L’homme qui sourit à l’intérieur

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

A 48 ans, le Liégeois Thierry Bodson est devenu secrétaire général de la FGTB wallonne. Joli défi pour cet homme de chiffres et de terrain, amateur de moto, désormais rivé à la recherche de consensus.

Pour surnager dans les tempêtes sociales, cet homme-là n’a pas besoin de brassards. D’abord parce qu’il est maître nageur. Ensuite parce qu’il en faut beaucoup pour le déstabiliser : Thierry Bodson, nouveau secrétaire général de la FGTB wallonne, est un homme de chiffres.  » Il est impossible, sur des matières socio-économiques, de se fixer des objectifs politiques si on ne sait pas quels chiffres ces réalités recouvrent « , lance ce comptable de formation. Sur son bureau, rangé au cordeau, il y a toujours une calculatrice.  » Je m’appuie sur les chiffres pour argumenter. Alors, pour me contrer, il faut se lever tôt « , sourit-il. Sans vantardise. Thierry Bodson est un bosseur qui étudie ses dossiers à fond. Il sait qu’il y a un revers à cette médaille de sérieux et d’austérité : on le dit souvent introverti, timide, rigide. Déléguer lui reste difficile.  » Il est un peu coincé, constate un de ses collaborateurs. Le 2 janvier, c’est tout juste s’il nous souhaite une bonne année. On ne peut pas dire qu’il soit chaleureux. « 

C’est qu’entre son milieu professionnel et sa bulle privée Thierry Bodson a établi une frontière quasi étanche. Par pudeur, un peu, et par souci d’asseoir son autorité.  » J’ai l’impression que la séparation de ces deux mondes permet de conserver l’autorité nécessaire sans avoir à verser dans l’autoritarisme « , explique-t-il. Cela ne l’empêcherait pas de faire de certains de ses collaborateurs de vrais amis. Mais jamais il ne partirait en vacances avec eux.

Discret, l’homme s’exprime peu. Ses convictions syndicales sont profondes mais il n’a pas le charisme de certains de ses prédécesseurs.  » Disons qu’il ne correspond pas à l’archétype du syndicaliste gueulard « , résume un de ses amis. En revanche, ses analyses pointues font mouche. Jusque sur les bancs patronaux.  » Avec lui, il y a moyen de discuter « , précise Vincent Reuter, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises.

Le parcours de Thierry Bodson est un peu atypique : il ne vient pas d’une grande centrale ouvrière.  » Mais il montrera avec le temps qu’il dispose d’une forte personnalité et d’une grande autorité, assure le ministre socialiste wallon Jean-Claude Marcourt. Même si succéder à Jean-Claude Vandermeeren n’est pas facile, il s’imposera vite. « 

Un gendre idéal, avec une écharpe rouge

Thierry Bodson est un technicien. Il s’emporte rarement. On ne lui connaît pas d’ennemis. Partout où il passe, en général, on le trouve sympathique.  » Peut-être fait-il preuve d’un excès de prudence parce qu’il est attentif à se faire aimer par le plus grand nombre, suggère un de ses proches. Mais il se corrigera. « 

Entré au service chômage de la FGTB liégeoise en 1982, Thierry Bodson y a fait son trou en vingt ans, jusqu’à décrocher le poste de secrétaire régional de cette fédération – la plus importante de Wallonie -, qu’il a durablement marquée. On lui doit un impressionnant travail d’ouverture au monde associatif, notamment lorsqu’il s’est mouillé pour les sans-papiers.  » Dans tous les combats de l’associatif, si peu médiatiques soient-ils, il est présent, discrètement, témoigne la députée européenne socialiste Véronique De Keyzer. Ce n’est pas quelqu’un qui pratique les effets de manche. Mais on peut compter sur lui. « 

Défenseur des demandeurs d’emploi et soucieux de problématiques dont le syndicat socialiste ne se souciait guère jusqu’alors, comme la garde d’enfants, Thierry Bodson, amateur de géographie et de géopolitique, a aussi une fibre altermondialiste.  » C’est un vrai progressiste à la fibre internationaliste qui sait analyser l’évolution du monde, confirme Arnaud Zacharie, aujourd’hui secrétaire général du CNCD (Centre national de la coopération au développement) et cofondateur de Attac-Liège.

Elu secrétaire général de la FGTB wallonne en avril dernier, Thierry Bodson doit désormais se résigner à ce que les choses continuent sans lui à Liège.  » Les liens avec le monde associatif constituent un enjeu de démocratie majeur, insiste-t-il. Nous avons besoin de ces petites structures, expertes sur des matières que le syndicat ne maîtrise pas, et qui nous servent d’aiguillon. « 

Désormais, ce régionaliste rationnel n’est plus payé pour être radical. Il doit faire sans cesse la synthèse entre sept centrales professionnelles aux intérêts et aux combats parfois divergents. Il a l’obsession de rester rivé à la raison d’être d’un syndicat : la transformation socio-économique de la société.  » Je fais les choses par sincérité. Et aussi pour mes deux enfants. On a tous en nous des raisons de se révolter face à l’inacceptable. Mais il y a moyen d’agir plus efficacement et plus intelligemment qu’en faisant le coup de poing. « 

Quoi qu’il y paraisse, ce Liégeois n’est pas un ambitieux.  » Il a l’ambition pour la fonction, pas pour lui-même, assure son ami Jean-Pascal Labille, secrétaire général de la mutualité Solidaris. Il est bien plus humble que d’autres…  » Le conflit ne l’effraie pas. Diplomate, il écoute, beaucoup, et avec une patience qui énerve jusqu’à ses collaborateurs, puis il tranche.

Proche du PS – il a été conseiller communal à Beyne-Heusay jadis -, Thierry Bodson n’est pourtant pas avare de critiques.  » On a beaucoup à reprocher au PS qui ne relaie pas toujours les revendications des travailleurs. Il y a là un entêtement dans la faute politique. Mais je continue à penser que c’est le moins mauvais des relais. « 

Voilà pour le côté face de cet amateur de moto. Côté pile, une fois refermées les portes de la FGTB, Thierry Bodson est un autre. Drôle, fêtard, amateur de whisky et de bons vins, plutôt Bourgogne. D’une impressionnante fidélité en amitié. Et très chaleureux quand il est en terrain connu. A Liège, ils sont nombreux à se souvenir de son entrée en scène imprévue sur le podium de la place Saint-Paul, le 1er mai. 2008, sa guitare basse à la main et une casquette à l’envers vissée sur la tête. Il était un peu plus que vaguement ivre… Son embonpoint d’alors reflétait bien son penchant pour les petits délices de la vie. Depuis lors, il a perdu 20 kilos.  » J’ai juste arrêté les frites et la bière « , précise-t-il. Le rock est resté. Et Chopin, quand l’heure est grave.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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