L’amour à contre-jour

L’écrivain belge François Weyergans aime se faire désirer. Tel est aussi le moteur qui anime les héros d’une romance en forme de tango. Fidèle au whisky et aux cigarillos, l’auteur revisite cet aller-retour au pays de l’amour et de sa déchéance. Interview.

Le Vif/L’Express : L’écriture vous aide-t-elle à mieux saisir vos  » cogitations  » ?

François Weyergans : [Hésitation.] On écrit quand on a compris. C’est le résultat d’un travail de la pensée. La lecture de la philosophie de Hegel ou de Descartes nourrit la mienne. Mon héros est en proie à diverses dépressions, il croit qu’écrire permet de se libérer. Pour moi, l’idée de vouloir raconter des choses est, sinon vitale, du moins permanente. Sans ce désir constant, je serais malheureux. Je suis toujours aux aguets, mais c’est autre chose de passer à l’acte… Lorsque la prose résiste, elle doit être retravaillée tel un sculpteur qui s’attaque à un morceau de bois rétif. Mes sentiments et ma propre vie ? Je m’en débrouille car je les connais. J’écris pour partager, un peu comme un enfant qui fait le clown devant ses parents.

Pourquoi ce roman d’amour entre Montréal et Paris ? L’amour change-t-il de visage selon les villes ?

Au départ, j’envisageais une histoire d’amour sous Napoléon III. Le roman historique me semblait plus simple, car on a les clés de l’époque. Comme il m’a échappé, je situe l’intrigue de nos jours, où il ne serait pas crédible de refaire Tristan et Yseult. Alors ici, tout commence par le plaisir sexuel, et c’est peut-être par là que tout finit. Plus que l’amour fou, je décris des gens qui tiennent l’un à l’autre. La distance géographique équivaut à la distance psychologique. On nous vend l’amour fusionnel, or c’est le pire qui soit puisqu’il est lié à la vente de cosmétiques, de mensuels féminins ou de vêtements. Cette obligation d’être dans la séduction permanente est perverse ! Il faut rester ouvert à l’imprévisible, or la société ne va pas dans ce sens. La plupart des gens vivent dans le carcan des horaires et des salaires. Je me suis façonné une vie qui peut accueillir l’improviste, mais c’est au prix de grands sacrifices.

Votre héros se nomme Daniel Flamm. Quelle flamme ne parvient-il pas à entretenir ?

Figurez-vous que j’ai trouvé son nom dans un livre d’astrophysiciens, sans même penser à sa symbolique. Une femme, Justine, va tout modifier en Daniel Flamm. Tel un conte d’Edgar Poe, il passera à côté de quelque chose en l’aimant trop tard. Tout le roman a été écrit pour la fin et le désarroi d’une émouvante descente aux enfers. Trouver l’émotion en une phrase induit le courage de couper les phrases qu’on aime. Il ne surgit que juste avant la publication, quand je suis dos au mur. A l’instar de mon héros, ça demande du courage de se regarder en face. Mais à quel prix ? Si je reste un peu flou quant aux sentiments, c’est pour que le lecteur y ajoute les siens.

Cette histoire se veut-elle aussi une confrontation entre Eros et Thanatos ?

Oui, car dès le départ, on connaît la fin, à savoir qu’on peut passer à côté de quelqu’un de fondamental. Je plains les femmes, car elles sont plus inventives, courageuses et inattendues que les hommes. Justine s’inscrit dans ces héroïnes qui font partie de ma vie. Lorsque Daniel la rencontre, il se produit une petite alchimie. Ce qui compte entre eux, c’est l’amour. Leur relation dure des années. Ils s’entendent mieux que s’ils se voyaient tous les jours, tant ils pensent l’un à l’autre. Au départ, l’amour est quelque chose dont se sert la nature pour se perpétuer. Mais heureusement que l’être humain l’a garni de sentiments et de poésie. Cela lui évite d’être un couple de renards ou de hamsters [rires] ! Or, ici, ce pseudocouple existe tout en n’existant pas. La romance représente un mot ancien. Elle est plus calme que l’histoire d’amour, bien que celle-ci ne le soit pas. Mon livre décrit un amour contrasté, qui oscille entre un côté doux et fleur bleue, et une fin violente.

ENTRETIEN : KERENN ELKAÏM

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