L’art ou l’étendard ?

Plasticien, photographe, vidéaste… l’opposant chinois est aujourd’hui plus connu pour son activisme politique que pour ses ouvres. Pour certains, son engagement est essentiel ; pour d’autres, ses créations sont banales. Portrait d’un homme controversé à l’heure où, à Paris, le musée du Jeu de paume expose ses clichés.

Vous avez peut-être oublié son nom, mais sans doute pas son visage de faune barbu. Et encore moins son histoire, qui a fait la Une de l’actualité il y a quelques mois. Le 3 avril 2011, Ai Weiwei, le plus médiatique des artistes chinois, connu pour ses pieds de nez au régime, était arrêté par la police à l’aéroport de Pékin, sous l’obscur motif de  » crimes économiques « . Sa détention au secret avait soulevé une énorme vague d’indignation. Grâce à la pression internationale, il avait été relâché, au bout de quatre-vingt-un jours. Autorisé à regagner son atelier de Caochangdi, dans la banlieue de Pékin, il était néanmoins privé de passeport et interdiction lui était faite d’utiliser son blog et de quitter la ville.

Plasticien, trublion, militantà mais qui est Ai Weiwei ? Le magazine britannique Art Review l’a placé en tête de son classement 2011 des  » 100 personnalités les plus influentes du monde de l’art « , évinçant les habituelles stars, les Jeff Koons, Damien Hirst, Takashi Murakamià Dans l’Empire céleste, l’appréciation de la communauté artistique se révèle en revanche mitigée.  » Ai Weiwei fait partie d’un groupe de contestataires, analyse Bérénice Angrémy, épouse de l’artiste Huang Rui, un ami de la première heure. Mais il est le seul à avoir émergé aux yeux du monde.  »

Un doigt d’honneur sur la place Tiananmen

Avant son arrestation, il accordait quotidiennement entre trois et cinq heures d’interviews. Il tire sans cesse la couverture à lui, lui reproche-t-on. Et l’on se demande  » ce qui est de l’ordre du combat et ce qui relève de la publicité personnelle « , ajoute Michel Nuridsany, auteur de L’Art contemporain chinois (Flammarion). Ses détracteurs le jugent même meilleur communicant qu’artiste. Alors ? L’exposition du Jeu de paume, à Paris, présentant une vaste sélection de ses clichés, permet de  » mieux cerner le personnage « , selon Urs Stahel, son commissaire.

Ce rebelle de 54 ans est le fils du grand poète Ai Qing, qui, dénoncé comme  » droitier « , a subi les foudres de Mao. Après avoir goûté la liberté new-yorkaise durant une dizaine d’années, Ai Weiwei est retourné à Pékin, en 1993, au chevet de son père, malade. Puis il a pris son envol. Photographe, vidéaste, performeur, créateur d’installations, architecte, il est aussi devenu, à partir de 2005, un blogueur compulsif.  » Internet a changé ma vie « , a-t-il d’ailleurs récemment confié à Alison Klayman, auteur du documentaire Never Sorry. La réputation d’Ai Weiwei a vraiment traversé les frontières vers l’Europe, dans ces années-là, alors qu’il participait au design du stade de Pékin, le fameux  » Nid d’oiseau « , destiné à accueillir les Jeux olympiques de 2008, et que son nom s’affichait à la Biennale de Sydney ou à la Documenta de Kassel.

Au musée du Jeu de paume, où sont exposées ses photos des an-nées 1990, on le découvre provocateur.  » Il l’a toujours été « , se souvient le sculpteur Wang Keping, autre ami de la première heure. Un peu potache, pourrait-on même ajouter. En 1994, à l’occasion du cinquième anniversaire du massacre de la place Tiananmen, il photographie sur les lieux mêmes sa petite amie, jupe retroussée et montrant sa culotte. Il réalise ensuite une Etude de perspective : l’image immortalise sa propre main faisant un doigt d’honneur en direction de cette même place. Il déclinera le concept devant les grands monuments et institutions du monde entier. Ses clichés de la décennie 2000 se veulent plus offensifs. Depuis l’ouverture de son blog, il s’est transformé en cybermilitant, mettant en ligne des dizaines de milliers de billets, de photos et de vidéos.  » Il a la capacité de s’attaquer aux sujets sensibles pour l’opinion publique, commente la réalisatrice Alison Klayman. La dignité humaine ou la liberté d’expression concernent tout le monde.  » Et Ai Weiwei ne mâche jamais ses mots. En 2008, bien qu’ayant participé à l’élaboration des Jeux olympiques, il appelle à leur boycott. Après le séisme survenu dans la province du Sichuan, il accuse l’administration d’avoir détourné des fonds et construit des écoles de carton-pâte dans les décombres desquelles ont péri des milliers d’enfants. Il est passé à tabac et son blog est fermé. Il se  » rabat  » sur Twitter.

 » Le gouvernement lui a fait payer son arrogance « 

Ai Weiwei a ses inconditionnels. Catégorie à laquelle appartient l’artiste Liu Bolin :  » Dans ses £uvres, il traque la vérité. Il essaie de faire réfléchir sur la situation politique en Chine.  » Mais, pour Michel Nuridsany, c’est un  » artiste comme on en voit tant sur la scène internationale, ni plus mauvais ni meilleur qu’un autre « . Ses £uvres dérangent, jouent l’absurde ou le grotesque, mais elles ont effectivement souvent un air de déjà-vu. Certaines de ses photos, surtout celles prises avec un téléphone portable, peuvent décevoir par leur apparente banalité. Elles sont destinées à une diffusion immédiate sur le Net pour témoigner de la réalité du moment, montrant, par exemple, la brutalité des opérations urbanistiques, les bouleversements de la ville et le peu d’estime dans lequel on tient ses habitants.  » Je considère davantage Ai Weiwei comme un activiste « , analyse Michel Nuridsany.

Et c’est justement son  » arrogance que le gouvernement lui a fait payer « , explique Bérénice Angrémy. Son emprisonnement a, en revanche, apaisé les aigreurs. Lorsque les autorités, l’accusant de  » fraude fiscale « , lui ont réclamé l’équivalent de 1,7 million d’euros, un formidable élan de solidarité s’est même déclenché pour lui permettre de réunir cette somme faramineuse. Nul, aujourd’hui, ne met en doute son courage. Ai Weiwei incarne d’abord la défense de la liberté.

Entrelacs, musée du Jeu de paume, Paris (VIIIe). Du 21 février au 29 avril.

Remerciements à Dan Kee Chuang pour ses traductions

ANNICK COLONNA-CÉSARI, AVEC JULIEN WELTER; A. C.-C., AVEC J. W.

Le Web est  » l’un des plus beaux outils dont l’humanité se soit dotée « 

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