L’Europe déconnectée

Emmanuel Paquette Journaliste

Le Vieux Continent vient de perdre, coup sur coup, son dernier fabricant d’écrans plats et l’un des symboles de la téléphonie mobile. Pourtant, la désindustrialisation n’est pas une fatalité.

En se promenant sur la plage de Sidon, la jeune Europe, fille du roi Agénor, fut enlevée par Zeus ayant pris l’apparence d’un taureau blanc. Ce mythe grec trouve une résonance étrange ces jours-ci, tant le Vieux Continent voit s’envoler ses télécoms et son électronique grand public vers d’autres cieux. C’est pourtant sur ces terres que les premiers téléviseurs virent le jour en 1928 avec Philips. Mais quatre-vingt-trois ans plus tard, la firme néerlandaise vient d’annoncer la cession de cette activité à une entreprise asiatique. C’est aussi ici que furent créés les premiers téléphones mobiles à la norme GSM avec Nokia en Finlande, puis Ericsson en Suède. Mais celui-ci vient de vendre sa participation dans la société commune qu’il partageait avec le japonais Sony.

Un à un disparaissent les pionniers du Vieux Monde.  » Il ne reste qu’un désert, et aucune société de taille importante n’est en position d’apporter une rupture technologique comme l’a fait Apple avec l’iPhone ou l’iPad « , déplore Eric Carreel, cofondateur d’Inventel, revendu à Thomson en 2005.

Pris en étau entre, d’un côté, des entreprises asiatiques produisant à bas coût téléviseurs et téléphones et, de l’autre, des sociétés américaines maîtrisant les logiciels et les services équipant ces appareils, les Européens doivent se contenter des miettes. Et le tableau ne laisse guère de place à l’optimisme. Ces six dernières années, Technicolor (ex-Thomson) a abandonné sa division téléviseurs ; Sagem, Siemens et Alcatel, leurs activités mobiles. Certes, quelques irréductibles font de la résistance, comme le français Archos dans les tablettes tactiles, le danois Bang & Olufsen et l’allemand Loewe dans les systèmes audio et les téléviseurs haut de gamme. Mais cela ne suffit guère à combler le vide laissé par d’anciens champions au rayonnement mondial.

 » Nous possédons encore des atouts « 

Ce constat est d’autant plus préoccupant que l’espace économique européen est constitué d’une mosaïque culturelle complexe, où les lois diffèrent d’un pays à l’autre. Les entreprises américaines et chinoises, elles, peuvent s’appuyer sur un marché intérieur avant de se risquer hors de leurs frontières.

 » Je crains que la disparition des firmes technologiques européennes ne s’accélère « , conclut Jean-Michel Huet, directeur associé au cabinet de conseil BearingPoint. Avant de se reprendre :  » Il reste de l’espoir, nous conservons trois opérateurs mondiaux de poids avec France Télécom, le britannique Vodafone et l’espagnol Telefonica.  » Ce trio dépense des dizaines de milliards chaque année dans ses réseaux respectifs et peut intégrer des services ou ceux de partenaires dans ses  » boxes  » ou ses téléphones. Un moyen de lier un produit à un service, à la base même du succès d’Apple et de Google dans les smartphones.  » Il suffirait que les opérateurs aident des start-up à se développer pour que l’innovation germe et que ces graines grandissent à l’abri de grands arbres « , imagine Eric Carreel, président de trois jeunes pousses (Withings, Sculpteo et Invoxia).

Pour l’ancien PDG de France Télécom Didier Lombard,  » l’Europe doit s’éveiller « , si elle veut éviter le pire.  » Nous possédons encore des atouts. Des équipementiers de télécommunications, des pôles de recherche reconnus et une population avec un fort pouvoir d’achat « , renchérit Hervé Collignon, vice-président au cabinet AT Kearney.

Sur les 3 200 milliards d’euros que pèsent les technologies de l’Internet, des télécoms et de l’électronique grand public, l’Europe représente de fait 900 milliards d’euros, à peine moins que l’Amérique du Nord. Elle doit maintenant réagir. Le temps presse.

EMMANUEL PAQUETTE

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