L’appel de la mosquée

Le plus grand lieu de prière musulman du pays va être inauguré à Duisburg. Contrairement à d’autres, ce projet n’a pas suscité la moindre difficulté. Grâce à une politique intelligente de transparence et de mise en confiance.

Ils sont une vingtaine, entassés dans un bureau de chantier. Infirmiers en formation professionnelle, ils écoutent studieusement une femme, Zehra Yilmaz, 44 ans, la tête couverte d’un foulard, qui présente à son auditoire un exemplaire du Coran.  » Dans le livre saint, déclare-t-elle, seuls deux versets sur 6 000 évoquent la tenue vestimentaire des femmes.  » A ces mots, le visage de l’un des participants, Michael, 25 ans, marque un temps d’étonnement.  » J’ai pourtant des musulmans dans ma famille, commentera le jeune homme à la sortie du cours, mais, là, j’ai appris quelque chose. De même, je me réjouis de mettre enfin les pieds dans une mosquée.  » La visite fait aussi partie du programme de cette première matinée de formation, destinée à sensibiliser le personnel soignant d’un hôpital de la région à leurs malades musulmans.

Avec son minaret de 34 mètres de hauteur, sa coupole de 13 mètres de diamètre, la mosquée Merkez, à Duisburg, dans l’ouest du pays, sera la plus grande d’Allemagne. Construit dans le quartier très populaire de Marxloh, l’édifice sera inauguré le 26 octobre. En présence, naturellement, de Jürgen Rüttgers, ministre-président du Land, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, et de toutes les  » huiles  » locales, y compris le curé et le pasteur de l’arrondissement. Pas de contre-manifestations au programme, comme ce fut le cas récemment à Berlin. Pas de congrès anti-islam organisé par un groupuscule d’extrême droite, ce qui eut lieu à la fin de septembre à Cologne. Pas de menace de riverains en colère, non plus. Le lieu de culte de Duisburg ne semble cristalliser aucun mécontentement, au contraire. Même le père Michael Kemper, le prêtre de la paroisse Saint-Pierre, dont le clocher se situe à moins de 500 mètres du minaret, au bout d’une rue bordée d’étroites maisons ouvrières de briques rouges, en soupire d’aise :  » Je suis heureux d’assister enfin à l’inauguration de « notre » mosquée, glisse-t-il, entre deux gorgées de bière. Car ce projet est aussi le nôtre.  » Et si vous demandez son avis au maire de l’arrondissement, Uwe Heider, planté devant le bâtiment, vous le verrez se retourner devant l’entrée décorée de motifs floraux bleu ciel et grenat, et déclarer lui aussi avec satisfaction :  » Elle est belle ! J’espère qu’elle va attirer des touristes dans la région.  » Quel microclimat règne donc à Duisburg ? Comment cette mosquée modèle a-t-elle pu s’imposer ainsi sans susciter la moindre polémique ?

Pas de haut-parleurpour le muezzin

L’explication est simple : au commencement était le verbe. Lorsque est née, au sein de la communauté musulmane de la ville, l’idée de construire un lieu de culte décent sur ce qui était autrefois la cantine d’un puits de mine,  » on a d’abord mis plusieurs années à réfléchir et à discuter !  » s’amuse Zülfiye Kaykin, dynamique présidente de l’association sociale et culturelle de la mosquée Merkez. En 2002, un  » conseil  » est mis en place, où siègent les représentants des élites locales : directeurs d’école et d’université, curé et pasteur, membres de la mairie, responsables du voisinage, d’association et de parti politique. Ce conseil va définir le cahier des charges du projet : les plans de construction seront discutés collectivement. En faisant visiter la salle de prière toute neuve, Zülfiye Kaykin désigne ainsi les larges fenêtres à double battant.  » Ce genre d’ouverture n’est pas typique pour une mosquée, assure-t-elle, mais c’était une idée du conseil : construire dans la transparence pour qu’on puisse voir ce qui se passe à l’intérieur, afin de ne pas en avoir peur.  » De même, on demandera au muezzin de lancer son appel à la prière du vendredi a cappella, sans haut-parleur.  » Comprendre les autres pour se faire comprendre soi-même, c’est l’objectif que nous avons poursuivi depuis le début, reprend Zülfiye Kaykin. Ce conseil nous a permis d’avoir accès à toutes les sensibilités de la société civile locale : en parlant de tout ouvertement, nous avons évité d’établir une relation frontale avec les habitants du quartier, comme ça a été le cas à Cologne, Berlin et Munich.  » Par la même occasion, associer des institutions telles que les Eglises a permis d’augmenter le capital de confiance d’une population souvent réticente.

Car à Duisburg non plus, malgré un dialogue exemplaire, les inquiétudes n’ont pas disparu. Elles sont simplement mieux prises en compte qu’ailleurs.  » Nous avons affaire à des couches sociales très modestes, constate le père Michael Kemper, elles sont déjà loin de leur propre religion – chrétienne, le plus souvent – alors celle des autresà Mais je considère, moi, qu’il est de mon devoir de combattre les préjugés. En répétant par exemple qu’à l’instar des catholiques les musulmans de Marxloh ont droit à un lieu de prière digne. « 

L’association culturelle et sociale que dirige Zülfiye Kaykin a mené un vaste travail de communication publique. En organisant des séminaires d’information sur les musulmans destinés à des personnels de crèches, d’établissements scolaires et d’hôpitaux de la région, en proposant des débats et des cycles de conférences sur l’islam, et tout simplement en ouvrant les portes du chantier de la mosquée : au total, 35 000 personnes sont passées par là l’an dernier. Début novembre, l’association quittera donc son conteneur pour s’installer dans le sous-sol du bâtiment, là où se trouvent aussi des salles de réception ou de séminaire, une bibliothèque, un restaurant, ouverts à tous.  » A nous de faire vivre cette mosquée pour que tout le monde en profite, conclut Zülfiye Kaykin. Pour moi, c’est le signe que nous sommes désormais partie intégrante de la société allemande.  » Quant au curé de Marxloh, il résume :  » Ceux qui étaient des travailleurs invités [Gastarbeiter] dans les années 1960 deviennent aujourd’hui des « invitants ». C’est un bon signe et cela n’empêchera pas nos cloches de sonner ! « 

De notre correspondante; Blandine Milcent

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