Femmes assemblant des zeppelins.

L’engagement d’ouvrières belges dans l’économie de guerre allemande.

L’économie de guerre allemande tourne à plein régime et bientôt, ses usines risquent de manquer de main-d’oeuvre. L’occupant décide de recruter du personnel belge, et incite les hommes et les femmes à postuler pour un travail en Allemagne. Car même si dans l’esprit nazi, le foyer est la place de la femme, en temps de guerre, les sexes sont, temporairement, égaux. Le travail doit se faire.

Avec l’arrivée des Allemands, la vie économique s’arrête pratiquement. Durant l’été 1940, un quart de la population active est sans travail. L’occupant entend y remédier le plus rapidement possible. Les Belges sans emploi seront bien utiles dans les usines allemandes. Même les femmes sont incitées à partir en Allemagne pour y travailler comme ouvrières, aides ménagères, soignantes ou couturières. Car si les nazis préfèrent voir les femmes au foyer avec une ribambelle de petits aryens accrochés à leurs jupes, la machine de guerre doit tourner, et les femmes doivent donc sortir temporairement de leur cadre pour prêter main-forte.

De belles promesses sont avancées pour les convaincre. Si l’on en croit la propagande, les travailleurs seront mieux payés qu’en Belgique, et ils y bénéficieront d’avantages sociaux et d’un accès aisé aux soins de santé. Comme le souvenir pénible de la déportation et de l’emploi obligatoire pendant la Première Guerre mondiale est encore très vivace, le  » recrutement  » est laissé aux agences belges pour l’emploi.

Propagande allemande

Durant la première année de la Seconde Guerre mondiale, l’emploi n’est pas encore obligatoire, même si en pratique, on n’a pas vraiment d’autre choix. C’est que ceux qui refusent encourent des sanctions, sans compter qu’en Belgique, l’octroi d’une allocation de chômage (très réduite) est soumis à des conditions bien précises. De plus, les réserves alimentaires baissent. Pour de nombreux hommes et femmes, la conclusion est simple : mieux vaut travailler en Allemagne et envoyer de l’argent à la famille que d’attendre, pauvre, la fin de la guerre.

Bientôt, ce que fait miroiter la propagande se révèle beaucoup moins engageant dans la réalité. Aussi le nombre de  » volontaires  » qui se présentent pour un emploi baisse-t-il à partir de l’été 1941. Et beaucoup d’ouvriers belges ne retournent plus en Allemagne après leur congé.

Une vive protestation

Entre-temps, les Allemands cherchent assidûment de la main-d’oeuvre supplémentaire pour faire tourner leur économie de guerre et finissent dès lors par imposer en 1942 le  » Service du travail obligatoire  » (STO) en dépit des protestations de la population belge. Tous les hommes âgés de 18 à 50 ans et toutes les femmes célibataires âgées de 21 à 35 ans sont  » aimablement priés  » de se présenter. Les réfractaires sont condamnés à la prison ferme et il est fréquent que des membres de leur famille soient pris en otage en guise de sanction. Plus criant sera le manque de main-d’oeuvre, plus pressants seront les Allemands.

La déportation des femmes suscite des réactions particulièrement vives, notamment de la part de l’organisation des femmes catholiques. Les Allemands finissent par céder et au printemps 1943, ils renoncent au STO pour les femmes. Ils espèrent ainsi apaiser quelque peu la colère de la population belge. Ils y parviendront en grande partie, même s’ils se réservent une porte dérobée : le personnel de service féminin peut toujours être contraint à travailler. Or, la définition de cette notion se révèle très extensible. Une fois qu’elles sont arrivées en Allemagne, il est difficile de contrôler où et dans quelles conditions ces femmes sont réellement mises au travail.

Photo de propagande montrant une femme dans une usine Siemens (février 1943) en Allemagne.
Photo de propagande montrant une femme dans une usine Siemens (février 1943) en Allemagne.

Des alternatives ?

Comme la période du travail obligatoire est relativement courte, elle paraît à première vue ne concerner qu’un groupe limité de femmes, mais en réalité, les Allemands en déporteront ainsi entre 20000 et 30 000. De plus, sur toute la durée de la guerre, il n’est pas vraiment question de travail volontaire. Souvent, les femmes n’ont pas le choix et leurs conditions de vie difficiles les contraignent à partir en Allemagne.

L’historienne Hannelore Vandebroek étudie le travail obligatoire des femmes belges en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale. Elle se fonde essentiellement sur les archives administratives et judiciaires car la plupart des femmes concernées par le STO sont aujourd’hui très âgées ou décédées. De plus, la honte les a souvent empêchées de parler de cette période. L’auteure distingue quatre profils types. « L’histoire de ces femmes est très nuancée. Aussi est-il délicat de généraliser la situation des ouvrières belges », explique-t-elle. « Chaque femme agit depuis un contexte différent et même la distinction entre travail « obligatoire » et « volontaire » n’est pas vraiment pertinente. Certaines ont la naïveté de croire la propagande, d’autres ne voient pas d’alternative, et d’autres encore sont contraintes à travailler par l’occupant. « 

L’ouvrière non qualifiée

Dans un premier temps, les Allemands procèdent via les agences belges pour l’emploi au recrutement d’une main-d’oeuvre travaillant jusque-là dans les usines locales. Tant les hommes que les femmes se voient présenter un contrat de travail dans l’un des grands groupes allemands, comme Siemens et Krupp, ou dans les usines de guerre où ils doivent remplir des douilles de cartouches ou fabriquer des uniformes allemands. Mis sous pression, agissant par peur et séduits par une allocation immédiate de 750 francs belges (l’équivalent d’un salaire mensuel), ils signent le contrat.

Dans l’ensemble, le travail dans les usines allemandes n’est pas trop dur. Les conditions y sont meilleures qu’en Belgique et l’infrastructure plus moderne. Mais à mesure que progresse la guerre, les risques de bombardements alliés croissent. A la fin de la guerre, les femmes sont généralement abandonnées à leur sort et entament de leur propre initiative leur retour au pays. En cours de route, elles croisent alors des Alliés ou des centres d’accueil, qui les reçoivent avec méfiance. Suspectées de collaboration, elles y subissent souvent des interrogatoires très éprouvants et voient leurs biens confisqués. Il faudra un changement de la loi en 1953 pour que ces femmes puissent réclamer le statut de victimes de guerre, mais nombre d’entre elles sont pétries de honte et n’oseront pas en faire la demande.

A l'usine Messerschmitt, les femmes travaillent au soudage des avions.
A l’usine Messerschmitt, les femmes travaillent au soudage des avions.

L' » employée de maison « 

A partir du printemps 1943, les Allemands ne peuvent plus obliger les femmes à partir travailler en Allemagne, sauf comme employées de maison. Comme cette fonction fait l’objet d’une interprétation large, le nombre de femmes envoyées pour travailler en Allemagne après 1943 demeure élevé. Généralement, ces femmes travaillaient avant la guerre comme domestiques ou couturières indépendantes. En Allemagne, elles se retrouvent à travailler dans les familles aisées comme aides ménagères, bonnes à tout faire ou femmes de ménage. Certaines ont de la chance et sont traitées avec respect, d’autres vivent dans des conditions pénibles, voire sont victimes d’abus sexuels.

A l'établi, dans une usine de munitions.
A l’établi, dans une usine de munitions.

Plus encore que l’ouvrière non qualifiée, cette  » employée de maison  » craint de passer pour une collaboratrice puisqu’elle part en Allemagne à un moment où le STO est officiellement aboli. Généralement, après la guerre, elle passera sous silence cette période de sa vie, dont même ses enfants ignoreront tout.

La femme mariée

Certaines femmes suivent en Allemagne leur époux contraint d’y travailler. Elles essayent alors, via l’agence pour l’emploi, d’obtenir un poste dans la même usine ou dans le même village que leur conjoint. Dans certains cas, c’est le mari qui demande à sa femme de l’accompagner parce qu’il ne veut pas la laisser seule en Belgique; dans d’autres, l’initiative vient de la femme. Sur place, les Allemands séparent généralement le couple car dans les camps, les baraquements ne sont pas mixtes. Après la guerre, ces femmes mariées seront rarement considérées comme des victimes. Car, officiellement, personne ne les a obligées à partir en Allemagne, même si elles n’ont pas elles-mêmes l’impression d’avoir eu le choix.

La  » volontaire « 

Les cas les plus dramatiques sont ceux des femmes désespérées qui prennent de gros risques pour survivre ; par exemple, de jeunes mères célibataires issues de familles pauvres. En désespoir de cause, elles confient leurs enfants à des tiers – pas toujours fiables hélas -, et partent chercher du travail en Allemagne. Elles y acceptent ce qu’elles peuvent y trouver. Il s’agit souvent des emplois les plus pénibles qui les marqueront jusqu’à la fin de leur vie.

Impossible pour ces femmes d’être ensuite considérées comme victimes de guerre puisqu’elles sont parties  » de leur plein gré « . Par-dessus tout, déconsidérées par leur entourage, elles continueront de vivre dans des conditions difficiles, leurs fréquentations masculines laisseront le plus souvent à désirer et elles se retrouveront chaque fois seules avec leurs enfants qu’elles auront du mal à élever. Elles ne pourront pas bénéficier de l’allocation accordée aux victimes de guerre et elles ne seront pas aidées financièrement par le(s) père(s) de leurs enfants.

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