L’aspirante au martyre

La Belgo-Marocaine nargue les policiers depuis que son premier époux , Dahmane Abdessatar, a assassiné le commandant Massoud, en Afghanistan. Avec son second mari, elle mène le djihad par Internet.

Lorsque Malika el Aroud est prise au piège de Kandahar, après le 11-Septembre et l’invasion américaine en Afghanistan, elle se sent menacée. Elle est unie religieusement au Tunisien Dahmane Abdessatar. Deux jours plus tôt, ce dernier et un complice tunisien ont tué le commandant Massoud. Un attentat-suicide où les deux meurtriers ont péri. A la tête de l’Alliance du Nord, Massoud résistait aux talibans et empêchait Al-Qaeda de prendre le contrôle de l’Afghanistan. Malika se réfugie à l’ambassade belge du Pakistan. Sa s£ur, qui vit à Bruxelles, lance un SOS à Marie-Rose Armesto, journaliste à RTL-TVI (décédée depuis). La machine diplomatique se met alors en branle pour récupérer la jeune femme qui bénéficie de la double nationalité belge et marocaine. Les policiers espèrent que, vu le contexte international, elle  » collaborera  » aux enquêtes. Cruelle déception !

Née à Tanger en 1959, Malika est une pure Rifaine, fière de ses origines montagnardes et rebelles. Elle arrive encore toute gamine en Belgique. Son père, d’origine modeste, est ouvrier à la voirie. La famille compte encore quatre garçons et filles. Adolescente, elle fait les quatre cents coups, vit à l’occidentale et accouche d’une fille, dont elle se rapprochera plus tard. Mais, au fil du temps, sa grande affaire devient le djihad, la guerre sainte contre les ennemis de l’islam. Malika s’est  » reconvertie  » en entendant, à la radio, l’appel à la prière. Elle a la foi des born again, ces croyants  » nés une seconde fois  » à la faveur d’une révolution intérieure . L’islam qu’elle recherche n’est pas celui de ses parents : soumis, conformiste et traditionnel. C’est un islam militant, extrémiste, salafiste même (qui prône un retour à l’orthodoxie supposée des débuts de l’islam). Il offre un support à sa révolte, puisque cet islam prend le Coran au pied de la lettre et recommande de faire la guerre aux infidèles jusqu’à l’établissement du Califat sur terre et, donc, selon l’utopie musulmane, un règne de justice.

Malika n’a rien d’une exaltée. Si, à l’extérieur, elle promène sa silhouette trapue tout enveloppée de noir, chez elle, à Saint-Gilles, elle a une apparence plus décontractée. Pragmatique, elle se débrouille pour obtenir les allocations sociales qui lui permettent d’évoluer dans son biotope bruxellois. Sa belgitude ne se résume pas à son amour des frites. Elle se sent aussi autorisée à parler haut et fort et à revendiquer ses droits, dans un contexte démocratique où l’expression de ses opinions, fussent-elles subversives, ne constitue pas un délit.

Ce mélange explosif de croyance absolue et de féminisme déterminé fait peur. Elle n’est pas bien vue dans les mosquées, où les femmes musulmanes ne sont pas tenues de prier. La communauté marocaine se méfie d’elle. Malika ne rase pas les murs. Elle ne recourt pas non plus au double langage ou aux circonvolutions pour embobiner et endormir ses interlocuteurs. Arrogante elle est, arrogante elle reste. Son djihad par les mots, elle le clame à la face du monde, donnant même, en mai dernier, des interviews au Monde, à l’ International Herald Tribune et au New York Times. Son avocate, Me Alexandra Tempels, jure qu’elle ne prend la parole que pour redresser des mensonges. Dans son ouvrage publié à compte d’auteur, Les Soldats de Lumière (La Lanterne), elle voulait riposter au livre de Marie-Rose Armesto, Son mari a tué Massoud (Balland), et à des articles de presse. Mais, selon d’autres sources, elle réclamerait 10 000 euros pour être interviewée. Pour le reste, elle fuit tout contact. Sauf par Internet : sa  » souris  » est devenue son sabre. Ce qui a déjà failli lui coûter cher et pourrait lui valoir un nouveau procès.

L’air devenant trop brûlant en Belgique, malgré son acquittement en 2003 pour sa participation supposée à l’  » exfiltration  » de Dahmane Abdessatar vers l’Afghanistan, elle s’est installée en Suisse. Elle y rencontre un  » frère « , le Tunisien Moez Garsallaoui, 39 ans, qu’elle épouse. Le hasard ne joue pas un grand rôle dans ces noces. Les mariages arrangés caractérisent la stratégie des recruteurs salafistes, qui permet de fonder le réseau sur des liens interpersonnels à la fois souples et solides. Malika et son nouveau mari ne tardent pas à éveiller l’attention de la justice helvétique en créant un site Web extrémiste. Celui-ci diffuse notamment des images de la décapitation d’otages coréens en Irak. Elle est condamnée à six mois de prison avec sursis. En 2006, elle revient vers le lieu où elle a ses habitudes et sa famille : Bruxelles.

Les services de sécurité la suivent de près. Fin 2007, elle est présentée comme l’animatrice d’un complot visant à faire évader Nizar Trabelsi (à qui, auparavant, avec toutes les autorisations nécessaires, elle a envoyé de l’argent pour sa  » cantine « ). L’opération antiterroriste de Noël fait un  » flop  » magistral. Interpellée, Malika n’est même pas inculpée.  » Oum Obeyda  » poursuit donc son chemin djihadiste et chatte beaucoup avec son mari, qui s’est rendu  » sur zone « , à la frontière pakistano-afghane. C’est à partir de leurs échanges, notamment, que la division antiterroriste de la police judiciaire fédérale de Bruxelles aurait acquis la conviction qu’un attentat se préparait. Où ? En Belgique ou, peut-être, au Pakistan et en Afghanistanà Rien de sûr. Les policiers, dirigés par le parquet fédéral, ont-ils recueilli assez de preuves (financement, propagandeà) pour la faire  » tomber  » comme membre d’une organisation terroriste ? L’avenir le dira. Nul doute que, pour Malika, un séjour en prison la rapproche de ce  » martyre  » auquel elle aspire.

Marie-Cécile Royen

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