L’appel de l’Indien Cherokee

Guy Gilsoul Journaliste

Plus de 120 pièces révèlent l’ouvre de l’Américain sexagénaire Jimmie Durham qui, avant de devenir plasticien, siégea à l’ONU comme premier représentant officiel des minorités.

Avec ses installations de téléviseurs brisés, assemblages hétéroclites, textes, bruits et récup en tout genre, Jimmie Durham est bel et bien un héritier de Duchamp. En réalité, ce sexagénaire originaire de l’Arkansas ne produit pas de l’art mais  » fabrique des choses  » comme il l’écrit. De même il crée moins qu’il ne transforme l’âme, le sens ou la fonction de divers objets dont les provenances autant naturelles que culturelles évoquent à la fois son pays d’origine et ces autres régions européennes où il s’installe toujours de manière éphémère.

Afin de cerner l’art de cet artiste aujourd’hui mondialement reconnu, il faut d’abord rappeler qu’avant de se consacrer à sa carrière de plasticien, il avait alors 40 ans, Jimmie Durham se fit connaître à travers l’action politique. Celle-ci l’amena d’abord à défendre la minorité noire du Texas puis cette autre, des Indiens, dont lui, le Cherokee de souche, fait bel et bien partie. En 1973, soit plus de quatre-vingts ans après le massacre de 300 Indiens par l’armée américaine, des Sioux, sous la bannière du tout récent American Indian Movement, reviennent dans le village de Wounded Knee afin de réclamer leurs droits citoyens. Deux mille hommes de la police et de l’armée tentent de reprendre le bastion. Le siège dure septante et un jours. Jimmie Durham, qui fait partie des insurgés pacifistes, devient cette même année le premier représentant des Indiens à l’ONU. Mieux, le premier représentant d’une minorité. Quelques années plus tard, après un séjour à Genève, sa décision de devenir plasticien s’inscrit dès lors tout naturellement dans une lutte contre la pensée unique des Etats et pour celles, multiples, des minorités. Mais comment ?

 » Constamment, explique-t-il, je parle avec les objets, je joue avec eux et avec les relations qu’il y a entre eux, moi et le monde.  » Pourrait-on alors renvoyer ces assemblages à quelque procédure onirique et, pourquoi pas ?, surréaliste ? La réponse est clairement non. Car, si l’£uvre contient bien cette part d’art magique dont parlait André Breton, elle le doit avant tout à une manière d’être au monde héritée d’une culture harcelée, poursuivie et déplacée par les Blancs au temps de la ruée vers l’or. Or, dans la société traditionnelle amérindienne, l’univers est riche d’objets, d’animaux, de plantes, de roches et d’hommes qui ont tous une âme, une personnalité avec laquelle chacun peut établir des liens. Pour illustrer ce propos, on peut évoquer Le Cerf mort, une sorte de totem coloré aux teintes folkloriques et joyeuses du monde méso-américain. Mais ce serait insuffisant. Car, dans le même temps, aux côtés de la cosmologie indienne et de ses pratiques chamaniques, les Indiens de l’exil ont aussi appris à enrichir leur vie et leur pensée en valorisant une attitude : intégrer les diversités rencontrées au fil des déplacements. Du coup, comme dans La Malinche (l’Indienne assise à la manière d’une Vierge porte un soutien-gorge emprunté au monde des Blancs), c’est bien du pouvoir d’adaptation des minorités que l’on parle. Du coup, le baroquisme issu du mélange jusqu’à plus soif de tuyaux de plomberie, serpents, os de chien, boîtes de conserve, fourrures et vilebrequins prend un sens politique très actuel pourvu qu’on prenne le temps d’un peu de liberté d’interprétation.

Jimmie Durham, une question de vie et de mort et de chansons, au Muhka, 3, Leuvenstraat, à Anvers, jusqu’au 18 novembre, du mardi au dimanche, de 11 à 18 heures, le jeudi jusqu’à 21 heures. www.muhka.be

GUY GILSOUL

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