Juanita, la vierge des glaces

Guy Gilsoul Journaliste

L’Empire inca a longtemps gardé ses secrets. Parmi eux, celui du sacrifice d’enfants. L’exposition du Wereldmuseum de Rotterdam lève le voile avec un ensemble de pièces des plus remarquables aux plus impressionnantes.

C’était en 1995. Avec son guide péruvien Miguel Zarate, l’archéologue américain John Reinhard part en expédition sur les pentes du volcan Ampato. Après de longues journées de marche, ils s’approchent du sommet. L’air se raréfie, le froid gagne en intensité. A 6 380 mètres d’altitude, la température voisine les -30°. C’est alors que, dans une cavité, ils découvrent un étrange paquet qui semble les avoir attendus depuis plus de cinq cents ans. A l’intérieur, enroulée dans une cape trop grande pour elle, une momie, incroyablement intacte. Etonnamment jeune et belle. Les analyses révéleront son âge : 14 ans. Aussitôt appelée Juanita, la vierge des glaces, elle livrera d’autres surprises : elle ne souffrait d’aucune maladie et les soins apportés à son physique devaient la situer parmi les enfants des classes les plus aisées de la société inca. Alors pourquoi ? Pourquoi l’avoir emmenée si haut pour la tuer d’un violent coup sur le crâne ? Comment expliquer en outre son vêtement bien trop grand pour elle, comme si, une fois morte, elle devait encore grandir ? Et pourquoi, autour d’elle, tous ces présents venus des quatre coins de l’Empire ? Une deuxième momie d’enfant est trouvée non loin. Cette fois, elle paraît bien avoir été brûlée au visage par… la foudre. Depuis, l’archéologie en a trouvé 16 autres, sur d’autres sites volcaniques comme celui de Llullaillaco. Là, sous une plate-forme cérémonielle se trouvaient trois tombes au fond desquelles, à deux mètres de profondeur, gisaient en position f£tale un garçon de 7 ans, une fillette de 6 ans et une ado de 15 ans.

Explication. Pour comprendre ce rituel particulier, il faut d’abord rappeler que l’éphémère Empire inca (1400-1533) s’inscrit dans une culture locale vieille de plus de trois mille ans. Ses croyances sont vivaces et liées à une géographie aussi difficile qu’imprévisible. Certes, le soleil dont la sueur n’est autre que l’or des orfèvres joue un rôle majeur. Mais il y a d’autres acteurs. Ainsi, afin de ménager les forces divines qui habitent les montagnes (la violence des volcans, les inondations et les brusques changements climatiques), les Incas qui ont toujours fait du  » don  » la première condition des échanges et du pouvoir, sacrifient ce qu’ils ont de plus cher et de plus beau. Ici, en l’occurrence, leur plus bel enfant. Or, dans cette société hautement hiérarchisée, ce sont bien les plus hauts dignitaires, voire l’empereur lui-même (l’Inca), qui doivent se plier à ce rituel. Une fois désigné, l’enfant est d’abord fêté, choyé, gâté. Puis un long cortège se met en route avec, à sa tête, le chef suprême et sa cour. Arrivé à l’endroit choisi, la future victime boit jusqu’à l’ivresse la chicha. Endormie, il ne reste alors qu’à lui asséner le coup de grâce. Ou à la laisser tout simplement mourir par l’action conjuguée du manque d’oxygène et du froid qui, au fil des jours, activera le processus de momification. Enfin, on la descend dans sa tombe, le volcan, avec à ses côtés d’autres dons offerts par toutes les régions d’un empire vaste comme celui qui, aujourd’hui, relierait Saint-Pétersbourg au Caire.

Inca’s Capac Hucha,. Wereldmuseum, Willemskade 25, Rotterdam. Jusqu’au 15 novembre. Tous les jours, sauf le lundi, de 10 à 20 heures. www.wereld-museum.nl Catalogue édité par Le Fonds Mercator. Par Thalys en une heure onze, à partir de 25 euros (www.thalys.com).Notons qu’à partir du 10 septembre la Pinacothèque de Paris présentera une exposition sur l’Empire inca avec plus de 250 pièces (orfèvrerie, céramique, sculptures et… une momie).

GUY GILSOUL

Les Incas sacrifiaient ce qu’ils avaient de plus cher et de plus beau

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