L’exemple afghan

Guy Gilsoul Journaliste

250 oeuvres de l’histoire de l’art d’Afghanistan ont été réunies au musée Guimet, à Paris. Un parcours beau, clair et sans appel

En organisant une exposition sur l’histoire des arts d’un pays en guerre, l’Afghanistan, le musée Guimet remplit parfaitement sa fonction: il montre, il ne commente pas. Les oeuvres d’art sont là, témoins objectifs de faits que la propagande, d’où qu’elle vienne, ne peut nier. Elles disent alors, sans émotion ni parti pris, quel fut le trajet des hommes et de leurs pensées successives, en des terres, déserts, montagnes, vallées et oasis que la géopolitique a, depuis, délimités. Elles rappellent aussi que la vraie histoire des cultures se raconte rarement dans les pays qui les ont vu naître. Le cas afghan est, en cela, évidemment exemplaire.

D’abord, parce que nous avons tous encore en mémoire la destruction par les talibans des grands Bouddhas de Bamiyan qui démontra combien la sauvegarde du patrimoine relève de l’option politique et des secousses liées aux événements. Or les destructions se sont depuis multipliées. Des principaux témoins qui étaient conservés au musée de Kaboul, il ne reste aujourd’hui que des débris piétinés et de la poussière emportée par les infiltrations d’eau qui s’écoulent depuis les toits éventrés. Au sous-sol du palais présidentiel en ruine se trouve actuellement, dans un coffre-fort, un trésor inestimable du passé. On le sait. Mais, pour l’heure, il y a d’autres urgences. C’est alors qu’interviennent des organismes comme l’Unesco ou d’autres, liés, comme ici, à une fondation (Hirayama de Tokyo) ou à un musée (Guimet). On se réjouit même – une fois n’est pas coutume – que des accords aient été conclus depuis les années 1920 entre l’Afghanistan et l’institution parisienne. Celle-ci peut en effet s’enorgueillir de posséder – et, donc, de conserver et d’étudier – une superbe collection d’objets que le visiteur de l’exposition découvre parmi 250 pièces venues, elles, de collections publiques de Saint-Pétersbourg, Berlin, Nice, Harvard, Kaboul, et de quelques ensembles privés, dont un superbe Génie aux fleurs ayant appartenu à André Malraux.

Mais l’intérêt du choix afghan réside aussi dans l’exemplarité de sa dynamique historique. En effet, les objets sculptés, modelés, peints, gravés ou cuits, depuis la préhistoire jusqu’au début du XXe siècle, témoignent avec évidence des effets vitalistes des brassages. Les premières statuettes en calcaire et chlorite (des reines mères du IIIe millénaire) portent la marque de la Mésopotamie. Mais elles ne sont pas mésopotamiennes. Au VIe siècle avant notre ère, l’Afghanistan fait partie de l’Empire perse. Il est ensuite, au IVe siècle, conquis par les armées grecques d’Alexandre le Grand, avant que le Bouddhisme, venant de l’Inde et de la Chine, ne se répande à son tour. Puis arrivent les troupes arabes et l’islam. Au XIIIe siècle, celles de Gengis Khan et de l’aventure moghole. Mais il y a une grande différence entre soumettre l’art et l’enrichir. L’art afghan n’est pas celui du second choix qui, sans en comprendre les raisons de formulations nouvelles, privilégierait le plagiat et la copie sommaire.

Tout en faisant remarquer que l’Afghanistan possède ses poches de résistance (les figures d’ancêtres du Nuristan, par exemple) et ses nomadismes toujours actifs (l’art de la parure et du costume), l’exposition présente surtout la fabuleuse aventure des intégrations successives. Exemple: depuis le trésor de Bergram jusqu’aux figures tour à tour expressives et sereines trouvées dans la région de Jalalabad, l’art afghan combine deux approches de la figure. Celle issue de la rationalité grecque et cette autre, issue en droite ligne du mode introspectif induit par la pensée orientale.

« Notre esprit est ici arrêté et séduit, notait André Malraux, parce qu’il cherche des références, a sans cesse l’impression d’en approcher, et ne les trouve pas ». On est loin des anciennes valorisations d’un art miroir des Etats-nations et, plus justement, proche de cette nouvelle et nécessaire conscience planétaire où, d’une montagne à l’autre, l’homme est comme l’oiseau: libre.

Afghanistan, une histoire millénaire, Paris, musée Guimet, 6, place d’Iéna. Jusqu’au 27 mai. Tous les jours, sauf le mardi, de 10 à 18 heures. Tél.: +33-1-56 52 53 45.

A lire: le catalogue, édité par la Réunion des musées nationaux (RMN).

Guy Gilsoul

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