L’art de tromper !

Beaucoup d’ouvres dissimulent – des images cachées. Cette pratique, aussi singulière que répandue, compose aujourd’hui le parcours de l’exposition parisienne Une image peut en cacher une autre. L’occasion de découvrir des ouvres à lecture multiple et d’en déceler les secrets les plus inattendus.

Pas moins de 250 £uvres se prêtant au jeu, mystérieux et séduisant, de la représentation plurielle : voilà l’idée géniale de ce parcours ludique et stimulant. Qui prétendrait en effet ne pas s’amuser à essayer de dénicher, sous la forme apparente, l’image voilée ? Le champ d’investigation est aussi large et disparate que la sélection des £uvres. Mais le plaisir tient aussi de cette variété de propositions iconoclastes, articulées autour de grands thèmes : les images composites, les perspectives faussées, les paysages anthropomorphes, les anamorphoses et illusions d’optique, les ambiguïtés érotiques ou encore les taches et tests de Rorschach.

Envisagées de manière anecdotique, les images multiples ont souvent été considérées comme douteuses ou marginales. Pourtant, ces deuxièmes lectures – apparaissant en filigrane de la première – peuplent les plus grandes £uvres d’artistes d’époques et de cultures différentes. C’est du moins ce que tend à démontrer la présente exposition. Quelquefois, ces doubles images ont été attribuées au hasard, à la création fortuite. Pour écarter toute hésitation, les commissaires de l’événement ont pris le parti de n’exposer que celles consciemment incluses et assumées par l’artiste. Malgré cet avertissement, certaines £uvres sèment le doute. L’artiste a-t-il vraiment créé volontairement cet élément suggestif ?

Si l’anomalie ou le détail incongru se font discrets au début de l’exposition, ils deviennent flagrants à mesure que l’£il cherche ce que l’esprit appréhende. L’illusion d’optique de ce  » Canard-lapin  » (paru anonymement dans une revue satirique allemande en 1892, photo 2) en est un parfait exemple. Averti par la légende, on y voit, selon que l’on interprète la partie droite comme un bec ou des oreilles, la tête d’un canard ou celle d’un lapin. Deux animaux représentés de façon quasi synchronisée mais distincte.

Pour pouvoir décrypter toutes les subtilités des £uvres présentées, il vous faudra faire preuve tant de patience que de clairvoyance. L’exercice est souvent moins évident qu’il n’y paraît… A certains moments, grande sera la tentation de capituler en vous exclamant que vous n’y voyez rien. Votre acuité visuelle se serait-elle émoussée ? Pas du tout ! Selon le procédé utilisé et le degré d’habileté de l’artiste, il est parfois très difficile de repérer ces images cachées. L’£il identifie simplement beaucoup plus aisément ce qu’il connaît déjà, ce qu’il s’attend à voir.

Outre leur esprit ludique, ces £uvres sont souvent réalisées pour délivrer un message moral ou symbolique, voire pour y insérer une signification politique ou religieuse… Censure oblige ! L’image double porte également un message spirituel en dévoilant au spectateur l’existence d’une réalité qui transcende les apparences premières.

Parmi les petites perles que réserve l’exposition, de superbes et surprenantes miniatures mogholes dont le charme n’a d’égale que la virtuosité. Ces étranges représentations d’animaux fonctionnent selon le même principe que les portraits composés de fruits et légumes d’Arcimboldo. L’éléphant naît d’un agglomérat d’animaux sauvages et de bestioles entortillées sur elles-mêmes : gazelles, lions, vipères, lapins mais aussi monstres et figures humaines, le tout chevauché par le souverain moghol qui a le pouvoir de maîtriser les passions, d’apaiser les fauves et les démons ( photo 4).

L’exposition fait aussi la part belle au paysage anthropomorphe, représentation où la terre est figurée comme un organisme vivant. Cette pratique connaît depuis la Renaissance des formes extrêmement variées et soutenues. Parmi les exemples les plus étonnants, cette £uvre d’Edgar Degas, Côte escarpée (photo 5) : un paysage vallonné qui semble dissimuler les formes d’une femme allongée. Sur la droite, la falaise évoque une longue chevelure. En continuité apparaissent le visage, les seins, le ventre et les cuisses. Anecdote surprenante : cette image cachée est née par accident, le peintre ayant transformé un nu dont il n’était pas satisfait.

De troublantes doubles lectures

En marge de toute cette production picturale, d’autres – plus aventureux – se sont essayés au jeu en apprivoisant le volume. A elles seules, les remarquables inventions de Markus Raetz réservent leur lot de surprises. Véritable prestidigitateur, l’artiste suisse propose des sculptures qui invitent le spectateur à des doubles lectures réellement troublantes. Observez cette tôle savamment pliée ( photo 1) : la silhouette d’homme se métamorphose, à mesure que l’on change d’angle, en un gentil lièvre. Décidément, après l’emblématique  » Canard-lapin  » rencontré en début de parcours, tout porte à croire que les bêtes à longues oreilles sont favorables aux illusions d’optique !

Véritable point d’orgue de l’exposition, l’extraordinaire installation de Tim Noble et Sue Webster, British Wildlife (Vie sauvage anglaise, photo 3) vaut à elle seule le déplacement. En 2000, Tim Noble hérite de la collection d’animaux empaillés de son père. Avec sa compagne, l’artiste britannique décide de lui rendre hommage en créant cette £uvre à couper le souffle. La composition se présente comme un buisson constitué d’une petite centaine d’animaux sauvages naturalisés. A l’arrière-plan, sur le mur, est projetée l’ombre de cette installation qui, presque par magie, n’est autre que la silhouette du couple réuni dans une souffrance commune.

Une exposition aux allures de joyeux bric-à-brac qui offre l’occasion d’apprécier la malice d’artistes fascinés par les phénomènes optiques, mais qui suscite – aussi et surtout – une puissante réflexion sur ce que peut signifier le verbe  » voir « .

Exposition Une image peut en cacher une autre – Arcimboldo, Dali, Raetz, Galeries nationales du Grand Palais, 3, av. du Général Eisenhower, à 75008 Paris. Jusqu’au 6 juillet 2009. www.rmn.fr

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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