L’image de la justice

L’avis de Thierry Marchandise, un  » vieux sage  » du monde judiciaire, sur l’opération Calice et sur ses conséquences est nuancé. Mais ferme.

Thierry Marchandise, juge de paix, ancien procureur du roi de Charleroi et président (sortant) de l’Association syndicale des magistrats, met rarement sa langue en poche.

Le Vif/L’Express : Que pensez-vous du micmac autour de l’opération Calice, de son ampleur, de sa médiatisation et des  » premières  » judiciaires comme l’intervention précoce du parquet général et de la chambre des mises en accusation de Bruxelles et le mutisme du juge d’instruction ?

Thierry Marchandise : J’ai lu que des juristes s’étonnent que, cette fois, on ait fait ce que le code prévoit alors qu’on ne l’avait pas fait pour des dossiers comme celui de la KB Lux ou ceux relatifs au terrorisme. C’est un argument intéressant mais, en même temps, ce n’est pas parce qu’on ne l’a pas fait dans le passé qu’on doit juger aujourd’hui de la même manière ce qui se passe. Il est très possible que le parquet général de Bruxelles ait été impressionné par la réaction des avocats des évêques, de l’Eglise, et qu’il joue le jeu du contrôle du juge d’instruction. Or tout le monde sait que, en Belgique, ce juge a un pouvoir énorme. Seule la chambre des mises en accusation peut vérifier qu’il est bien exercé. Sur le plan des principes, c’est en ordre. En revanche, je suis un peu mal à l’aise car on ignore comment cela a fonctionné. Si tout se terminait dans deux mois, cela pourrait me convenir. Mais on sait bien que les affaires pénales de ce type peuvent durer des années. Et il n’est pas possible que, dans cinq ans, on ne sache pas ce que la chambre des mises en accusation a décidé dans son arrêt.

Revenons à la médiatisation de l’opération…

Elle me met extrêmement mal à l’aise. On a l’impression que la presse a été prévenue de l’opération. Ce n’est pas correct.

Cela s’est vu fréquemment, dans le passé, dans d’autres grandes  » affaires « …

J’ai le même malaise. Des autorités soit judiciaires, soit de police ont donné des informations. Or, s’il faut considérer les membres de l’Eglise comme des citoyens ordinaires, il ne faut pas les frapper d’ostracisme en médiatisant un comportement dont on ne sait même pas, en l’attente de l’arrêt de la chambre des mises, si les perquisitions qui les concernent sont valides ou non.

Et ce choix du juge De Troy de ne pas communiquer ?

J’ai en tête les principes déontologiques. S’il a accepté de travailler dans cette instruction, c’est qu’il se sentait tout à fait libre de le faire, à charge et à décharge. Le capital confiance est intact. Mais deux possibilités existent. Soit son mutisme est dû au fait qu’il ne veut pas qu’on sache qu’il a été désavoué par la chambre des mises en accusation, soit il pense que l’intérêt de son instruction est qu’on ne dévoile pas cet arrêt, ce qui serait tout à son honneur. On ne peut dire à ce stade s’il a bien fait ou mal fait même si, d’entrée de jeu, plusieurs magistrats posaient la question de savoir si on n’y avait pas été au bazooka.

Etait-il normal de faire passer ces dossiers par la Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuel dans une relation pastorale, instaurée par l’Eglise et dite  » Adriaenssens « , du nom du pédopsychiatre qui la dirigeait, plutôt que par la justice ?

Le travail de cette commission était intéressant pour les faits anciens, où l’action judiciaire ne présentait plus d’intérêt pénal, même si ce n’était pas forcément le cas au niveau civil. Par contre, pour des faits éventuellement toujours en cours, la commission devait certainement adresser ces victimes à la justice.

Des influences philosophiques s’exercent-elles au quotidien, ou dans cette affaire particulière, au sein de la sphère judiciaire ?

J’imagine que les trois magistrats de la chambre des mises de Bruxelles n’étaient pas aux ordres de l’évêché. Jamais, en tout cas, je n’ai eu un coup de fil d’une autorité religieuse dans mon ancienne carrière de procureur du roi.

La confiance en la justice en prend-elle pour son grade ?

Le citoyen lambda et certains journalistes se posent manifestement des questions. Quant aux victimes, le silence en rajoute certainement à leur inquiétude. Ce n’est pas excellent.

ROLAND PLANCHAR

 » jamais, en tout cas, je n’ai eu un coup de fil d’une autorité religieuse « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire