L’ÉPICENTRE DU POPULISME

Christian Makarian

Le respect dû à la pâtisserie et à la psychanalyse – éléments du patrimoine universel – ne doit pas faire oublier le caractère prophétique des basculements dont l’Autriche est capable. Il revient à l’immense écrivain viennois Stefan Zweig de nous avoir légué une oeuvre majeure, Le Monde d’hier, dans laquelle il recomposait admirablement les sociétés d’avant 1914,  » âge d’or de la sécurité « , puis décrivait comment tout devait s’effondrer, dans les années 1930, à travers le  » suicide de l’Europe « .

Pour sûr, nous avons quitté l’ère de la sécurité. Le 24 avril dernier, le pays qui fit la gloire de Mozart a vu s’opposer deux  » solistes « , dont l’un, honorable écologiste sans renommée, est maintenant président fédéral, chargé d’incarner tout un peuple, ainsi que l’une des plus belles cultures plurielles d’Europe. Il n’y a aucune victoire ni aucun vainqueur à célébrer. Plutôt une terrible défaite. Celle des partis traditionnels, éreintés, qui, depuis plusieurs décennies, rythmaient par leurs combines la vie politique de ce pays, tandis que l’extrême droite, organisée en rangs serrés par le FPÖ, poursuivait sa progression inexorable. Même si le FPÖ a raté le sommet d’une toute petite marche (31 000 voix), il va de toute évidence poursuivre sa course tambour battant. Si bien que cette élection va rester dans les mémoires, non par son résultat final, mais par ses stigmates, qui frappent toute l’Europe.

Pendant les deux dernières décennies, la montée des populismes a été analysée – à tort – comme l’exacerbation de particularismes nationaux. C’est ainsi que l’on a dénoncé, tour à tour, la Hongrie de Viktor Orban, la Pologne des Kaczynski, la Ligne du Nord italienne, l’UDC suisse et, bien sûr, le Front national… Le meilleur répertoire des bien-pensants ! Or, les thématiques auxquelles recourent ces extrêmes reposent sur un fond commun. Il faut désormais admettre que tout est possible, et partout : avant même les carnages des derniers attentats terroristes, la crise économique, le rejet de l’immigration, la sensation d’être envahi par des flots de migrants démunis, la focalisation sur l’islam, le discrédit total des eurocrates de Bruxelles ont atteint en profondeur les opinions publiques.

Au point que l’on peut se demander si ces sentiments, qui convergent dans la vision ethnique de ce qu’est une nation, ne sont pas en train de devenir précisément des ferments de la  » nouvelle identité  » européenne : ériger une citadelle. Pour dépasser la spécificité autrichienne, il faut retenir trois leçons, qui retentissent dans l’ensemble du continent. Premièrement, quand un abcès extrémiste s’incruste durablement dans le paysage politique, il finit inexorablement par viser les sommets : le FPÖ a d’abord imposé ses propres thèmes dans le débat politique, puis il a ciblé le siège suprême. Aucune phase n’est anodine. Deuxièmement, la mutation des mouvements d’extrême droite sous la forme d’un populisme  » propre sur lui  » est parfaitement fonctionnelle : quoi qu’il en soit, 1 électeur sur 2 a voté pour le candidat du FPÖ. Troisièmement, l’effondrement des deux grands perdants – le SPÖ social-démocrate et l’ÖVP conservateur-chrétien – est dû non seulement à leur usure, mais aussi à leur affolement face au succès rencontré par les thèmes populistes, tout spécialement au sujet des migrants. Les partis dits  » de gouvernement « , terme si lourd de sens, ont ouvert les frontières avant de les refermer, ils ont choisi de composer. Il est clair qu’on ne combat pas un mouvement populiste en donnant crédit à ses thèses. L’extrême droite autrichienne n’a pas remporté l’élection présidentielle, mais elle a connu une telle avancée qu’on reste crispé sur la prochaine étape.

christian makarian

L’élection autrichienne va rester dans les mémoires, non par son résultat, mais par ses stigmates, qui frappent toute l’Europe

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