L’erreur de Sharon

Le gouvernement d’Ariel Sharon a-t-il une stratégie politique? Et si oui, laquelle? C’est la double question que l’on est en droit de se poser alors que le conflit du Proche-Orient gravit de nouveaux échelons dans l’escalade de la violence. Force est, en tout cas, de constater que le Premier ministre israélien n’a pu honorer son principal engagement électoral, qui consistait à rétablir le calme et la sécurité pour ses compatriotes.

L’équation de Sharon était simple.

1. Israël ne renouerait aucun dialogue de paix avec les Palestiniens aussi longtemps que « les violences » n’auraient pas cessé.

2. Israël riposterait énergiquement à chaque agression palestinienne.

Nous l’avons souligné plusieurs fois dans ces colonnes: un tel pari était perdu d’avance parce qu’il reposait sur le postulat, erroné, selon lequel l’usage de la force militaire israélienne viendrait à bout du soulèvement palestinien déclenché à la fin du mois de septembre 2000.

Au lieu de cela, une spirale implacable s’est engagée entre la violence croissante des uns et la répression de plus en plus brutale des autres, entraînant une surenchère sanglante dans les actes de vengeance. Les tragiques événements de la semaine dernière illustrent ce processus de manière éloquente. Le vendredi 18 mai, en « réponse » à la liquidation « par erreur » de cinq policiers palestiniens, un attentat suicide bientôt revendiqué par le Hamas tue cinq Israéliens – en plus du kamikaze – dans un centre commercial de Netanya, au nord de Tel Aviv. La riposte ne tarde pas. Dans les heures qui suivent, l’aviation israélienne bombarde des sites de l’Autorité palestinienne dans plusieurs villes de Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Bilan: une douzaine de morts et plusieurs dizaines de blessés. Ces événements sont, certes, plus meurtriers que la « moyenne quotidienne », si l’on ose désigner avec une telle froideur statistique le drame qui, en huit mois, a déjà fauché plus de 500 vies humaines, palestiniennes pour la plupart. Mais ces journées sanglantes n’auraient pas attiré l’attention à ce point si Israël n’avait eu recours à des chasseurs bombardiers F-16, ce qui lui a valu la réprobation générale, y compris dans une partie de la presse locale. Fallait-il vraiment que Tsahal (l’armée) utilise des avions de combat contre les Palestiniens, pour que le monde affecte de découvrir la tragédie au compte-gouttes qui endeuille la région depuis l’automne dernier?

Quoi qu’il en soit, ces derniers événements, loin d’affecter la détermination des Palestiniens, ont encore contribué à la renforcer. C’est ce que Sharon, qui disait pourtant « connaître les Arabes », ne semble pas comprendre. De tous récents sondages indiquent, certes, que 62% des Israéliens approuveraient la poursuite des bombardements anti-palestiniens à l’aide d’avions F-16. Mais les dernières mesures effectuées dans l’opinion palestinienne indiqueraient, elles, que 80% de la population (contre 20% avant l’Intifada) approuvent la poursuite des opérations contre Israël, y compris au moyen de commandos suicide.

C’est dans ce contexte de radicalisation extrême que l’environnement international commence à se faire entendre. Timidement. La Ligue arabe, qui fustige sa propre impuissance, recommande à ses membres de cesser tout contact politique avec l’Etat hébreu. L’Europe, bien que toujours freinée par une Allemagne très réticente, étudie une pression économique à l’égard d’Israël -de même qu’un contrôle accru du financement qu’elle assure au profit de l’Autorité palestinienne. Enfin, les Etats-Unis, bien moins impliqués dans le dossier qu’à l’époque Clinton, ont désigné, en la personne de leur ambassadeur en Jordanie, William Burns, un « assistant spécial » qui éclairera la diplomatie américaine au Proche-Orient.

On voit cependant mal comment d’éventuelles initiatives internationales, à supposer qu’elles parviennent à modérer Israël, réussiraient à endiguer la révolte palestinienne. Cinquante-trois ans après la création d’Israël et l’exode arabe de 1948, huit ans après le début du processus de paix amorcé à Oslo en 1993, huit mois après le naufrage des pourparlers de paix de l’an dernier, la majorité des Palestiniens constatent en effet qu’ils n’ont rien obtenu de leurs interlocuteurs. Si ce n’est une extension constante des colonies de peuplement dans les territoires occupés, l’enfermement physique dans quelques poches de territoires « autonomes » régulièrement attaqués, une misère économique, sociale et humaine indescriptible et une répression sanglante de leur soulèvement. Bien peu nombreux sont, dès lors, ceux qui croient encore pouvoir atteindre leurs objectifs d’émancipation par des moyens purement pacifiques. Estimant n’avoir plus grand chose à perdre, la majorité des Palestiniens se sont, au contraire, engagés dans la logique d’une guerre de décolonisation, avec tous les corollaires que suppose une telle entreprise. La première attitude d’un peuple opprimé est, évidemment, de harceler l’occupant, ses soldats et ses colons, dans les territoires occupés. Mais, à défaut de pouvoir obtenir raison d’un adversaire militairement trop puissant, les mouvements de libération cherchent à l’atteindre, par des actions terroristes, au coeur même de son espace métropolitain. C’est, hélas, à ce processus, commun à la plupart des guerres coloniales de l’histoire, qu’Israël doit faire face aujourd’hui. Pour combien de temps? C’est, pour l’essentiel, l’Etat hébreu lui-même qui détient la réponse. Il paraît, en effet, peu probable qu’il puisse persister dans son attitude actuelle sans s’exposer à des sacrifices de plus en plus douloureux. Alors qu’il reste possible, en ouvrant sa raison et son coeur, de s’engager dans des chemins infiniment plus prometteurs.

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