L’imbroglio du Proche-Orient (2)

Seize mois de soulèvement palestinien et de répression israélienne ont plongé le Proche-Orient dans une situation qui paraît inextricable. Plus encore que le bilan humain, moral et matériel de cette guerre larvée, ce qui est effrayant, c’est que l’on n’aperçoit aucune perspective d’amélioration dans un avenir prévisible, comme s’il n’existait pas d’issue de secours pour s’extraire de l’incendie.

Ce serait pourtant le moment de poser un constat simple et d’en tirer une conclusion de bon sens: puisque les Israéliens et les Palestiniens ont montré à suffisance qu’ils ne s’en sortiraient pas tout seuls, il faut les aider à retrouver le chemin de la raison. Une nouvelle initiative internationale devrait être lancée pour éviter que les deux peuples, déjà radicalisés à l’extrême, ne s’emprisonnent pour plusieurs générations dans une guerre susceptible de s’étendre au-delà du cadre strictement régional. Hélas, la notion même de communauté internationale est, aujourd’hui, singulièrement privée de substance en raison du manque de volonté politique d’agir ensemble, de façon concertée.

Qui a son mot à dire, qui peut contribuer à l’instauration de la paix au Proche-Orient, en dehors des deux parties directement concernées? Les Etats-Unis, bien sûr, comme première puissance mondiale et principal allié d’Israël. L’Europe, comme grand ensemble géopolitique en formation, est nécessaire pour sa connaissance du dossier et, surtout, pour sa volonté d’équilibre dans la résolution du conflit. Enfin, l’environnement arabe ne peut être tenu à l’écart. On pense particulièrement à l’Egypte et à la Jordanie: ces voisins immédiats ont signé la paix avec Israël mais leurs populations sont solidaires des Palestiniens. Ils ont donc un intérêt vital à l’extinction du brasier.

Mais aucun de ces « partenaires naturels » du Proche-Orient n’agit, pour le moment, avec suffisamment de clarté et de détermination.

Tout à leur « guerre antiterrroriste » depuis les attentats du 11 septembre, les Etats-Unis développent une attitude fortement unilatéraliste, qui ne les porte pas à la concertation internationale. Ces dernières semaines, ils ont multiplié les signes d’un alignement de plus en plus strict sur les positions d’Israël. C’est fort de ces liens renforcés qu’Ariel Sharon s’est envolé pour Washington, cette semaine, avec l’intention de demander à George W. Bush de couper tout lien avec Yasser Arafat. Mais, au même moment, William Burns, secrétaire d’Etat américain chargé du Proche-Orient, proclamait au Caire sa volonté de coopérer avec l’Autorité palestinienne. Ces signaux contradictoires ne contribuent pas à la lisibilité de la diplomatie américaine.

Au-delà des sensibilités diverses de ses membres, l’Union européenne (UE) s’efforce de pratiquer une politique d’équidistance entre Palestiniens et Israéliens. C’est précisément la raison pour laquelle ces derniers se méfient des Européens, et préfèrent les maintenir à l’écart du dossier. Consciente de cette méfiance, l’UE multiplie les précautions pour ne pas heurter Jérusalem. Au cours des derniers mois, les Quinze se sont contentés, pour l’essentiel, de demander aux deux parties de « faire des efforts », ce qui apparaît en décalage flagrant avec la détérioration de la situation sur le terrain. De telles contorsions ne sont évidemment pas propices au lancement d’une initiative diplomatique audacieuse. Mais elles sont peut-être indispensables pour que l’Europe puisse rester, aux yeux des deux protagonistes, une interlocutrice acceptable et un recours possible si la situation s’agravait encore.

Dans ce ciel plombé, il y a pourtant quelques éclaircies. Rien de décisif, pas encore de courant puissant, mais des initiatives courageuses et lucides montrant que tous les liens ne sont pas rompus entre Israéliens et Palestiniens, entre juifs et Arabes. De part et d’autre, il existe encore un « camp de la paix ». C’est dans ce cadre que vient d’être créé un Observatoire européen pour la paix au Proche-Orient qui a organisé, cette semaine à Bruxelles, deux jours de rencontre et de conférences avec le ministre palestinien Yasser Abed Rabbo et l’ancien ministre israélien Yossi Beilin, artisan des accords d’Oslo. A Jérusalem, le président du Parlement israélien, Avraham Burg, a annoncé sa volonté de se rendre à Ramallah (Cisjordanie) pour s’exprimer devant le Conseil national palestinien, malgré le tollé que son initiative soulève dans les milieux dirigeants de l’Etat hébreu. En Israël encore, Ami Ayalon, ancien dirigeant du Shin Beth (les services de sécurité intérieure) a dénoncé l’occupation des territoires palestiniens, recommandé le démantèlement des colonies et rappelé qu' »on ne liquide pas une idéologie en liquidant les hommes ». En Israël toujours, et c’est le plus important, on assiste à une perplexité grandissante au sein des forces armées. Tout récemment, une cinquantaine de militaires de réserve ont fait savoir qu’ils refuseraient, à l’avenir, de participer à des opérations militaires en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ils précisent qu’ils sont pleinement disponibles pour assurer la défense d’Israël dans le cadre de ses frontières internationalement reconnues. Mais ils accompagnent leur « déclaration d’insoumission » d’une condamnation très ferme de la politique menée en Palestine occupée. Leur initiative suscite, très naturellement, hostilité et embarras dans les milieux dirigeants. Mais elle rencontre un écho croissant parmi les officiers et soldats, de plus en plus nombreux à être saisis par le doute. Il n’est pas certain que le mouvement de ces militaires rebelles préfigure une évolution en profondeur de la société israélienne. Mais, quand tout paraît sombre, la moindre source de lumière donne l’envie d’espérer.

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