et au monde pour justifier ses manoeuvres catastrophiques en Irak. Mais jamais on n’a eu l’impression comme maintenant que la Maison-Blanche était devenue le repaire d’une nouvelle bande criminelle. A chaque livre et témoignage, on découvre combien mensonges, chantages, corruption et népotisme sont devenus endémiques. (Raison pour laquelle la récente visite conjointe du président du Conseil européen Charles Michel et du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell aux enfants Trump paraît d’un amateurisme sidérant.)

L’ impeachment vise à combattre de tels comportements. S’il échoue en dépit d’illégalités massives, cela ne peut qu’aggraver l’insécurité de l’Europe. L’Alliance atlantique se trouve déjà en danger. Son vrai problème tient non à Trump lui-même (un individu seul a une capacité limitée dans un système de séparation des pouvoirs aussi profond), mais à la multitude de ses soutiens au Congrès, dans les Etats fédérés et dans les médias. Ceux-ci ont davantage vocation à rester. La cassure de la Chambre et du Sénat, notamment, révèle des élus républicains beaucoup plus soucieux de défendre à n’importe quel prix leur siège plutôt que l’intérêt général du pays… et encore moins de ses alliés.

Plus le système Trump se renforce, plus son défi s’avère existentiel pour l’Europe. Celle-ci est devenue trop dépendante des Etats-Unis sur le plan de la défense bien sûr, mais aussi de l’économie, du commerce ou de l’Internet. Une telle dépendance n’est tolérable qu’avec un niveau minimal de confiance, aujourd’hui disparu. Comment négocier des projets militaires alors que le président américain se répand en révélations (la moitié du temps fausses) sur Twitter ? Comment confier des informations d’espionnage sensibles quand il va les étaler à ses amis dictateurs, ou même ses visiteurs d’un moment ? Comment conclure des accords commerciaux remis en cause du jour au lendemain pour des motifs sidérants ?

Chaque dégénérescence de la démocratie américaine blesse l’Europe. Si l’ impeachment échoue, et encore plus si Trump est réélu, les dirigeants européens devront revoir leur sécurité de façon fondamentale. Comme souvent, ils ont peu envie de contempler la réalité.

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