L’Europe comme on l’aime

Avons-nous vécu, depuis la fondation du Marché commun le 25 mars 1957, des événements aussi importants pour l’Europe que ceux qui s’annoncent aujourd’hui ? Bien sûr, les quatre traités successifs qui fondent les objectifs et les moyens de l’actuelle Union, les adhésions de nouveaux membres entre 1973 et 1995, la chute du mur de Berlin et l’élargissement, demain, vers l’Est, constituent autant d’étapes marquantes de l’histoire européenne encore si courte. Quarante-trois ans et neuf mois, à peine une vie de travail!

Mais voilà que nous nous apprêtons à vivre non pas un mais deux épisodes exceptionnels de l’aventure : l’euro dans dix jours, l’ouverture du grand chantier des réformes dès mars prochain, annoncé par la Déclaration de Laeken. Sans doute, ces événements ne concernent pas le même nombre de pays et ils ne résonnent pas, aujourd’hui, de la même manière dans nos consciences et dans notre vie quotidienne. La monnaie unique est là, concrète, palpée déjà par des dizaines de milliers de Belges qui se sont rués sur les 8 pièces. Davantage qu’économique (l’euro est intégré dans les marchés depuis deux ans), la force de l’événement est surtout symbolique. Et quel symbole! Un label d’appartenance à la même communauté, en permanence au fond de nos poches et portefeuilles. Un même nom sans cesse prononcé par 300 millions de personnes.

Le lancement, à Laeken, de la Convention qui préparera les éventuelles réformes de l’Union, est, lui, beaucoup moins spectaculaire. Moins porteur de symboles aussi. Malgré les informations officielles placardées dans 33 journaux quotidiens de l’Union, le risque est réel que le grand public n’y voie qu’un machin institutionnel de plus, piloté par un ancien président de la République française qui incarne tout, sauf le renouveau.

Il serait dommage, pourtant, de rester sur cette réaction grincheuse. La Convention rassemblera 105 personnes, parmi lesquelles des parlementaires européens et nationaux, des représentants des actuels et futurs Etats membres, des commissaires européens, tandis qu’un forum de la société civile sera associé aux travaux. La mission qui sera confiée à cette « enceinte provisoire » -voilà bien un terme tout gonflé de promesses- n’est, certes, rien d’autre qu’une mission exploratoire : tâter le terrain, le défricher, récolter des réponses à une longue liste de questions sur un autre fonctionnement de l’Europe, formuler des propositions aux Etats membres qui en feront ce qu’ils voudront ou pourront (lire l’analyse d’Olivier Rogeau en page 16).

Pour incertaine que soit l’issue effective de cette exploration, celle-ci peut déjà être saluée pour son objectif, sa perspective et sa méthode. Pour la première fois depuis 1957, ceux qui font l’Europe décident d’en poursuivre la construction en étalant largement les plans sur la table de travail, à discuter sans tabou dans un cercle élargi. Comment voulons-nous répartir les pouvoirs entre les pays et leur communauté, leur Union ? Veut-on se doter d’une Constitution, d’un président élu ? Comment garantir vraiment la sauvegarde des compétences nationales, voire régionales ? Faut-il créer une seule grande circonscription électorale européenne ? Derrière ces questions concrètes, et des dizaines d’autres, il n’y a aucune raison de douter que se profile, dans l’esprit de leurs initiateurs, l’idéal d’une Europe transparente, efficace, proche du citoyen, profondément démocratique.

Mais, nous n’y sommes pas encore. On verra par où souffle le vent dans un an ou deux. D’ici là, c’est certain, le travail de la Convention se heurtera aux susceptibilités nationales, aux jeux de pouvoirs, aux critiques (elles se font déjà entendre sur la composition de la nouvelle instance) et aux chocs des visions opposées: l’Europe fédérale contre l’Europe des nations. Les discussions vont être tendues, difficiles, enflammées ? La belle affaire! Ce serait le signe que le processus démocratique est vivant et qu’il ne laisse personne indifférent, pourvu qu’il soit fertile.

Laeken avait sa place dans les livres d’histoire de Belgique. Voilà, à la faveur d’une déclaration, que ce quartier de Bruxelles s’en fraie une autre dans celle de l’Europe. Cela vaut bien un cocorico dans le rituel qui consiste, comme tous les six mois, à évaluer la manière dont la présidence tournante des Quinze a été menée. Rituel pervers au demeurant, qui incite le gouvernement au perchoir tantôt à agir pour marquer des points en politique intérieure, tantôt, au contraire, à délaisser celle-ci. A cet égard, envisager, comme le suggère Louis Michel, l’abandon de la rotation semestrielle de la présidence européenne serait sans doute une très bonne chose. Mais soit. Succombons à l’exercice pour souligner le travail globalement positif de l’équipe Verhofstadt.

Le Premier ministre fut maladroit dans sa lettre ouverte aux antimondialistes, cocufié par trois grands pays qui se concertèrent sans lui, incohérent dans une déclaration sur le Proche-Orient, impuissant dans la négociation sur la répartition des agences européennes. Mais on retiendra plutôt de la présidence belge sa gestion de l’après-11 septembre et les avancées obtenues en matière de qualité de l’emploi, d’environnement (la conférence de Marrakech), d’audiovisuel (le financement des services publics) ou de justice (le mandat d’arrêt européen). Autant de dossiers utiles, concrets, étrangers aux clichés d’une Europe qui ne s’occuperait que de concurrence déloyale et des emballages de camembert.

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