L’empire menacé

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Alors que sort Atlantide, l’empire perdu, la maison Walt Disney se retrouve sous le feu d’une concurrence inédite. Son propre empire vacillerait-il?

Roy Disney lui-même doit le reconnaître: les temps furent déjà bien meilleurs pour le studio créé par son oncle. Atlantide, l’empire perdu, le dernier dessin animé maison, n’a pas remporté aux Etats-Unis le succès attendu, et la crise internationale née des attentats de septembre enlève de nombreux clients aux parcs d’attraction. Au point de conférer quelque ironie supplémentaire aux images vachardes de Shrek, mettant en scène un pseudo-Disneyland désert. Le triomphe de Shrek a, justement, précisé le danger d’une concurrence de plus en plus vive sur le front de l’animation, et que mène avec intelligence et détermination chez Dreamworks l’ex-patron du dessin animé chez… Disney, Jeffrey Katzenberg.

A l’heure où l’avons rencontré à Monte-Carlo, dans le cadre de la promotion d’ Atlantide, Roy Disney (qui dirige aujourd’hui le département animation du studio) reportait ses espoirs sur la sortie prochaine de Monster Inc., le nouveau film en images de synthèse produit par John Lasseter, le petit génie qui nous combla déjà dans la série Toy Story. « Mon oncle, dont nous allons bientôt célébrer avec éclat le centième anniversaire de la naissance, a connu lui-même une concurrence importante dans les années 1930 et 1940 », rappelle un neveu au commerce agréable. Et Roy d’ajouter: « Dans un marché prospère – et celui de l’animation l’est de plus en plus aujourd’hui -, avoir des concurrents de talent comme Dreamworks doit être une incitation à nous surpasser nous-mêmes, à retrouver sans délai le niveau de nos meilleures productions, dans la lignée de la tradition Disney (du spectacle pour toute la famille), mais sans oublier l’esprit de progrès. On évoque trop souvent mon oncle Walt sous les traits d’un conservateur, alors qu’en son temps il a toujours eu le goût d’innover, que ce soit sur le plan technologique ou sur celui de la narration! »

Mythe et aventures

Atlantide, l’empire perdu est sans conteste, de tous les films d’animation battant pavillon Disney, le plus directement proche de l’esprit et de l’esthétique de la bande dessinée (1). Le studio s’est d’ailleurs tourné vers le dessinateur de bédé Mike Mignola – le créateur de Hellboy – pour définir certaines composantes visuelles essentielles du projet. Ce dernier est né, raconte son producteur Don Hahn, autour d’une table de restaurant, en 1996, quand quelques créateurs de chez Disney s’interrogèrent sur le point de savoir ce qu’ils pourraient bien faire en dehors du genre du conte de fées musical, alors triomphant. Quelqu’un cita Jules Verne, Voyage au centre de la Terre et 20 000 lieues sous les mers. L’idée d’un film d’aventures, sans aucune chanson, fit son chemin, et sa réalisation fut confiée à Gary Trousdale et Kirk Wise, les réalisateurs de La Belle et la Bête (un chef-d’oeuvre) et du Bossu de Notre-Dame. Ils se tournèrent vers le mythe de l’Atlantide, cette brillante civilisation disparue évoquée par Platon et qui serait engloutie, quelque part sous les eaux d’une mer ou d’un océan.

Le héros du film est un jeune homme appelé Milo Thatch, petit-fils d’un explorateur qui approcha de très près le secret de l’Atlantide. Rêvant de prolonger son oeuvre, il poursuit ses recherches livresques tout en cherchant à monter une expédition vers le lieu supposé où se trouverait la légendaire île engloutie. Un milliardaire excentrique, ami de son grand-père décédé, lui apportera son appui financier, et la grande aventure pourra commencer pour Milo. Un peu naïf, ce dernier ne va pas s’apercevoir assez tôt du fait que, dans l’équipe choisie pour l’accompagner, mélange de scientifiques et de baroudeurs, ne se trouvent pas que des individus désintéressés. Et le goût du profit se révélera une bien dangereuse menace lorsque l’expédition aura atteint son but, avec la découverte, sous la terre et les eaux, d’une Atlantide bien vivante, protégée qu’elle est par les vestiges d’une technologie avancée…

« Nous voulions dès le départ que le film ait un look très bédé, avec, notamment, des filles plus sexy! » sourit Roy Disney. « L’époque de la Première Guerre mondiale, où nous avons choisi de situer l’action, fournissait un riche potentiel de références visuelles », ajoute Gary Trousdale, coréalisateur d’ Atlantide, qui ajoute: « Nous nous sommes tournés vers Mike Mignola pour conférer au trait un aspect plus sec, plus décapant. » David Goetz, directeur artistique, chargé de créer l’univers de la civilisation atlantéenne, souligne le concept visuel retenu pour le film: « Tout ce qui appartient à l’Atlantide et à ses habitants est dessiné en rondeurs, tandis que les intrus venus de l’extérieur sont dessinés en angles et pointes. »

Sincérité

Le résultat est un spectacle inégal, riche d’une action mouvementée, de quelques très beaux décors aussi, mais manquant de vraie magie et d’authentiques moments forts. Peut-être aurait-il fallu qu’un responsable à poigne remarque ces défauts à temps, et les fasse corriger. Mais Jeffrey Katzenberg n’est plus là, qui décida au beau milieu de la production de La Belle et la Bête que le personnage de la Bête n’était pas assez réussi, qu’il devait être entièrement recommencé, des milliers de dessin devant se voir modifiés en conséquence… Le leadership du débonnaire Roy Disney serait-il à mettre en cause? L’avenir proche nous le dira, lorsque nous verrons venir de chez Disney de nouvelles productions qui n’auront, cette fois, plus le droit à l’erreur. « Il nous manque seulement un grand succès commercial pour retrouver notre position dominante », estime Marshall Toomey, superviseur artistique d’ Atlantide, où il eut une centaine de créateurs sous ses ordres. « Nous continuerons toujours à faire ce que nous savons faire comme personne, les vaches qui chantent et les poules qui dansent », sourit cet homme affable, un des rares Afro-Américains à occuper une position élevée dans l’organigramme Disney. « Mais, ajoute-t-il, à côté du divertissement pour enfants avec animaux et chansons, il nous faut continuer à repousser un peu plus loin nos limites, comme nous venons de le faire avec Atlantide, l’empire perdu. »

« Quoi que nous entreprenions, conclut le producteur Don Hahn, il nous faudra respecter l’élément le plus important de l’héritage laissé par Walt Disney. Cet élément est la sincérité. Le cynisme doit rester absent des films qui sortent du studio. Nous aurons toujours cette priorité à l’esprit, car c’est elle qui a permis à Disney de devenir et de rester LA référence en matière de divertissement familial. »

Louis Danvers

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