L’autre face de la pile

La pile à combustible est souvent présentée comme une source d’énergie entièrement propre. C’est oublier qu’il faut produire de l’hydrogène

Le 17 décembre dernier, l’université de Liège a inauguré la première pile à combustible installée en Belgique. Achetée à la firme franco-canadienne Alstom-Ballard pour la coquette somme de 3,25 millions d’euros (plus de 131 millions de francs), la pile placée sur le campus du Sart Tilman permettra aux scientifiques de l’ULg de se faire les dents sur cette nouvelle technologie, de mieux comprendre ses principes de fonctionnement et d’en améliorer les performances. La pile en question est un prototype dont il n’existe que 9 exemplaires dans le monde. Un prototype néanmoins fonctionnel: raccordée au réseau d’électricité du campus, elle fournit d’ores et déjà une partie de l’électricité du domaine universitaire. En outre, la chaleur produite par la réaction chimique générant l’électricité est récupérée pour chauffer la piscine des centres sportifs du Sart Tilman.

Depuis quelques années, plusieurs sociétés, surtout dans le secteur automobile, ont assuré une belle publicité à ce nouveau mode de production d’énergie. Des prototypes de bus, mais aussi de voitures, circulent déjà sur nos routes, arborant des slogans écologiques matamoresques du type: « Zéro émission », « La voiture entièrement propre », « La voiture qui ne rejette que de l’eau »… Une publicité quelque peu mensongère, à vrai dire.

Comme la pile de Volta, la pile à combustible convertit de l’énergie chimique en énergie électrique. Deux réactifs sont nécessaires. Un premier dont les atomes sont capables de céder facilement des électrons (le réducteur). Dans la pile à combustible, il s’agit de l’hydrogène. Et un second réactif « avide » d’électrons (l’oxydant). Dans ce cas-ci, on utilise l’oxygène. Le courant électrique est obtenu par le transfert d’électrons du réducteur vers l’oxydant. Mais, contrairement à la pile de Volta, dans laquelle les deux réactifs sont progressivement consommés jusqu’à ce que la pile soit « à plat », la pile à combustible peut être alimentée continuellement par ses deux réactifs.

Ce qui résulte de la réaction chimique ? D’un côté, de l’électricité. Et de l’autre, de l’eau. Ce mode de production énergétique serait effectivement la panacée si l’hydrogène était disponible tel quel dans la nature, comme l’oxygène. Ce n’est malheureusement pas le cas. L’hydrogène doit être produit à partir d’autres composés chimiques. Et les technologies actuellement disponibles pour produire ce gaz génèrent une certaine pollution.

La technique la plus affûtée pour produire de l’hydrogène est celle du « réformage ». « Il s’agit de transformer un combustible fossile, comme le gaz naturel, le méthanol, voire l’essence, en hydrogène, explique le Pr Albert Germain (chimie industrielle, université de Liège). La pile à combustible du Sart Tilman est équipée d’un réformeur – qui est en fait une petite usine chimique – et est raccordée au réseau de distribution de gaz naturel. » Le hic, c’est que la transformation du gaz naturel en hydrogène suppose une combustion classique et rejette du CO2 (principal gaz à effet de serre) et de la fumée dans l’atmosphère. Comme une vulgaire chaudière au gaz ou au mazout ou comme un moteur à explosion. Néanmoins, la pile à combustible équipée d’un réformeur garderait un avantage écologique sur les filières classiques de combustion d’énergie fossile, en raison de ses rendements potentiellement très élevés.

« Pour une même quantité d’énergie produite, explique Albert Germain, la pile consomme moins d’hydrocarbure qu’une source classique. Cet avantage de rendement énergétique serait particulièrement sensible dans les applications de transport. » Certains experts estiment pourtant que les bénéfices environnementaux qui découleraient d’une telle filière énergétique (la pile à combustible équipée d’un réformeur) ne sont pas suffisants. « Il faut prendre en considération le fait que la consommation d’énergie va être multipliée par 2 ou 3 au cours des dix prochaines années, principalement dans le secteur des transports, insiste Patrick Sanglan, directeur de la nouvelle filiale Pile à combustible (Axane) du géant chimique français Air liquide. Il faut développer des filières énergétiques vraiment révolutionnaires. » Selon Sanglan, la pile à combustible pourrait être cette technologie de rupture, à condition que la production d’hydrogène soit réalisée dans de grandes centrales chimiques et non pas à l’échelle de chaque pile à combustible. « En centralisant la production d’hydrogène par réformage dans de grandes centrales, il est envisageable, techniquement et économiquement, de filtrer des gaz indésirables comme le CO2. Ce filtrage, par contre, n’est pas réalisable à l’échelle de chaque pile à combustible. » Encore faut-il savoir que faire du CO2 qui serait ainsi récupéré par ces grandes centrales fabriquant l’hydrogène. Des pistes sont étudiées (stockage dans les fonds marins, dans les anciennes mines de charbon, dans les puits de pétrole), mais rien ne dit que cela sera un jour techniquement et économiquement possible.

La production décentralisée de l’hydrogène présenterait un autre avantage considérable sur une production dans de grandes centrales chimiques. Dans une pile avec réformeur individuel, l’hydrogène est produit au fur et à mesure de la consommation d’énergie. Ce qui supprime les contraintes de stockage de ce gaz très capricieux. « Le stockage de l’hydrogène est technologiquement compliqué, tout particulièrement dans les applications de transport, explique Albert Germain. L’hydrogène est un gaz inflammable et explosif au contact de l’air. C’est aussi un gaz très volumineux. Sa compression réclame beaucoup d’énergie et des matériaux composites très sophistiqués. »

Le réformage à partir d’un combustible fossile n’est pourtant pas la seule technique connue pour produire de l’hydrogène. On peut aussi en obtenir à partir des molécules d’eau. Il s’agit de décomposer, moyennant l’application d’une charge électrique, la molécule d’eau (H20) en ses deux éléments constitutifs: de l’oxygène, d’un côté, et de l’hydrogène, de l’autre. Cette technique s’appelle « l’électrolyse de l’eau ». Mais ce mode de production de l’hydrogène n’est entièrement propre que si l’électricité utilisée pour séparer l’oxygène de l’hydrogène est elle-même propre. Ce n’est pas le cas quand cette électricité est produite grâce à un combustible fossile, que ce soit le charbon, le pétrole ou le gaz.

Des centrales au Sahara?

« On pourrait fabriquer de l’hydrogène par électrolyse là où il existe un potentiel d’énergie renouvelable non exploité, suggère Jean Martin, project manager de la société Promocell, constituée pour gérer la pile du Sart Tilman. Le Canada étudie justement la possibilité d’utiliser son excédent d’électricité hydraulique pour fabriquer de l’hydrogène par électrolyse. » Certains suggèrent, dans une perspective un peu plus futuriste, d’installer des centrales solaires au Sahara. Encore faudra-t-il y amener l’eau. « Sur le papier, tout est possible, tempère Albert Germain. On pourrait même imaginer de récupérer l’énergie dégagée par la fonte des glaces au Groenland. Le tout est de voir ce qui est économiquement viable. » C’est tout le problème de la pile à combustible actuellement. Que ce soit pour des applications stationnaires (fournir l’électricité et le chauffage à de petites communautés comme des villages de vacances, des immeubles d’habitations ou de bureaux, de petites entreprises, des hôpitaux), ou par des applications dans le secteur des transports, l’hydrogène doit encore apporter la preuve qu’il peut concrètement rivaliser avec d’autres filières énergétiques. Sur un plan écologique mais aussi, et peut-être surtout, en termes économiques.

Félix Clément

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