L’étau se resserre

La capture de Barghouti porte un coup dur au soulèvement palestinien, qui se poursuivra en l’absence de toute perspective politique sérieuse

En arrêtant à Ramallah, le 15 avril, le chef du Fatah en Cisjordanie, Marwan Barghouti, le Shabak (la Sûreté générale israélienne) et les unités spéciales de Tsahal spécialisées dans ce genre d’opération coup de poing ont porté un coup majeur à l’Intifada d’Al-Aqsa. Car, en quelques mois, ce député du Conseil législatif palestinien était devenu le porte-draêau du soulèvement palestinien, qu’il avait d’ailleurs annoncée dès juin 2000, trois mois avant son déclenchement.

Mais, pour Israël, il était avant tout le chef des « tanzim » (les milices armées du Fatah) et le dirigeant clandestin, avec Nasser Awess (arrêté la semaine passée), des Brigades des martyrs Al-Aqsa, une structure proche du Fatah qui a revendiqué la plupart des attentats-suicides de ces derniers mois.

Prenant la parole à l’occasion de la fête de l’Indépendance, le 16 avril, Ariel Sharon n’a pas caché son intention de faire juger Barghouti en grande pompe. Et de transformer le procès du député palestinien en un jugement symbolique de l’Intifada. Mais, en attendant, l’Etat hébreu a encore renforcé les mesures de sécurité prises dans ses villes, car, selon le Shabak, le Fatah ne laissera pas passer l’arrestation de son chef, qui se cachait dans un appartement, de Ramallah, en compagnie de son neveu Ahmad Barghouti (présenté comme « l’homme de liaison » entre les Brigades des martyrs Al-Aqsa et Yasser Arafat). « S’il arrive quoique ce soit à notre leader, nous ferons couler des rivières de sang dans les villes israéliennes », a d’ailleurs menacé la direction clandestine des « tanzim », dans un communiqué publié lundi 15 avril en Cisjordanie.

L’arrestation de Barghouti, celle de Nasser Awess et de 4 300 autres « terroristes palestiniens » ont considérablement renforcé le soutien de l’opinion israélienne à l’opération « Rempart de protection », dont le terme est prévu d’ici à la fin du mois. Certes, l’armée israélienne poursuit des incursions ponctuelles dans les villes et villages palestiniens pour y effectuer des arrestations. Mais, après avoir évacué le centre de Tulkarem et de Kalkiliya (Cisjordanie) il y a dix jours, tout en maintenant le bouclage extérieur de ses villes, elle se retirera également très vite de Jénine et de Naplouse. En revanche, tout porte à croire que l’occupation de Ramallah se poursuivra encore longtemps: Ariel Sharon exige en effet qu’Arafat lui livre son conseiller financier Fouad Choubaki (considéré par Israël comme l’organisateur de « trafics d’armes » en faveur de l’Autorité palestinienne) ainsi que les assassins présumés du ministre israélien du Tourisme Rehavam Zeevi, qui se seraient réfugiés à la Maoukhata, le quartier général du président palestinien. Compliquée également, l’évacuation de Bethléem, où 150 combattants palestiniens, de hauts fonctionnaires de l’Autorité palestinienne (AP) et 38 ecclésiastiques sont toujours assiégés par Tsahal dans la basilique de la Nativité. Ou en sont les négociations menées par les représentants des différentes Eglises chrétiennes, par l’officier israélien Marcel Aviv et par le chef d’antenne de la CIA Jeff O’Connor ? L ‘Etat hébreu semble prêt à donner un blanc-seing à « tous ceux qui n’ont pas de sang sur les mains ». Les religieux et religieuses qui seraient, selon lui, « retenus en otages par les terroristes », ainsi que des personnalités comme le préfet de Bethléem. Par contre, Tsahal veut capturer « morts ou vifs » les combattants qui se sont réfugiés dans la basilique et, plus particulièrement Ibrahim Abayat (le chef des Brigades des martyrs Al-Aqsa à Bethléem) ainsi que Abdallah Douawi, le neveu du chef des services de sécurité palestiniens Tawfik Tirawi, réfugié à la Moukhata.

Une nouvelle opportunité

Quel que soit le sort de ces deux hommes, la plupart des observateurs estiment que l’arrestation de Barghouti (qui représentait l’aile dure de l’Intifada, opposée à l’entourage d’Arafat), suivie de l’évacuation à court terme de Naplouse et de Jénine, offrira peut-être une nouvelle opportunité d’abandonner l’option militaire et de reprendre les négociations politiques.

Sur quelles bases ? Lancée au cours de la visite dans la région du secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, l’idée de convoquer une « conférence régionale » à laquelle participeraient, sous la présidence des Etats-Unis, l’Egypte, la Jordanie, le Maroc, Israël et des « représentants palestiniens » (mais pas Arafat) rencontre un certain succès dans les milieux diplomatiques même si l’idée qu’elle puisse se dérouler en l’absence du président palestinien ne semble pas réaliste. Selon Sharon, cette conférence pourrait se réunir dans les six semaines, à condition qu’un cessez-le-feu soit conclu entre Israël et l’AP (ce qui est loin d’être le cas) et pour autant que le terrain soit calme.

Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples: au sein du cabinet israélien, l’idée d’une conférence régionale ne fait pas l’unanimité. Exemple, parmi d’autres: si la ministre de l’Education Limor Livnat (l’un des « faucons » du gouvernement) en accepte le principe, elle affirme qu’elle s’y opposera si l’Europe y est partie prenante. « Les Quinze sont proarabes et leurs prises de position sont unilatéralement propalestiniennes, dit-elle. Nous n’avons rien à attendre d’eux. Ils sont toujours prompts à nous condamner mais ils ne réagissent jamais lorsque l’on brûle des synagogues à Paris et à Bruxelles. »

Dans l’opposition, les « colombes », tels Yossi Sarid, le leader du petit parti de gauche Meretz, et l’ex-ministre de la Justice Yossi Beilin, ne croient pas beaucoup à la sincérité de la proposition faite par Sharon. Ils y croient d’autant moins que l’arrestation de Barghouti risque, à leurs yeux, de radicaliser la base palestinienne, qui continuerait alors à se battre lorsque Tsahal se sera retirée des villes qu’elle occupe. « Je ne sais pas si cet homme est impliqué directement dans les attentats, mais je sais qu’il est un député fort populaire, affirme Beilin. En tant que leader politique, il représente beaucoup de monde dans les territoires et son arrestation ne mènera Israël nulle part. D’un point de vue judiciaire, l’interpellation de Barghouti est peut-être justifiée, mais, politiquement parlant, son procès et sa détention n’empêcheront pas la poursuite des attentats. Nous avons déjà vécu cette expérience il y a quelque années avec le cheikh Ahmad Yassine, le leader spirituel du Hamas, que nous avons finalement été forcés de libérer. Avec le leader du Fatah, la même chose va se produire à un moment ou à un autre. »

Les germes d’un prochain choc

Quel que soit le sort réservé à court terme au projet de conférence régionale, le chef de l’état-major israélien, Chaoul Mofhaz, a en tout cas confirmé qu’une partie des 30 000 réservistes rappelés sous les drapeaux à la fin du mois de mars seraient bientôt libérés de leurs obligations. Mais que d’autres seraient aussitôt appelés à prendre leur place. Ce qui signifie que Tsahal entend demeurer encore longtemps dans les territoires palestiniens. Entre autres, par le biais des « zones neutres » (vidées de leurs habitants et contrôlées par l’armée) que le gouvernement israélien a décidé de créer autour de Jérusalem, de Jénine et de Naplouse. Un projet auquel personne ne semble s’intéresser mais qui contient, certainement, les germes du prochain choc frontal entre Israéliens et Palestiniens.

Serge Dumont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire