L’audace poétique des moines

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Ils sont moines-poètes et parlent du baiser, du désir, de l’Amour… Gabriel Ringlet raconte six parcours d’auteurs contemporains de premier plan. En primeur, les  » bonnes feuilles  » de son livre.

Voilà un ouvrage qu’on lira de préférence après avoir créé un  » sas de décompression « . Pour se mettre hors champ, s’extraire de l’agitation. Quoi de plus approprié, vu le sujet traité, qu’une écoute des cantiques de louange d’Hildegarde de Bingen ? Ou, si l’on préfère un minimalisme musical plus tendance, la chanson Tout dit du dernier album de Camille. La chanteuse française la dédie précisément à la grande contemplative bénédictine du xiie siècle.

Dans Effacement de Dieu, livre qui sort ces jours-ci chez Albin Michel, Gabriel Ringlet présente six moines-poètes contemporains de premier plan, aux parcours très diversifiés. Son choix s’est porté vers des auteurs francophones dont les oeuvres, déjà éditées, sont à la disposition du public.  » Ces textes ne se situent pas, en priorité, sur le terrain liturgique, prévient le prêtre, écrivain et théologien de Malèves-Sainte-Marie. Pour ces moines, la poésie est une manière de vivre et d’écrire, quel que soit le sujet traité.  »

Parmi ces poètes figure un Belge, Charles Dumont, de l’abbaye cistercienne de Scourmont. Et un Breton de Belgique, Jean-Yves Quellec, prieur de l’abbaye de Clerlande, près de Louvain-la-Neuve. Gabriel Ringlet révèle aussi l’oeuvre d’une dominicaine contemplative, Catherine-Marie de la Trinité, qui s’inscrit dans la lignée mystique des Thérèse d’Avila et Jean de la Croix. Mieux connu dans le monde de la poésie, Gilles Baudry est bénédictin à Landévennec. Il a travaillé en usine et dans la coopération au développement avant de rejoindre la vie monacale. Un théologien de haut vol est inclus dans le cercle des poètes, François Cassingena-Trévedy, moine à Ligugé. Très attaché à sa liberté de penser et d’agir, il lui est permis, trois fois par an, de rejoindre la presqu’île du Croisic et d’embarquer comme ouvrier sur un bateau de pêche.

Outre le père Charles, disparu fin 2009, un autre moine auquel Gabriel Ringlet rend hommage n’est plus de ce monde : Christophe Lebreton, le plus jeune des sept martyrs de Tibhirine, enlevés et assassinés en 1996 en pleine guerre civile algérienne. Forestier en Savoie, jardinier à Notre-Dame de l’Atlas, ce frère trappiste écrivait des poèmes d’une singularité étonnante.  » Il révèle que le souffle du don poétique peut être aussi prophétique, remarque l’auteur. Comme Jésus, Lebreton a vécu son poème jusqu’au sang. Un poème qu’il serait dommage d’enfermer derrière les clôtures de la foi. Ce n’est pas à une contemplation réservée qu’invite frère Christophe.  »

A travers des expressions littéraires différentes, les moines-poètes mettent tous leur parole au service d’une même retenue. D’où le titre du livre.  » La poésie fait voeu d’effacement, explique Gabriel Ringlet. C’est sans doute pour cela qu’elle se sent chez elle dans les monastères et les abbayes. Ce voeu d’effacement, je le vois surtout dans la recherche d’un Dieu qui échappe au champ de la caméra. Pour tenter de le filmer, le moine n’ajoute pas, il retire, il condense, il resserre. C’est le voeu de faire peu de bruit autour de Dieu. D’accepter qu’il s’en aille, qu’il revienne.  »

Pour nous conduire aux auteurs d’aujourd’hui, un chapitre introductif, historique, survole de grandes figures de la poésie monastique et mystique. De Macaire  » le copte  » (ive siècle), ancien esclave et pilleur de tombes devenu père du désert, au moine-poète irlandais dom Colomban (vie), père de l’Europe avant l’heure ; de Bernard de Clervaux (xiie), autre grand poète voyageur, auteur des Sermons sur le Cantique des cantiques, à sa contemporaine Hildegarde de Bingen, théologienne  » féministe  » et médecin  » nutritionniste « . Arrêtons-nous, pour faire bref, à Marguerite Porete. La béguine hennuyère du xiiie siècle a poussé son engagement à l’extrême dans une oeuvre qu’un impératif audacieux résume : il faut se désencombrer de Dieu. Son livre, Le Miroir des âmes simples et anéanties, la conduira au bûcher.

Si un poème se travaille avec des mots et du silence, il arrive qu’il s’écrive dans la pierre et le verre. Gabriel Ringlet a eu un  » coup de coeur  » pour la nouvelle abbaye québécoise Val Notre-Dame, à Saint-Jean-de-Matha, au nord de Montréal(www.abbayevalnotredame.ca). Il y a animé la retraite des moines en févier 2012.  » Ce lieu contemporain, sobre, ouvert à la lumière revisite le meilleur de la tradition cistercienne « , estime-t-il. Sa conversation avec l’architecte de l’abbaye, Pierre Thibault, alimente un chapitre du livre.  » Poète de la douceur, il n’a cessé, durant des heures, de me faire l’éloge du dépouillement. Le plus moine de tous, c’est cet architecte ! « 

Olivier Rogeau

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