Kots : les beaux jours sont derrière

Le marché du logement étudiant liégeois a connu son heure de gloire, avant de se heurter à une politique urbanistique draconienne. Si les petits investisseurs capitulent, les promoteurs en profitent.

Le marché immobilier recouvre plusieurs segments et s’adresse à différents publics, tant en termes de types de biens que de candidats à l’acquisition ou à la location. Outre les segments de l’immobilier commercial et résidentiel, dont on parle beaucoup, celui du logement étudiant est en plein essor. A Liège, comme ailleurs.

La Cité ardente est, en effet et à l’instar de Bruxelles (environ 85 600 étudiants), Gand (65 000), Louvain (50 500), Anvers (38 800) ou Namur (15 600), une ville étudiante. D’une certaine importance, puisqu’elle se place en quatrième position à l’échelle de la Belgique, forte de quelque 45 000 étudiants, répartis, selon les chiffres du Siep, entre l’ULg et les Hautes écoles. Autant de jeunes – et moins jeunes… – qu’il faut loger, pour peu qu’ils ne soient pas issus de la région. Ils représentent entre 18 % et 20 % des étudiants à Anvers, 40 % et 50 % à Namur, voire jusqu’à 60 % ou 70 d’entre eux à Gand ou Louvain. Liège, quant à elle, s’aligne sensiblement sur les statistiques anversoises, avec 26 % de koteurs rien que dans les rangs de l’ULg, principal vivier en la matière (5 600 étudiants sur 21 600 au total). Soit une masse de locataires non négligeable, qui éveille l’intérêt des investisseurs depuis des années.

D’autant plus que l’offre de logements dite  » académique  » est plutôt limitée : l’ULg, pour ne citer qu’elle, dispose en tout et pour tout, selon son Service logement, de… 360 chambres, concentrées dans sa résidence universitaire de Sart-Tilman. Quand bien même l’université a le projet de construire 150 à 200 nouveaux kots sur le campus, la porte est ouverte au développement d’un marché immobilier estudiantin liégeois, dans lequel évoluent principalement des particuliers, petits ou gros joueurs.

Certains en ont d’ailleurs carrément fait leur fonds de commerce, multipliant les acquisitions d’immeubles et autres maisons à diviser jusqu’à constituer des portefeuilles importants. Avec, à la clé, une rentabilité supérieure à celle qu’ils peuvent obtenir du marché résidentiel classique. En effet, sachant qu’une maison de ville comprend entre cinq et sept chambres, le choix de louer son bien à une famille ou à plusieurs étudiants capables de débourser entre 250 et 350 euros par mois et par personne est vite fait.  » Beaucoup de gens se sont lancés dans cette brèche, attirés par un rendement de 10 % à 15 % par an « , acquiesce Olivier Hamal, président de la section liégeoise du Syndicat national des propriétaires et des copropriétaires (SNP).

Des divisions illégales…

Ces investisseurs ne se sont toutefois pas préoccupés de considérations urbanistiques. Or la division d’immeubles et de maisons unifamiliales en petits logements est soumise, en Région wallonne, et depuis 1994, à la délivrance d’un permis d’urbanisme. A la décharge de ces propriétaires peu scrupuleux… ou peu informés, nul ne se souciait alors de pareilles dispositions légales.  » Pendant longtemps, ni les notaires ni les agents immobiliers n’ont attiré l’attention des acheteurs sur les contraintes urbanistiques, assure Olivier Hamal. Pas plus que la Ville de Liège, d’ailleurs.  » Résultat, la bride lâchée, le marché des logements étudiants a explosé, jusqu’à représenter quelque… 7 000 à 8 000 unités.

Il était temps que la Ville reprenne les rênes de la situation, ce qu’elle a fait voici deux, trois ans. Face à des abus, commis notamment par certains propriétaires véreux et autres marchands de sommeil, elle a mis sur pied une politique urbanistique tranchée, déclarant la guerre à la transformation d’unifamiliales en  » homes étudiants « . Et augmentant, dans la foulée, l’offre de maisons comme d’appartements de qualité, prisés par des résidents autrement plus fortunés… et soumis à l’IPP. Dans sa tâche, elle s’est armée d’outils fiscaux comme de mécanismes existants, tels que le permis de location. Indispensable pour tout petit logement de 28 m² ou moins depuis 1998, son obtention est notamment conditionnée, depuis 2005, à celle d’un… permis d’urbanisme.

 » Il faut toutefois faire la part des choses entre les propriétaires de bonne volonté et les autres, nuance Olivier Hamal. Ceux qui respectent les normes de sécurité et de salubrité, paient la taxe sur les petits logements, disposent, depuis la mise en location de leur bien, du permis nécessaire, et se voient à présent déboutés lors du renouvellement de celui-ci, ont toutes les raisons de demander des comptes à l’administration.  » Du coup, la Ville a assoupli sa force de frappe pour ces cas particuliers, en leur accordant le précieux sésame à condition qu’ils régularisent leur situation et limitent le nombre de petits logements au sein de leur bien, passant, par exemple, de huit à… trois kots. Reste que, pour les autres comme pour les nouveaux acquéreurs, l’administration se montre intransigeante. Et le prix des immeubles en règle s’en ressent, refroidissant les velléités des petits investisseurs.

… dont profitent les promoteurs

Une situation qui profite à d’autres. Longtemps absents du marché estudiantin, les promoteurs et autres professionnels de l’immobilier y font, en effet, leur entrée… remarquée. Accueillis, il faut le dire, à bras ouverts par la Ville, dont la volonté affichée est, désormais, de regrouper les étudiants au sein de grands ensembles. Histoire  » d’encadrer le phénomène et de circonscrire les nuisances « .

Plusieurs projets se sont donc annoncés, sur les traces de la reconversion pionnière de l’ancien home universitaire Ruhl, situé sur le boulevard d’Avroy, en  » student hotel « , exploité depuis 2008 par City Living. Ainsi on répertorie la construction d’un second ensemble par le groupe anglais, place Emile Dupont (recalé car jugé disproportionné par les riverains et la Ville) ; la transformation de la résidence André Dumont en 236 kots par Eckelmans, place du XX août, (le permis a été accordé, les travaux sont en cours et l’inauguration est proche) ; la construction de 235 kots sur le site désaffecté des usines Sacré bordant l’esplanade Saint-Léonard par le promoteur liégeois Laurent Minguet via sa société Mimob (initialement projeté pour 285 kots, le projet a été recalé et réduit suite au recours introduit par 450 riverains) ; ou encore la réaffectation de l’ancienne gare de Jonfosse en 64 kots (enquête publique clôturée, demande de permis en cours).

Misant sur des  » kots de qualité « , ces différents projets attendent le juste retour de leur investissement… en monnaie sonnante et trébuchante. Et s’attirent ainsi les foudres des représentants étudiants et des partis de l’opposition, qui leur collent l’étiquette de  » kots de luxe « , hors de portée du budget d’un étudiant.  » Les loyers pratiqués s’alignent plutôt sur les moyens de professeurs associés, de doctorants ou de chercheurs « , reconnaît Olivier Hamal, qui pointe le fait que  » la Ville commence à déchanter « . Le patron du SNP liégeois met par ailleurs en garde les particuliers qui se porteraient acquéreurs d’une ou plusieurs chambres au sein de ces projets sur les futurs problèmes de copropriété que leur taille apportera dans quelques années.  » Pour l’instant, ces immeubles sont beaux et neufs, mais qu’en sera-t-il dans vingt ou trente ans, quand il faudra entamer de lourds et coûteux travaux de rénovation des communs ?  » glisse-t-il.

FRÉDÉRIQUE MASQUELIER

Des  » kots de qualité  » : un luxe inabordable ?

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