L’enlisement

A l’approche du scrutin du 20 août, l’insécurité est telle que, dans certaines régions, de nombreux électeurs pourraient ne pas pouvoir voter. Près de huit ans après l’intervention américaine, les troupes de la coalition occidentale s’enlisent. Dans le pays, l’heure est à la désillusion.

A l’intérieur comme à l’extérieur, il a atteint un sommet d’impopularité. Pourtant, plus louvoyant que jamais, le chef de l’Etat afghan, Hamid Karzaï, a de fortes chances d’être réélu lors du prochain scrutin présidentiel. Peut-être même dès le premier tour, le 20 août. Il n’a, il est vrai, pas ménagé sa peine, au point de conclure des accords avec plusieurs chefs de tribu et seigneurs de la guerre dans les semaines qui ont précédé la consultation. Il a ainsi récupéré, notamment, Abdul Rachid Dostom, un chef ouzbek à la réputation douteuse, dont il a fait son chef d’état-major, et choisi pour colistier le Tadjik Mohammad Qasim Fahim, que les Américains soupçonnent de crimes de guerre.

Les Occidentaux ne cachent plus, depuis longtemps, à quel point celui qu’ils portaient hier aux nues les agace, tant il est incapable de trancher et de mettre un frein à la corruption qui gangrène son entourage. A la fin du mois de juillet, lors d’une visite dans la capitale afghane, l’envoyé spécial de Barack Obama, Richard Holbrooke, qui ne cachait pas, avant sa nomination, qu’à ses yeux Karzaï faisait partie du problème afghan, s’inquiétait publiquement des fraudes auxquelles auraient donné lieu les inscriptions sur les listes électorales.

Faute d’autre candidat plausible, les Américains et leurs alliés tablent sur la réélection de leur ancien protégé. Avec l’espoir que le scrutin redonne à leur action le crédit que la coalition occidentale, présente dans le pays depuis l’automne 2001, a perdu.

Encore faudrait-il que les électeurs ne désertent pas les urnes. C’est l’inquiétude majeure des Américains, en raison de l’insécurité que les talibans font régner dans de nombreuses régions et de la désillusion d’une population dont le sort s’est peu amélioré, en dépit des millions de dollars de l’aide internationale. De source officielle afghane on estimait, début août, qu’environ 600 bureaux de vote, soit 1 sur 10, resteraient fermés. Le jour du scrutin, les vrais chiffres pourraient être encore pires, surtout dans les provinces du Sud, où vivent les Pachtouns. Dans ces régions, selon le responsable d’une association de défense des droits de l’homme de Kandahar, cité par le New York Times, la participation pourrait être inférieure à 30 %. Or une élection qui semblerait exclure cette ethnie majoritaire dont les talibans sont issus affaiblirait un peu plus encore le pouvoir central.

Le discrédit dont souffrent les autorités de Kaboul rejaillit sur la communauté internationale, déjà responsable, aux yeux de nombreux Afghans, de la mort de milliers de civils tués lors d’opérations armées contre les talibans. Pour les forces alliées – plus de 100 000 hommes au total – l’Afghanistan ressemble un peu plus chaque jour à un bourbier. Dans une interview publiée le 10 août par le Wall Street Journal, le général Stanley McChrystal, qui commande les forces américaines sur place, reconnaît même que les talibans ont pris le dessus. Au total, 252 soldats étrangers ont perdu la vie dans ce pays depuis le début de l’année, dont 76 en juillet, un record absolu depuis 2001. Dans un rapport publié à la fin de juillet, les Nations unies, qui entretiennent à Kaboul une armada de fonctionnaires et de coopérants, indiquent que le conflit se déplace  » de plus en plus vers les zones habitées « . Le nombre de victimes civiles a augmenté de 24 % au premier semestre de 2009, selon l’ONU, par rapport à la même période en 2008.

Barack Obama a opté pour une nouvelle stratégie

Estimant que les Etats-Unis ne peuvent se permettre de perdre cette guerre, et prendre ainsi le risque d’une déstabilisation du Pakistan voisin, puissance régionale et nucléaire, Barack Obama a opté pour une nouvelle stratégie. Il a promis d’augmenter le nombre des opérations terrestres destinées à apporter une plus grande sécurité aux populations et à limiter les frappes aériennes. Parallèlement, il a annoncé qu’une ambitieuse politique de développement serait mise en £uvre. Il est certes trop tôt pour apprécier les effets de ce changement de cap. Il est cependant à craindre que les moyens engagés sur le terrain ne s’avèrent très insuffisants. Même avec les 20 000 hommes supplémentaires dépêchés sur place, on est en effet très loin des 150 000 soldats qui ont permis à partir du printemps 2008 au général David Petraeus de reprendre l’initiative en Irak. Les Américains admettent qu’il leur faudra du temps – plusieurs dizaines d’années, affirment certains – et qu’ils ne réussiront que s’ils parviennent à former une armée et une police afghanes crédibles. Or ce pari-là est loin d’être gagné. Et il n’est pas sûr que les opinions publiques suivent, tant aux Etats-Unis que dans les autres pays de la coalition.

Déjà, le gouvernement néerlandais a annoncé le retrait l’an prochain de ses 2 000 hommes. Le Parlement canadien a voté le retour en 2011 de son contingent, lourdement frappé – 128 morts depuis le début. L’opinion allemande est, à moins de deux mois des élections législatives, majoritairement hostile au maintien des troupes. Ce qui a poussé le ministre de la Défense, Franz Josef Jung (CDU), à admettre récemment qu’il fallait s’interroger sur le  » sens de cette mission « . Tout en reconnaissant quelques jours plus tard que l’Allemagne pourrait encore rester dix ans sur placeà

Sauf à voir la coalition se déliter davantage, il devient urgent pour les Occidentaux de présenter les conditions d’un plan de sortie de la crise afghane. Mais comment ? Tout le monde, ou presque, parle aujourd’hui de négocier. Reste à savoir avec qui. Le nouveau secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, rêve d’enfoncer un coin entre le  » noyau dur  » de l’insurrection et ceux qu’il appelle les  » talibans modérés  » – des villageois embauchés pour quelques dollars par jour par la rébellion. Le représentant de l’ONU à Kaboul, Kai Eide, évoque, lui, un processus qui engagerait  » toutes les parties « , notamment les chefs de l’insurrection. Le président Karzaï, enfin, a longtemps espéré que les Saoudiens pourraient jouer les intermédiaires entre lui et les insurgés. Mais les diplomates de Riyad ont vite compris que les talibans, qui ne cessent de marquer des points sur le terrain, n’étaient pas dans une logique de compromis. Déterminés à voir les troupes étrangères plier bagage, ils sont convaincus que le temps joue pour eux.

Jean-Michel Demetz et Dominique Lagarde

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