L’HOMME DE L’OMBRE

Longtemps, il a dû se contenter d’un rôle dans l’ombre de Youri Tielemans et de Steven Defour. Mais depuis six mois, il éclate au grand jour. Leander Dendoncker n’est plus uniquement le Mister Nice Guy d’Anderlecht, il est devenu incontournable.

« Le plus grand talent belge sur nos pelouses s’appelle LeanderDendoncker. Il est très intelligent, joue sobrement, est très fort physiquement. Bref : il a toutes les qualités requises. Lorsqu’il joue, il rend les autres meilleurs. Il a l’étoffe d’un futur grand.  » Ces propos n’ont pas été tenus par HermanVanHolsbeeck, qui a évidemment tout intérêt à mettre son joueur en évidence, mais par MbayeLeye, le joueur de Zulte Waregem et consultant de RTLSPORT, lors d’une interview accordée au journal DeMorgen.

Et son avis est souvent pertinent. Mais il n’est pas le seul à penser de la sorte. MarkoMarin, lors de son bref passage au Parc Astrid, n’avait-il pas reconnu que Dendoncker l’avait particulièrement impressionné ? AiméAnthuenis, PaulVanHimst, JohanBoskamp, KhalilouFadiga et même le sélectionneur de l’équipe nationale des Espoirs, EnzoScifo, ont également tenu des propos élogieux à l’égard du milieu de terrain du Sporting.

UNE TRAJECTOIRE MODÈLE

En 2013, Dendoncker était encore un illustre inconnu au stade Constant Vande Stock. Il avait pu accompagner l’équipe Première lors du stage hivernal, mais tout le monde n’était pas convaincu par ses qualités. Lorsque PeterSmeets a proposé ses services pour conseiller personnellement le joueur de Flandre-Occidentale, certains ont froncé les sourcils.  » J’avais vu Leander à l’oeuvre lors de matches internationaux de jeunes et je savais qu’on pouvait en tirer quelque chose « , affirme Smeets, qui guide YouriTielemans, BenitoRaman et quelques Belges à l’étranger sur une base indépendante.

 » On peut cataloguer les jeunes footballeurs en trois catégories. Il y a ceux qui, comme VincentKompany, intègrent l’équipe Première à un très jeune âge et qui réussissent. Il y a ceux qui sont plébiscités comme de futures stars à 14 ans mais qui ne parviennent pas à percer. Enfin, il y a ceux qui, comme Dendoncker, n’ont brûlé aucune étape. Il est arrivé au bon moment à Anderlecht, a été promu en Espoirs au bon moment et a aussi été lancé en équipe Première au bon moment. A partir de là, il a conquis sa place presque naturellement. C’est une trajectoire modèle qu’il a suivie.  »

JohnvandenBrom n’a pas d’emblée été séduit par le talent de Dendoncker. D’une certaine manière, c’est logique, car en tant qu’apôtre de la doctrine ajacide, il préférait des joueurs stylés comme Youri Tielemans, DennisPraet et MassimoBruno.  » Peu de gens croyaient en Leander « , se souviennent les parents Dirk et KatrienDendoncker.  » Parfois, notre fils nous téléphonait le samedi soir nous demandant, la voix tremblante : -Que dois-je faire pour intégrer le groupe de joueurs sélectionnés pour le match ? Il ne savait plus à quel saint se vouer, et la distance – 260 kilomètres, aller et retour – le décourageait encore un peu plus. Heureusement, il a tenu le coup mentalement.  »

Pour le footballeur de Passendale, le vent a tourné en mars 2014, après le licenciement de Van den Brom. Pourtant, son successeur BesnikHasi ne lui a pas accordé d’emblée du temps de jeu, mais la direction a assuré l’entourage que Leander recevrait sa chance la saison suivante. Smeets :  » Après avoir été promu coach principal, Besnik a pris Leander à part. Il lui a dit : –Nous sommes en position délicate dans les play-offs, je dois me concentrer sur la conquête du titre. Mais, dès que les circonstances seront plus favorables, je t’offrirai une chance. La saison prochaine sera la tienne. Besnika tenu parole. Il s’est séparé de LukaMilivojevic et de SachaKljestan. Leander n’a cependant pas reçu sa chance tout de suite, mais heureusement, ses parents ne se sont pas énervés et ne l’ont pas incité à rejoindre un club comme Courtrai ou autre. Car, combien de joueurs prêtés sont-ils revenus au Parc Astrid pour y triompher ?  »

SURNOMMÉ ROBOCOP

Aujourd’hui, le statut de Dendoncker a clairement changé. Pour sa deuxième saison complète comme titulaire, il est devenu incontournable. Lorsque son milieu de terrain polyvalent est absent, Anderlecht semble décapité. Son absence s’est surtout ressentie après la trêve hivernale. Lorsqu’une mystérieuse blessure à la cuisse l’a tenu éloigné des terrains plus longtemps que prévu, le Sporting a perdu le contact avec Bruges et Gand. Pendant cette période, les Mauves se sont inclinés trois fois, ont concédé deux partages et n’ont gagné que quatre matches. Sur l’ensemble de la saison, ces statistiques se confirment également. Avec Dendoncker, Anderlecht a pris 68 % des points. Sans lui, ce pourcentage tombe à 58 %. L’absence de Dendoncker a donc coûté des points – et peut-être le titre – à Anderlecht.

 » Ce n’est pas un simple récupérateur comme l’était GennaroGattuso « , analyse le consultant AlexTeklak.  » L’Italien utilisait parfois les grands moyens pour déposséder l’adversaire du ballon. Dendoncker joue plus avec la tête : il défend de façon disciplinée et coupe intelligemment les lignes de passes. Pour son âge, il a un excellent jeu de position. Hasi est souvent obligé de rappeler certains joueurs à l’ordre pendant un match, mais Leander n’a pas besoin d’être coaché. Je ne sais pas s’il peut être considéré comme le prototype du milieu de terrain moderne, mais il est en tout cas très complet. Il n’obtiendra jamais une note de 9 sur 10, mais jamais non plus une note de 3 ou 4.  »

Dendoncker compense son manque d’explosivité par un remarquable maniement de ballon et un art de contrôler la situation en toutes circonstances. Un entraîneur de jeunes l’avait un jour surnommé Robocop parce qu’il courait toujours en restant bien droit sur ses jambes et qu’il gardait ainsi une vision panoramique du terrain.  » Dendoncker recherche toujours une solution footballistique et effectue souvent le bon choix, ce qui lui permet d’accélérer le jeu sans avoir l’air d’y toucher « , poursuit Teklak.  » Il est donc bien plus utile que StéphaneBadji, qui se contente d’annihiler les tentatives adverses.  »

L’endurance de Dendoncker étonne aussi à plus d’un titre. Lorsqu’il était jeune, il a un jour chronométré son parcours de 1,3 kilomètre autour des étangs de Neerpede. Seul MehdiTarfi, sous contrat avec l’Antwerp la saison dernière, s’était montré plus rapide que lui. Avec son VO2max impressionnant, il aurait même pu faire carrière dans le cyclisme. Si Defour est le coeur d’Anderlecht, et Tielemans son cerveau, alors Dendoncker en est certainement les poumons.  » Leander a un double moteur « , affirme RenéPeeters, qui fut l’entraîneur de Dendoncker chez les U19 et les Espoirs d’Anderlecht.  » Il est capable de courir pendant 90 minutes, et même deux heures s’il le faut. J’ai souvent dû le freiner. Il s’infiltrait dans les 16 mètres adverses, et quelques secondes plus tard, il récupérait un ballon dans ses propres 16 mètres. Et s’il ne le faisait pas, nous étions en problèmes.  »

UN JOUEUR PRISÉ

Le 1er mai, Dendoncker a une nouvelle fois montré toute l’étendue de son registre contre Gand. RenatoNeto et SvenKums ont été réduits au mutisme lorsque Dendoncker a arpenté avec beaucoup de panache la zone située entre les deux rectangles. Sa prestation n’est pas passée inaperçue aux yeux des scouts étrangers. Celui d’Arsenal a même déclaré que tous les clubs européens aimeraient avoir un footballeur du style de Dendoncker dans leurs rangs. Faut-il s’étonner, dès lors, qu’on le considère à Anderlecht comme le joueur qui a le plus progressé au cours des derniers mois ? Et c’est encore à la tombée de la nuit, lorsqu’il arpente les pelouses de Galatasaray, Arsenal, Dortmund et Tottenham, qu’il brille le plus ! En novembre de l’an passé, son pourcentage de duels gagnés et de passes réussies a frisé la perfection à White Hart Lane. Aucun équipier n’est parvenu à égaler, ni même à approcher ses chiffres.

Mais, après un an et demi, on s’est habitué à Dendoncker et ses prestations ont tendance à être banalisées par le monde extérieur. Il est confronté à un phénomène bien connu par Tielemans : ce qui était au départ considéré comme extraordinaire est devenu tout à fait ordinaire. Dendoncker possède cependant un avantage : ce n’est pas l’homme des folies ou des coups d’éclat. Sa force, c’est la régularité, il ne connaît pas de hauts et de bas, comme c’est parfois le cas de Tielemans.  » Leander contrôle parfaitement ses émotions « , a constaté Peeters chez les jeunes.  » Il n’a jamais été le joueur des extrêmes. Il n’est jamais euphorique, mais jamais dans le 36e dessous non plus. Rien ne perturbe son équilibre. S’il réalise une mauvaise passe, il se reprend immédiatement.  »

Une chose semble claire : c’est dans l’ombre d’un patron que Dendoncker s’exprime le mieux. Il se sacrifie sans broncher au service du collectif.  » Dendoncker a compris que, pour le bien de l’équipe, il ne devait pas courir dans les pieds de Tielemans et de Defour « , constate Teklak.  » La répartition des tâches est logique. On n’achète pas un milieu de terrain à six millions d’euros pour lui demander uniquement de défendre. Pour optimaliser le rendement de Defour, il est donc préférable que Dendoncker se limite à un rôle plus défensif. Mais, à plus long terme, j’aimerais voir Leander dans le rôle du n°8, afin qu’il puisse s’infiltrer plus facilement. Ce n’est qu’alors que l’on pourra découvrir toutes les facettes de son jeu. A la condition qu’il apprenne à ne pas se mettre dans le rouge. Prenez le match contre Ostende : il s’est évertué à remettre de l’ordre dans la maison, a couru à gauche et à droite parce qu’il voyait que Defour et Tielemans étaient en difficulté. C’était avec une bonne intention, mais en agissant de la sorte, il s’est mis lui-même en difficulté.  »

Cela fait partie de son tempérament doux. Chez les Espoirs, on a plus d’une fois incité Dendoncker à mettre le pied dans les duels. Mais ce n’est pas son genre de titiller les tibias des adversaires. Alors, faire de l’ombre à un coéquipier ? Il préfère utiliser une bonne vieille recette : monter dans la hiérarchie sans jouer des coudes.  » C’est peut-être dû à son humilité ouest-flandrienne ? « , s’interroge Dirk Dendoncker.  » Si ça ne tenait qu’à moi, je ne verrais aucun inconvénient à ce que Leander s’affirme plus. Il m’arrive de me dire : -Allez Leander, n’hésite pas à tirer au but ! Il a encore trop tendance à céder son ballon. Mais, avec l’âge, cela changera. La saison prochaine, il doit devenir l’un des piliers d’Anderlecht. Je peux comprendre que, pour l’instant, il se contente de faire ce qu’on lui demande. C’est même, peut-être, la meilleure stratégie. Un joueur qui ne fait pas de vagues est moins sujet aux critiques. Sa grande idole, SergioBusquets, fait parfois la une des journaux, mais c’est surtout lorsqu’il n’est pas là qu’on le remarque.  »

PAR ALAIN ELIASY – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Dendoncker n’obtiendra jamais une note de 9 sur 10, mais jamais non plus une note de 3 ou 4.  » – ALEX TEKLAK

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