L’homme qui défie Sarkozy

Discret ces derniers mois, l’ex-candidat centriste à l’Elysée repasse à l’offensive, avec un mot d’ordre : feu sur le président ! Il publie un ouvrage, Abus de pouvoir, et rêve d’incarner une alternative au chef de l’Etat. Mais la droite riposte et la gauche se méfie de lui, même si l’ex-premier secrétaire du PS, François Hollande, lui tend la main. A trois ans de l’élection présidentielle, les grandes manouvres commencent.

Il y a des livres que l’on met longtemps à ouvrir. François Bayrou n’a lu qu’une dizaine de mois après sa sortie L’Aube le soir ou la nuit (1), le récit de la campagne élyséenne victorieuse de Nicolas Sarkozy, signé Yasmina Reza. Un mot de félicitations et un coup de fil de remerciements plus tard, celui qui ne croyait pas possible l’élection de l’ancien maire de Neuilly à la présidence de la République et l’auteure d’Art partagent la table d’un restaurant parisien. Evidemment, ce soir-là de l’été 2008, ils parlent beaucoup de la personnalité du chef de l’Etat. L’élu complimente l’écrivaine pour ce qu’elle a perçu avant bien d’autres : son côté enfantin. Il lui confie aussi :  » En 2012, les candidats seront en bonne partie les mêmes. Lui et moi, bien sûr. Cela se jouera entre nous. Pour l’instant, je ne vois personne d’autre. « 

Il y a des livres que l’on rêve d’écrire pour l’Histoire. Le 30 avril sortira Abus de pouvoir (2), charge anti-Sarkozy sonnée par François Bayrou. Ce sera, espère-t-il, un acte fondateur dans son face-à-face avec le président, comme le fut Le Coup d’Etat permanent pour François Mitterrand, en 1964, dans son combat contre le général de Gaulle.

François Bayrou, l’homme qui défie Nicolas Sarkozy. A sept semaines des élections européennes, où toute contre-performance lui est interdite, à trois ans d’une présidentielle qui sera sa dernière chance d’endosser un habit que le destin lui aurait promis, le patron du MoDem lance sa grande offensive. Ce ne sont plus seulement les décisions quotidiennes d’un président qu’il faut dénoncer. Ce n’est plus seulement le style trop clinquant et trop cinglant d’un homme qu’il faut critiquer, et avec lequel, au fond, il ne s’est jamais entendu. C’est la République, cet idéal  » fait pour protéger les plus faibles « , qu’il faut sauver.

La France serait désormais aux mains d' » un clan, celui de l’argent « 

Dans cet affrontement ultraviolent, chaque mot de l’agrégé de lettres siffle comme une balle. Selon lui, la France est désormais aux mains d' » un clan, celui de l’argent, de l’entente sous la table « . L’actuel locataire de l’Elysée en est le  » parrain « . Leur but :  » Instaurer une société des inégalités croissantes.  »  » Le système Sarkozy est un système qui sert les puissants, dénonce-t-il. Contrairement à ce que beaucoup pensent, cette prise de contrôle est concertée, voulue. Il y a un plan, une idéologie, une stratégie. Ma thèse, c’est qu’ils n’ont pas le droit de faire tout cela : ils ont annoncé le contraire. « 

Si François Bayrou pense être si bien armé pour faire apparaître, aux yeux des Français, les ressorts du pouvoir exercé par Nicolas Sarkozy, c’est qu’il estime avoir vu sa naissance et son essence de près. C’était en 1993, au sein du gouvernement Balladur – où les deux hommes sont pour la première fois ministres – et lors de la présidentielle de 1995 – où les deux hommes soutiennent  » l’ami de trente ans  » de Jacques Chirac. Ce n’est que des années plus tard que le Béarnais comprendra qu’il avait déjà tout sous les yeux : les acteurs, les rapprochements, les intérêts.

Parce qu’ils ont grandi à droite ensemble, que, dans leur génération, ils sont les seuls à avoir survécu aux coups fourrés des chiraquiens, qu’aux européennes de 1999 ils s’affrontaient déjà, l’ex-ministre de l’Education estime bien connaître Nicolas Sarkozy.  » Il ne voit pas les autres et ne les comprend pas, assène-t-il. Sa clé, c’est qu’il veut montrer qu’il est plus fort que les autres. Il veut que l’on sache qu’il est le puissant.  » Pour le centriste, deux hommes auraient inspiré le chef de l’Etat : Charles Pasqua et Jacques Chirac. Du premier, qui fut, comme lui, ministre de l’Intérieur, il aurait imité la brutalité et repris l’idée que la France se gagne à droite. Du second, il aurait copié la volonté de séduire les gens de l’autre camp. C’est face à Jacques Chirac, aussi, qu’il aurait eu, d’après François Bayrou, son  » coup de génie  » :  » Apparaître comme son contraire.  » Alors, à son tour, il revendique d’être le  » contraire de Sarkozy « .

Sarkozy :  » Ce que Le Pen pense, Bayrou le dit « 

La dernière fois qu’ils se sont vus à l’Elysée, à l’automne, le président ne lui a rien proposé.  » Il sait que je ne suis pas achetable « , s’enorgueillit le député des Pyrénées-Atlantiques. Mais, si le chef de l’Etat l’a reçu, c’est surtout parce que son complice Brice Hortefeux lui avait susurré qu’il l’avait croisé quelques jours plus tôt et l’avait trouvé abattu, résigné. Nicolas Sarkozy voulait simplement jauger l’éventuelle faiblesse, même passagère, d’un homme qu’il méprise chaque jour davantage.  » Il dit que je ne partage pas les valeurs de la France. Ce que Le Pen pense, Bayrou le dit. Si Le Pen avait dit la même chose, il aurait été critiqué par tout le monde. Personne n’a critiqué Bayrou « , s’offusquait récemment Nicolas Sarkozy devant des visiteurs. Ces dernières semaines, l’entourage du chef de l’Etat a encore durci le ton contre le responsable du MoDem. Longtemps, Nicolas Sarkozy a estimé que la meilleure réponse à François Bayrou était le silence. Cette fois, il n’en sera pas ainsi.

Pour Bayrou, qui d’autre que lui pourrait réunir le centre, les déçus de Sarkozy, les électeurs de gauche ?  » Je suis le seul. Je suis le dernier rempart. Si j’arrête, c’est fini « , dit-il. Au PS, il n’a pas vu d’évolution avec l’arrivée de Martine Aubry.

C’est avec des ex-chiraquiens que les échanges s’ébauchent actuellement. François Bayrou et Dominique de Villepin vont se voir prochainement, même si le premier croit toujours que le second est  » plutôt la fin de quelque chose que le début « .

A gauche, la séduction n’opère pas encore vraiment.  » Il se la raconte. Il est un peu perché « , juge Benoît Hamon, le porte-parole du PS. Le repas que Bayrou a eu à la fin de janvier avec Jean-Michel Baylet, président du Parti radical de gauche, pour évoquer l’alliance aux européennes souhaitée par ce dernier, s’est conclu par des insultes. Le président du MoDem lui a reproché d’avoir déjà un accord avec le PS pour les régionales.

DSK :  » Si tu gagnes, je serai ton Premier ministre « 

Ceux avec qui le candidat était en contact pendant la présidentielle de 2007 sont passés à l’ennemi. Il y a un an, il confiait ses désillusions post-campagne :  » Claude Allègre m’appelait tout le temps pour me dire : « Tu as raison, tu as mon soutien. » Bernard Kouchner et Jean-Marie Bockel me voyaient. Dominique Strauss-Kahn me faisait passer des messages par l’intermédiaire de Jean-Claude Juncker [ NDLR : Premier ministre luxembourgeois] : « Si tu gagnes, je serai ton Premier ministre. » Un des avantages d’avoir perdu, c’est d’avoir compris que tous ces gens-là faisaient partie du même panier de crabes. Moi, j’étais naïf, je les aurais pris si j’avais gagné !  » Deux ans plus tard, s’il demeure populaire dans l’électorat de gauche, aucun élu n’a franchi le pas.

Malgré sa solitude, les faiblesses de son parti, les multiples incertitudes de son pari, François Bayrou a au moins réussi à imposer à l’Elysée, à l’UMP et au PS la même question : et s’il était le plus dangereux des adversaires de Nicolas Sarkozy ?

(1) Flammarion.

(2) Plon.

Ludovic vigogne

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