L’AROMATHÉRAPIE S’INFILTRE DANS LES HÔPITAUX BELGES

Malgré les résistances et un manque de reconnaissance, des services de pédiatrie, d’oncologie, de revalidation, de soins palliatifs… expérimentent les huiles essentielles. Reportage.

Depuis mars dernier, trois unités de revalidation du CHU Ambroise Paré, à Mons, intègrent les huiles essentielles dans la prise en charge des patients atteints de douleurs chroniques. Types de pathologies traitées : les douleurs inflammatoires (arthrose, arthrite, maux de dos), neuropathiques (douleur du  » membre fantôme  » après une amputation…) et morales (émotions…).  » L’anxiété accroît la souffrance, constate Nancy d’Hulster, infirmière au CHU. Les médicaments ne peuvent pas tout contre les douleurs postopératoires, lombaires ou autres.  »

Parmi les huiles essentielles les plus utilisées en revalidation : celles de katrafay (du malgache katra, amer, et fay, jus ; l’orthographe  » katafray « , mondialement diffusée, est inexacte), de gaulthérie couchée et de basilic exotique, aux propriétés antalgiques et anti-inflammatoires ; la camomille noble, efficace dans le traitement des chocs nerveux ; ou encore l’ylang-ylang et le petit grain bigarade, réputés pour leur action relaxante, sédative ou antidépressive.  » Les mélanges sont appliqués sur la partie du corps douloureuse, ou sur les poignets pour un usage olfactif, indique Nancy d’Hulster. Toutes les infirmières des services concernés, soit une douzaine par unité, ont participé au programme. Néanmoins, la préoccupation de beaucoup d’entre elles était le surcroît de travail que les soins aux huiles essentielles risquaient d’engendrer. Faute de temps pour faire des massages aux patients, nous les encourageons à se prendre en charge.  »

Une procédure rigoureuse, validée par les médecins, a été mise en place. Le traitement, qui ne remplace pas les médicaments, se fait sur prescription médicale, après un diagnostic de douleur et un test cutané et olfactif, en vue de déceler d’éventuelles allergies, irritations ou désagréments. Par précaution, les huiles essentielles sont toujours diluées dans de l’huile végétale.

Progression encore discrète

L’aromathérapie scientifique pénètre les murs des hôpitaux belges depuis plusieurs années déjà, mais la progression est lente et discrète : rares sont les services à tenter l’aventure, et quand c’est le cas, elle se fait souvent en catimini. En cause : le manque de formation des équipes soignantes et les réticences ou le désintérêt de nombreux médecins. Les plus réfractaires doutent de l’effet réel des huiles essentielles ou, à l’inverse, jugent ces concentrations dangereuses.  » Certains nous traitent d' »apprenties sorcières » « , raconte une infirmière.

Pourtant, les expériences menées jusqu’ici semblent avoir des résultats positifs sur la santé et le bien-être des patients, voire sur le confort de leurs familles et du personnel, selon nos sources en milieu hospitalier. Depuis l’an dernier, des diffuseurs d’huiles essentielles répandent un parfum subtil dans les couloirs de la clinique Saint-Pierre, à Ottignies : une alternative naturelle aux désodorisants synthétiques. En neurologie, les fragrances d’agrumes masquent les odeurs de désinfectant ou de nourriture. En pédiatrie, l’eucalyptus a été choisi pour ses propriétés antiseptiques.

Consentement éclairé

De même, voilà six ans déjà que des parfums naturels de mandarine, de citron et d’eucalyptus flottent dans l’air du service de neurologie pédiatrique de la clinique universitaire Saint-Luc (UCL), à Bruxelles. Dans le couloir, un poster prévient que l’aromathérapie est utilisée sur demande : les parents doivent signer un document indiquant qu’ils ont reçu l’information et donnent leur  » consentement éclairé « .

 » Nous recourons aux huiles essentielles pour apaiser nos jeunes patients, calmer leurs angoisses et leurs douleurs, ou pour améliorer leur sommeil et leur moral, précise Véronique Blondelet, l’une des cinq infirmières de l’unité à avoir suivi une formation en aromathérapie. Les enfants soignés chez nous souffrent de troubles moteurs, d’épilepsie, de traumatismes crâniens, de tumeurs cérébrales… Ils sont soumis à des batteries d’examens et des traitements lourds. La plupart d’entre eux ne peuvent s’exprimer verbalement. Nous sommes démunies face à leur souffrance et leur détresse, auxquelles les médicaments n’offrent pas toujours une réponse.  »

Mélanges validés

Les huiles essentielles sont utilisées aussi bien en massage que par application de gouttes sur un mouchoir ou un oreiller, ou encore via un diffuseur à ultrasons.  » Nous soulageons l’anxiété, les spasmes et les crampes de nos enfants grâce à des massages des pieds, du dos ou du plexus solaire à l’huile essentielle de marjolaine des jardins ou à celle de petit grain bigarade, enchaîne Véronique Blondelet. La menthe poivrée, elle, soulage les migraines. Le mélange citron-mandarine-eucalyptus est diffusé pour favoriser le sommeil. Mais certains de ces produits ne sont pas d’un usage anodin. L’huile essentielle d’eucalyptus globuleux peut, à des dosages élevés, présenter un risque de neurotoxicité.  » Les infirmières ont pris soin de faire valider leurs mélanges par des pharmaciens aromatologues.

Dans le même hôpital, un seul autre service pédiatrique s’est ouvert à l’aromathérapie : celui d’onco-hématologie. Helena Clouwaert, infirmière-chef du service, part d’un constat :  » De plus en plus de parents désemparés, dont l’enfant est en traitement anticancéreux, recourent aux médecines alternatives. Ces familles sont donc ouvertes à l’aromathérapie. Nous leur rappelons toutefois que les huiles essentielles ne guérissent pas le cancer. Elles peuvent, en revanche, soulager les effets secondaires du traitement et réduire le stress des patients. Nous les utilisons pour atténuer l’acné, la constipation et les hématomes lors d’une ponction de moelle.  » Une synergie gingembre-citron-camomille noble se révèle efficace contre les nausées. Le laurier noble, associé à la menthe, accélère la disparition des aphtes.  » En revanche, nous ne pouvons utiliser le ravintsara et le tea-tree, signale Helena Clouwaert. Ces huiles essentielles sont des stimulantes immunitaires : elles risquent de perturber le traitement contre les cellules cancéreuses.  »

Un protocole a été élaboré pour cadrer la démarche.  » La traçabilité du soin administré permet d’identifier la cause d’une éventuelle allergie, poursuit l’infirmière-chef. Par ailleurs, nous avons renoncé à fournir aux parents nos formules de mélanges d’huiles essentielles, car certains enfants rentrés chez eux ont fait des réactions dermiques. Ces produits doivent être utilisés avec précaution.  » A Saint-Luc, le recours à l’aromathérapie n’est pas tarifé, le comité médical de l’institution n’ayant pas validé la démarche. Mais les chefs de service sont autorisés à tenter l’expérience. Les dons d’associations permettent d’offrir les soins aux jeunes patients.

PAR OLIVIER ROGEAU

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