L’exemple du rugby

Le football refuse toujours la vidéo pour arbitrer certaines phases litigieuses. En revanche, le rugby, sport d’équipe qui lui est très comparable, l’a adopté. Avec succès

En rugby, l’essai est-il valable ? En hockey sur glace, le puck a-t-il vraiment pénétré le but ? En football, le ballon a-t-il franchi la ligne ? Les arbitres de ces disciplines éprouvent souvent bien des difficultés à prononcer le bon jugement, qu’ils doivent pratiquement rendre à la seconde même. Or la télévision, qui s’avère désormais le principal vecteur du sport et de ses commanditaires, est à présent envahie par les techniques les plus pointues: images ralenties, répétées ou arrêtées. Il s’agit d’autant de moyens d’information qui conduisent à ce constat aberrant: très souvent, le téléspectateur bénéficie d’une meilleure vision de l’événement que l’arbitre sur le terrain !

C’est ce danger qui a incité des dirigeants de plusieurs sports à la réflexion et les a conduit à appeler à la rescousse la technologie moderne. Cette évolution s’est manifestée, d’abord, dans les disciplines où l’action est très rapide et souvent très confuse, donc difficile à juger. Exemples: le football américain, le hockey sur glace et le short-track, le patinage de vitesse sur petite patinoire. Les caractéristiques nerveuses et agressives de ces compétitions ont amené leur fédération à offrir l’assistance de l’image vidéo à leurs arbitres.

En revanche, la Fifa (Fédération internationale de football), qui gère le sport le plus pratiqué et regardé de la planète, s’oppose toujours à ce procédé. En raison de sa lourdeur, des nombreuses interruptions de jeu qu’il imposerait, et parce que l’image vidéo ne suffirait pas dans tous les cas à asseoir une décision irréfutable. Autre motif: le football est régi par des lois universelles, or tout le monde n’a pas accès de façon identique à la haute technologie. Dès lors, le football utilise des caméras pour repérer ses hooligans, mais pas pour venir en aide à ses arbitres…

Depuis l’an dernier, le rugby, une discipline très comparable au football à bien des égards, a, pour sa part, franchi le pas. Dans certains matchs, l’image vidéo est à la disposition de l’arbitre de champ pour des situations qu’il estime litigieuses, mais uniquement dans la zone d’en-but. Ainsi, il ne peut l’utiliser que pour vérifier la validité d’un essai ou pour juger si le ballon est bien passé entre les deux poteaux. En outre, la vidéo peut aussi servir à pénaliser a posteriori un joueur pour une brutalité (« un coup gratuit ») qui aurait échappé à la vigilance des juges en cours de jeu. Pour avoir marché, le mois dernier, sur la tête d’un adversaire italien, Olivier Magne, capitaine de l’équipe de France, a écopé, trois jours plus tard, d’une suspension de trois semaines.

En fait, cinq personnes sont reliées en permanence entre elles par radio: l’arbitre de champ, ses deux juges de touche, le « quatrième arbitre », responsable des remplacements de joueurs, et « l’arbitre vidéo », installé dans la cabine de réalisation du reportage télévisé. Seul l’arbitre de champ décide du recours à l’image. Après avoir consulté l’arbitre vidéo, qui lui commente les angles de vue sélectionnés à sa demande, il détermine ensuite sa décision.

A l’observation, l’expérience du rugby semble bien réduire à néant la réserve et les arguments avancés par la Fifa. D’abord, les consultations ne durent guère plus d’une minute, le temps que « vole » souvent un footballeur qui simule une blessure. Ensuite, leur fréquence est très réduite: quatre appels lors du match ayant opposé le pays de Galles à la France, le 16 février dernier, et deux, quinze jours plus tard, à l’occasion du choc entre la France et l’Angleterre. A Cardiff, on a pu vérifier, images à l’appui, que ni Scott Quinnell ni Dafydd James n’avaient aplati l’ovale dans l’en-but français, mais qu’en revanche deux autres essais avaient pu être validés. A Paris, l’arbitre sud-africain Watson n’a demandé le concours de la vidéo qu’à deux occasions, aboutissant, à chaque fois, à une décision irréfutable. En hockey sur glace, les pertes de temps sont encore plus réduites. Le jeu peut se poursuivre pendant que des responsables consultent les images et annoncent, quelques instants plus tard, en pleine partie, la validité d’un but.

Quant au principe d’universalité, auquel la Fifa tient tant, il n’est pas retenu en rugby. L’utilisation de la vidéo est obligatoire pour les matchs internationaux, comme ceux du Tournoi des 6 nations, mais laissée à la libre appréciation des fédérations dans leurs compétitions nationales. Ainsi, en France, la vidéo est seulement d’application en demi-finales et en finale du championnat. « L’universalité, cela n’existe plus, estime Joël Dumé, arbitre international français. Quel que soit le sport, on n’arbitre jamais au top niveau comme à la base. Les règles du jeu sont les mêmes, mais les intérêts, les enjeux, l’engagement et la technicité, qui influent sur le cours de la partie, sont totalement différents. » Dans pareil cas, il n’est plus raisonnable de laisser à un seul homme la responsabilité d’une décision qui engage un tel univers.

L’expérience s’avère-t-elle donc positive ? « Tout à fait, affirme Didier Mené, autre arbitre international français, mais qui, agissant comme arbitre de champ, n’a pourtant encore jamais eu recours à la vidéo. Dans 9 cas sur 10, l’appel est concluant. Mais il faut respecter deux conditions. D’abord, comme c’est le cas, limiter l’intervention aux actions de l’en-but. Ensuite, l’arbitre ne doit pas en abuser, ni pour se sécuriser ni pour se justifier envers le public. » A ce titre, Jean-Claude Elslander, président de la Commission des arbitres belge, pense que la fédération française a pris la bonne initiative de ne pas faire projeter – contrairement à ce qui se pratique en Grande-Bretagne – les images d’une phase litigieuse sur le grand écran installé dans le stade. L’attente aidant, cela provoque parfois des prises de position, forcément contradictoires ou empreintes de chauvinisme.

Certes, il subsistera toujours des doutes que l’utilisation de la vidéo ne résoudra pas. « Mais toute erreur qu’elle efface est une bonne décision de gagnée », estime Dumé. A l’opposé de la majorité de ses collègues, Serge Goffinet, l’un des deux arbitres internationaux belges, n’est pas un chaud partisan du système. Il craint qu’au fil du temps celui-ci envahira sans cesse davantage l’activité de l’arbitre: « Oui au progrès technologique, dit-il, mais pas au détriment de l’aspect humain. Je ne désire pas devenir une espèce de robot sur le terrain. » En rugby, il est vrai, plus que dans d’autres sports, l’arbitre est pratiquement un joueur, un acteur qui détermine la fluidité du jeu.

En Belgique, où il n’existe pas de véritable culture du ballon ovale, il n’y a, bien sûr, pas non plus de recours à la vidéo. En revanche, la Commission des arbitres vient d’acquérir deux jeux de talkies-walkies qui permettront à l’équipe arbitrale d’être en liaison radio permanente. Ils seront utilisés à l’occasion de matchs internationaux et de la finale de la Coupe de Belgique.

Et en football ? Le débat ne date pas d’hier et il resurgit à chaque erreur grossière. En réalité, l’introduction d’un nouveau moyen de contrôle correspond à une modification des « lois du jeu » que seul peut décider le très conservateur International Board. De plus, cet organe de la Fifa, gardien des règles, ne se réunit qu’une seule fois par an. Mais le sujet figure à l’ordre du jour de sa prochaine réunion, le 16 mars 2002. Le débat n’engendrera toutefois pas de décision spectaculaire. Le Board examinera seulement l’évolution de la situation. Sans plus.

Autrefois, la Commission d’arbitrage de la Fifa a déjà évoqué la possibilité d’attribuer davantage de pouvoir au « quatrième arbitre », dont le rôle actuel se limite à surveiller la régularité des changements de joueurs et à comptabiliser le temps de jeu supplémentaire. Mais l’idée de le mettre en relation directe avec les images filmées du match afin d’aviser, le cas échéant, l’arbitre principal de certaines fautes ou erreurs n’a jamais fait l’unanimité. « Je crois cependant que d’ici à dix ans la vidéo apparaîtra également autour des terrains de football. De manière limitée, par exemple à la zone du grand rectangle, qui couvre les litiges de but et de penalty, et uniquement dans les grandes compétitions », affirme Alex Ponnet, ancien membre belge de la Commission d’arbitrage de la Fifa. La notion d’universalité ? Pour notre ex-arbitre international, aussi, elle est dépassée. Il y a longtemps que le football évolue à plusieurs vitesses. Et, aujourd’hui, l’utilisation d’une technologie performante et sûre n’est plus la quadrature du cercle. La preuve par l’ovale.

Emile Carlier

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