L’AMITIÉ QUI CONDITIONNE TOUT LE PAYS

Pour survivre en politique, on conseille toujours le blindage intégral. Puisque les coups viennent de partout. Puisqu’on évolue dans une arène, dans une jungle, sur un ring. Il faut pouvoir tuer le père, tromper l’allié, empoisonner l’époux, étouffer l’héritier, guillotiner l’adversaire. Pas de sentiments, répète-t-on. Confiance en personne, jamais. Mordre au bon moment, au bon endroit, façon cobra.

La politique, c’est marche ou crève. Seul contre tous, même ceux qui font partie de la famille, du clan. Seul face aux meutes d’ennemis. La scène belge ne fait pas exception. Au-delà des convergences d’intérêt plus ou moins ponctuelles, quelques inimitiés féroces, confinant à la malveillance réciproque, voire même à la franche exécration, ont rythmé l’histoire du pays. Pesant sur son cours, donc.

Ce fut le cas notamment entre Jean Gol et Charles-Ferdinand Nothomb, Leo Tindemans et Wilfried Martens, André Cools et Guy Spitaels, Jean Gol et Louis Michel, Philippe Moureaux et Charles Picqué, Guy Verhofstadt et Wilfried Martens, Gérard Deprez et Olivier Maingain… C’est le cas aujourd’hui, et depuis des années, entre Elio Di Rupo et Didier Reynders, Paul Magnette et Charles Michel, Reynders et Joëlle Milquet, Reynders et Moureaux, Reynders et les Michel père et fils, Armand De Decker et Olivier Maingain, Jean-Claude Marcourt et Rudy Demotte… Jusqu’au sein d’un même parti donc, la haine divise cadors et courants. Elle peut se développer avec une telle ampleur qu’elle conduit à renier sa parole, violer un accord, empêcher l’alternance.

L’inverse est rarissime : une amitié qui permet de passer entre les bombes et les mines, sain et sauf. Fait encore plus exceptionnel : que cette amitié lie deux ténors de deux partis différents, et a priori opposés. C’est le cas avec la relation qui unit Elio Di Rupo et Joëlle Milquet. Dix ans, tout juste, qu’ils sont l’un pour l’autre bien davantage que des partenaires de majorité et de gouvernement : une sorte de yin et de yang interchangeables de la politique belge du début du XXIe siècle. L’un ne pouvant aller sans l’autre, sous peine d’élimination automatique du pouvoir.

L’idylle entre Di Rupo et Milquet, pour authentique qu’elle soit, reste donc avant tout politique. Mais, sans être d’ordre contre-naturel sur le fond, elle relève davantage d’intérêts personnels que partisans, même si elle a servi au PS pour éviter l’opposition et au CDH pour échapper à la liquidation : l’axe formé en 2004 est bien plus un axe Di Rupo-Milquet qu’un axe PS-CDH. L’alliance visait à exclure la mainmise du MR sur Bruxelles et la Wallonie, et à assurer la légitimité en interne des deux présidents fragilisés par les résultats électoraux de leur formation respective. Aujourd’hui, dix ans plus tard, alors que le triple scrutin de mai prochain pourrait sonner la fin du tandem, on ne peut que constater qu’elle a influencé, depuis, toute la politique belge. En rendant impossible une législature sans le PS, en 2007. Donc en renforçant, par la bande, la droite nationaliste flamande incarnée par la N-VA, en nourrissant les conflits internes au MR, maintenu dans le rôle du cocu magnifique, en installant Elio Di Rupo dans une fonction de maître absolu, avec Joëlle Milquet collée à son carrosse.

Le dossier que nous y consacrons cette semaine illustre ainsi que, pour survivre en politique, l’accointance et l’intérêt commun peuvent aussi faire office de blindage idéal.

de Thierry Fiorilli

 » Elio Di Rupo et Joëlle Milquet, sorte de yin et de yang interchangeables de la politique belge du début du XXIe siècle  »

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