Dans La Promesse de l'aube, Pierre Nimey incarne Romain Gary, et Charlotte Gainsbourg sa mère. © NICOLAS VELLTER

L’âge de raison

Une fois de plus épatant dans La Promesse de l’aube, le jeune comédien Pierre Niney affiche, à 28 ans, une maturité troublante. Rencontre.

Plus jeune pensionnaire de la Comédie-Française (à 21 ans), plus jeune vainqueur du César du meilleur acteur (à 25, pour Yves Saint Laurent). Tout va vite pour Pierre Niney ! Pourtant, le natif de Boulogne-Billancourt n’a rien d’un homme pressé. C’est de manière très posée, réfléchie, aimable aussi, qu’il répond aux questions autour de sa trajectoire et de son nouveau rôle : celui de Romain Gary dans l’adaptation de son roman biographique La Promesse de l’aube. A 28 ans, avec aussi derrière lui des performances marquantes dans Frantz et L’Odyssée, le fils brillant d’un prof de cinéma et d’une auteure de manuels de loisirs créatifs affiche une lucidité des plus impressionnantes, doublée d’une maturité troublante pour quelqu’un qui incarne spectaculairement la jeunesse.

Je n’ai jamais écouté les gens qui me disaient de prendre mon temps. Et je suis content d’avoir été impatient !

Jouer un écrivain réel et célèbre, dans un film dont le scénario est l’adaptation d’un livre que ledit écrivain a en bonne partie nourri des souvenirs de sa vie : le travail supposait plusieurs niveaux étroitement différents et en même temps intimement mêlés…  » Tout ce qu’a produit Romain Gary (1) est particulier, commence Pierre Niney. A chaque fois qu’on ouvre un tiroir le concernant, il y a un autre tiroir dedans ! C’était donc une matière foisonnante à travailler. Le film n’est pas un biopic, ce n’est même pas une autobiographie factuelle : c’est une autobiographie sensationnelle, comme le disait lui-même Romain Gary, qui y a ajouté beaucoup de sensations, c’est- à-dire du romanesque, et des choses imaginées. Gary nous surprend toujours. Dans son roman, il fait par exemple atterrir en pleine guerre mondiale un avion dont le pilote est devenu aveugle au combat : c’est incroyable mais, pourtant, c’est réellement arrivé. Et il y a par ailleurs dans le livre des choses qui paraissent vraies alors qu’elles sont inventées. C’est une véritable oeuvre !  »

Pierre Niney ne s’est pas lancé, cette fois, dans une  » mission de ressemblance  » comme il l’a souvent fait pour d’autres personnages,  » en cherchant dans des images d’archives la voix, le corps, la manière de bouger « . Il n’a pas pour autant fait l’impasse sur un travail de documentation :  » J’ai relu du Gary, j’ai regardé des interviews, je me suis surtout imprégné de cet univers complexe et passionnant qui est le sien – comment son enfance l’a nourri, en particulier. Quand on lui demandait les raisons qui l’avaient poussé à écrire La Promesse de l’aube, il répondait qu’il avait voulu rendre un hommage à toutes les mères, et que tous les livres qu’il avait écrits étaient des déclarations d’amour à la féminité.  »

Parmi toutes les potentialités du cinéma, celui qui a déjà plus d’une fois tourné des films d’époque apprécie surtout celle qui fait de cet art une machine à voyager dans le temps.  » Je suis littéralement transporté par le travail des grands décorateurs et des grands costumiers, qui aide beaucoup. Quand on s’habille le matin, tout change d’un coup : le rapport au sol est différent d’avec les baskets qu’on enfile d’ordinaire machinalement, mais aussi le rapport aux matières, à l’esthétique des lieux. Je vis ça comme un rêve d’enfant, un plaisir absolu.  »

Impatience récompensée

Jouer un personnage sur une durée de trente ans de vie, se projeter de la fin de l’adolescence à l’âge mûr ? Pas l’ombre d’un problème pour le comédien !  » Je ne crois pas aux âges. Evidemment, il y a l’idée factuelle de l’expérience accumulée, qui fait qu’on a connu plus de situations. Mais dans ma jeune vie, j’ai vu des gens âgés avec tellement peu de maturité, et des gens jeunes qui en avaient tant que j’ai du mal à souscrire à ça. Evidemment, c’est peut-être pour moi une manière de désacraliser la chose et de me dire que je peux jouer des rôles plus âgés. Mais quand je vois un Xavier Dolan qui, à 25 ans, a déjà fait deux chefs-d’oeuvre, quand on sait que Tchekhov avait 18 ans quand il a écrit Platonov, que Rimbaud a écrit toute sa poésie entre 15 et 20 ans… Personnellement, j’ai eu la chance de savoir très tôt ce que je voulais faire. Je n’ai jamais écouté les gens qui me disaient de prendre mon temps. Et je suis content d’avoir été impatient ! De m’être toujours dit qu’il n’y a pas d’âge pour faire ceci ou cela. Pour jouer quelqu’un d’âgé, je travaille la fatigue de la voix, la fatigue du corps, ces petites et grandes déperditions qui me touchent, que je trouve belles…  »

Même sans croire aux âges, Pierre Niney, au physique de jeune premier, constate à quel point la caméra peut magnifier la jeunesse de celles et ceux qu’elle filme. Il cite la beauté, par exemple, d’un Alain Delon de 25 ans dans Plein Soleil ou Rocco et ses frères.  » La caméra capte, malgré nous, quelque chose de notre jeunesse, quelque chose de ce qu’on est. Dans le cas de Delon, cela se passe à son insu, presque. Il irradie tellement et la caméra est là, qui fixe ça pour toujours ! « 

Mais, au fond, fait-on l’acteur pour se montrer en pleine lumière ou au contraire pour trouver un refuge ?  » Je ne crois pas à l’éternel cliché voulant qu’on fasse ce métier pour se placer au centre de l’attention, flatter son ego, dans un besoin irrépressible de se montrer. Je connais beaucoup de gens qui le font au contraire pour se cacher. Moi-même, je fais partie de ceux pour qui parler en public, avec mes mots à moi, est une vraie torture ! Même à un mariage, prendre la parole, c’est une catastrophe. Alors que dire le texte d’un auteur devant 900 personnes quand je jouais à la Comédie-Française me posait beaucoup moins de problème. Parce que ce sont les mots des autres…  »

Sa conclusion sera pour ses professeurs.  » De la primaire au lycée en passant par le collège, ils sont ceux qui m’ont poussé à faire du théâtre, qui m’ont montré que c’était possible. Ce sont des pédagogues, de grands pédagogues, et on ne leur rend pas assez hommage. On critique de toute part mais souvent injustement l’enseignement français.  » Nul doute qu’il s’emploiera, son tour venu, à remplir un jour ce  » devoir de transmission  » auquel il croit tant.

(1) Les oeuvres les plus connues de l’écrivain russe naturalisé français sont, outre La Promesse de l’aube,Les Racines du ciel et La Vie devant soi, tous deux couronnés du prix Goncourt (en 1956 et 1975) et – pour le second – publié sous le pseudonyme d’Emile Ajar.

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