Rosanne Mathot

L’expérience du marshmallow

Où les occupants du Geyser se livrent au remake d’une célébrissime expérience de sociologie, sous la férule amusée d’une petite fille fantôme.

Le drapeau belge flotte déjà sur les centres fermés que l’on n’a pas encore ouverts. Il surplombe la royale devise du pays : l’union règne entre les migrants félons et la force les retient. Rien ne surprend plus. Le sang souillé du royaume reflue vers son horrible coeur. En ce lundi soir de fermeture, Daisy, la petite fille fantôme du Geyser, avait envie de rire. Avoir 11 ans dans ses veines est un mal incurable. La petiote frappait le sol et bégayait de ferveur. S’il y avait bien une chose qu’elle savait, la gamine, c’est que les surprises se préparent en cachette : l’enfant conspire, l’adulte s’émeut. C’est ainsi. Toujours. Aussi la fillette avait-elle installé, sous verre, des objets plus ou moins alléchants, en fonction de la personne à qui ils étaient destinés. Tout le monde sait que les choses placées hors d’atteinte ont des attraits auxquels on ne résiste pas (1).

Devant Le Fleuri fumait un très grand café au lait. Paula (qui, à la suite d’un chagrin d’amour, peaufinait une interminable collection de confitures aux phéromones) avait eu droit à un whisky sec. Le vieil Heinrich contemplait une chope à la mousse blanche teintée d’amertume. La Lorelei et ses longs cheveux, prostrée, fixait une brosse en nacre intouchable. Bertrand, le chef coq, bavait devant un osso bucco aux zestes d’orange. Ulysse avait été installé devant une carte de séjour. Enfin, Goliarda, tout en tripotant sa moustache, se mordait les lèvres devant une cassette VHS des premiers épisodes de la série Magnum. Comme quoi il suffit de tremper n’importe quoi dans une optique alternative pour le rendre irrésistible.

Paula fut la première à flancher. Par-dessus ses confitures érotiques, elle avala cul sec son whisky. Avant qu’elle ne tombe bas de son tabouret, Le Fleuri la rattrapa, en la maintenant sous les bras, avançant un genou bienveillant sous son rond postérieur en déroute, à la façon d’un strapontin provisoire capable de maintenir, pour toujours, un étrange équilibre à deux. Ne glosons pas cette urgence qui nous plante, les yeux écarquillés et la babine luisante, devant quelque chose d’interdit. Dérober au monde adulte un plaisir indécent, c’est s’affranchir de l’univers où les rôles sont lourdement distribués. C’est enfin… l’apesanteur. Une façon d’oublier que, quand on n’est plus un enfant, tout se transforme. Tout est volatil. Fragile. On ne possède rien. Même pas ses propres certitudes.

Mais c’est pas tout ça : l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, à 20h15, sur la Une…

(1) L’expérience du marshmallow a été menée sur 550 enfants de maternelle, entre 1968 et 1974, par le psychologue Walter Mischel : un enfant, seul, est placé face à une table où se trouve un marshmallow : l’enfant sait qu’il peut manger la friandise ou bien en avoir deux, s’il patiente. Jusqu’en juin 2018, cette expérience a été un pilier tendant à prouver que ceux qui arrivent à différer un plaisir réussissent mieux dans la vie. Cette théorie a totalement été battue en brèche.

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