« L’apparition rapide des vaccins vient des dépenses publiques, non des brevets »

Pour Arnaud Zacharie, secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11), aucun des arguments plaidant pour le maintien des brevets sur les vaccins Covid-19, copieusement financés par les pouvoirs publics, ne tient la route.

Le CNCD-11.11.11 soutient l’initiative citoyenne européenne No profit on Pandemic, qui plaide pour une levée du brevet sur les vaccins. Que répondre à ceux qui estiment qu’une telle décision est contraire à un système censé promouvoir l’innovation?

C’est l’argument massue du secteur pharmaceutique, mais il est contredit par les faits. Il part du principe que l’innovation dépend des brevets. Or, on sait que le secteur développe davantage la recherche pour des médicaments « blockbusters » qui engendreront des profits dans la durée, plutôt que des vaccins luttant une bonne fois pour toutes contre une maladie. Aujourd’hui, l’OMS dénombre 83 vaccins en phase de développement clinique et 184 en phase préclinique. Si on a autant de vaccins en un temps aussi court, c’est grâce aux financements publics, y compris en Occident. En tout, les Etats auraient déjà dépensé 93 milliards d’euros en vue de développer des vaccins.

Les Etats ont réduit le risque financier à quasiment zéro pour les entreprises participant à la production de vaccins.

Vu ces dépenses publiques et les lourdes conséquences sanitaires et économiques de la pandémie, il est donc inconcevable, selon vous, que le privé garde seul la main.

Cela, c’est un fait. Mais ce constat démontre surtout que la rapidité inédite de l’apparition de ces nombreux vaccins s’explique par les financements publics et par les précommandes des Etats, et non par le système des brevets. Les Etats ont réduit le risque financier à quasiment zéro pour les entreprises participant à la production de vaccins.

La levée des brevets ne risque-t-elle tout de même pas de créer un dangereux précédent, pénalisant la recherche pour d’autres vaccins lors de pandémies ultérieures?

Lors d’une prochaine pandémie, il se passera exactement la même chose qu’aujourd’hui: les Etats mettront à nouveau l’argent sur la table, et ils en mettront sans doute encore plus dans le développement des vaccins. L’Union européenne, par exemple, a moins investi dans la recherche que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, mais elle s’en mord un peu les doigts. On voit aussi que l’innovation se trouve davantage dans des PME que dans les big pharma. C’est pourquoi environ 70% des financements publics étaient destinés à ces PME. Le modèle du business des big pharma repose avant tout sur l’acquisition de ces pépites innovantes pour obtenir les brevets, que l’on appelle les actifs intangibles. Quand on analyse les bilans des dix plus grandes sociétés pharmaceutiques dans le monde, ces actifs intangibles sont passés de 13% à 49% du total entre 2000 et 2018. A l’heure actuelle, la plupart des grandes entreprises du secteur dépensent plus dans la financiarisation au profit des actionnaires que dans la recherche et le développement.

Une autre piste consiste à activer les licences obligatoires, pour augmenter les capacités de production et de distribution de vaccins dans tous les pays. Une bonne idée?

Selon moi, c’est un peu la bombe atomique, car une telle mesure sera prise par certains Etats mais pas par d’autres, alors que nous faisons face à une pandémie. Il faut éviter que le nationalisme vaccinal rende l’approvisionnement en composants plus complexe. C’est pourquoi je préfère une solution ordonnée, un accord multilatéral au niveau de l’Organisation mondiale du commerce. Cela permet de développer la production de vaccins à un prix accessible et transparent, sans que l’approvisionnement de certains pays soit menacé par les négociations des autres. Si on ne fait pas une exception au système de brevets pour une telle pandémie, je ne vois sincèrement pas à quoi sert le principe de pouvoir y déroger.

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