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L’humain, ce capital

Philippe Maystadt
Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

Dans une chronique récente (NDLR : Le Vif/L’Express du 1er septembre), je m’interrogeais sur la stagnation de la productivité. J’y reviens car ce phénomène inquiète de plus en plus les économistes, si l’on en juge par le nombre de publications et de débats à ce sujet. En effet, l’amélioration de la productivité (le rapport entre la production et les unités de ressources nécessaires pour la produire) reste un des principaux déterminants de la croissance potentielle à long terme.

Certes, des esprits brillants dénoncent la  » mystique de la croissance « , pour reprendre le titre d’un ouvrage interpellant de la sociologue française Dominique Méda, une mystique qui nous empêcherait de bousculer nos schémas mentaux. Cette interpellation est légitime et je l’aborde avec un esprit ouvert, bien convaincu que le modèle des Trente Glorieuses n’est plus envisageable. Mais il me semble que le monde a besoin d’un minimum de croissance pour augmenter le bien-être du plus grand nombre, atténuer les difficultés de la vie par des systèmes performants de protection sociale et aussi réduire les inégalités. On l’a bien vu lors de la dernière crise : la récession, donc la décroissance, creuse les inégalités car les plus riches s’en tirent toujours mieux. Certes, on peut imaginer de les faire contribuer davantage au bien-être collectif, mais on sait combien ils ont la force de s’y opposer. Sans doute faudra-t-il pour cela une véritable révolution…

En attendant celle-ci, la croissance, certes modérée et certainement plus économe en énergie et en ressources naturelles, reste une condition du maintien du  » modèle social européen  » et la question demeure : comment relancer la productivité ? Compte tenu de l’état d’avancement de nos économies, ce ne peut être que par une politique de l’innovation. En évitant un malentendu : une politique de l’innovation n’est pas seulement une politique de soutien public à la recherche et au développement, même si celle-ci en constitue une composante majeure. Elle doit viser l’ensemble des activités liées à l’innovation, de la conception à la commercialisation, y compris l’innovation non technologique, notamment l’organisation du travail, l’éco-innovation et l’innovation sociale. Elle doit inclure des achats publics avant commercialisation ou le lancement de marchés pilotes et, surtout, la diffusion à grande échelle. Car l’amélioration de la productivité est aussi fonction de facteurs susceptibles de diffuser plus rapidement l’innovation : qualité du système éducatif et de formation professionnelle pour augmenter la proportion de travailleurs qualifiés capables d’exploiter au mieux le potentiel des nouvelles technologies, qualité des infrastructures publiques, soutien au capital risque, encouragement de l’entrepreneuriat, cadre légal permettant de lancer rapidement une nouvelle activité… Investir dans le potentiel humain est probablement le facteur clé pour permettre à terme une croissance moins atone et plus inclusive. Une étude récente de la Commission européenne montre une forte corrélation entre les résultats aux tests Pisa en mathématique et le niveau de productivité. Elle va jusqu’à conclure que réduire l’écart avec les Etats-Unis dans ces tests réduirait aussi l’écart de productivité (1). Car cela permettrait aux entreprises européennes de pallier le manque de travailleurs qualifiés qui freine leur croissance et de s’approcher de la  » frontière technologique « . Une raison de plus pour soutenir le Pacte pour un enseignement d’excellence !

(1) Quarterly Report on the Euro Area, vol. 16, p. 38.

Philippe Maystadt

 » Investir dans le potentiel humain est le facteur clé pour une croissance moins atone et plus inclusive  »

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