Jours de fesses au Louvre

D’accord, impossible d’ignorer le sourire de Mona Lisa ou les ailes de La Victoire de Samothrace. Mais, dans le musée parisien, on peut aussi apprendre à regarder d’autres oeuvres par-devant et… par-derrière. Suivez le guide.

Le rendez-vous est fixé à 19 heures sous la Pyramide, du côté de l’entrée des groupes. Les hordes de touristes se sont dispersées, et l’accalmie de ce début de soirée s’annonce propice à la visite que propose Bruno de Baecque : la découverte des  » plus belles fesses du Louvre « . Le guide-conférencier, la cinquantaine, a le sourcil facétieux derrière ses lunettes. Ce n’est pas un homme du sérail mais un comédien reconverti, un  » regardeur professionnel « , comme il se présente, qui aime partager ses émotions. Et les nus,  » plus excitants qu’une commode Louis XV « , se prêtent justement au partage. Sa recette ?  » Proposer des angles de vision pour réveiller les regards.  »

La petite troupe, constituée d’une dizaine de personnes, ne cache pas sa curiosité. Les visages affichent déjà un léger sourire. En guise de préambule, Bruno de Baecque distribue une sorte de masque, qu’il a confectionné lui-même. Il s’agit d’un triangle de carton percé d’un oeilleton et fixé sur une baguette chinoise. En référence au laser, il l’a baptisé  » Rasec  » :  » regard amplifié par stimulation d’émission de concentration « . Le Rasec sert à percer le coeur des oeuvres. Si l’on peut dire. Tandis qu’on ferme un oeil, l’autre permet d’isoler un détail, en faisant abstraction du reste. La fesse mérite attention.

Lorsqu’on scrute les peintures dans leurs moindres recoins, lorsqu’on examine les sculptures sous toutes les coutures, la pierre, le bronze ou les pigments se métamorphosent en chair.  » A vous de trouver l’angle qui fera jaillir le frisson, explique Bruno de Baecque. Et peu importe si vous ignorez le nom des artistes.  » Le voilà qui se dirige vers le Gladiateur Borghèse. Dans leur course vers La Joconde, les touristes qui, dans la galerie Daru, défilent par millions, dédaignent souvent ce marbre antique. C’est le premier  » face-à-fesse  » de la soirée.

 » Ce cul n’est pas vaincu  »

Ce gladiateur a  » l’attitude d’un rugbyman jouant à l’arrière, prêt à attaquer en sortie de touche ou de mêlée « , commente le conférencier. Et chacun d’admirer sa musculature. Mais ce n’est qu’une  » mise en bouche « , comparé à Dircé. Cette beauté de la galerie Michel-Ange, signée Bartolini, ne reçoit généralement que des regards furtifs. Voluptueusement allongée, elle semble pourtant interpeller les visiteurs, telle Brigitte Bardot, dans Le Mépris, de Godard, lançant à Michel Piccoli :  » Et mes fesses, tu les aimes, mes fesses ?  »

Evidemment, qu’on les aime. Comment résisterait-on à de tels arguments ? Mais il faut se placer derrière la belle, comme le conseille Bruno de Baecque. L’oeil glisse alors dans l’axe de ses jambes.  » Que vous évoquent ces volumes ?  » interroge-t-il.  » Des ballons « , suggère un participant, sans doute amateur de foot. Et pourquoi pas des abricots, des tomates, des coussins… de la douceur, en tout cas, car ce postérieur déclenche des envies de caresse. Des mains s’avancent. Ne pas toucher. C’est interdit. Si l’on se tourne vers les voisins de Dircé, la tension monte. Ici, la mortelle Psyché est ranimée par le dieu Amour. Canova a fait de ce baiser un tel feu d’artifice qu’on ne sait sous quel angle l’aborder. Décryptage de Bruno de Baecque :  » De face, ce baiser est à la croisée d’un X géant, centre d’une cible dont les contours sont les bras, mais si vous passez derrière, les deux raies de leurs fesses forment un angle à 90 degrés. Et vous découvrez la cascade de cheveux de Psyché, dont les boucles évoquent l’écume.  » Vu comme ça, évidemment…

Mais cette visite oblige parfois à des contorsions. Pour admirer Adonis, tête de sanglier sous le pied, qui trône dans la galerie Michel-Ange, il faut, là encore, opérer un contournement par l’arrière. Le problème est qu’on se retrouve adossé à une fenêtre, le nez presque collé à un postérieur charnu. Et nul besoin de Rasec pour constater que cet Adonis n’a rien d’un Apollon. Fusent quelques remarques assassines concernant les kilos superflus et un régime nécessaire ; remarques dont on sent qu’elles s’adressent à une personne en chair et en os, et surtout en chair. Dans la salle des Caryatides, les fesses du Gaulois blessé suscitent des moues approbatrices. Mais il a d’abord fallu s’accroupir. Elles mériteraient, c’est sûr, l’oscar de la virilité si leur profil ne révélait des rondeurs féminines.  » Ce cul n’est pas vaincu, et sa sensualité nous donne envie de faire l’amour, pas la guerre « , lance Bruno de Baecque, philosophe.

Ce guide a l’âme d’un poète qui aime appeler un chat un chat, parce que les émotions, selon lui,  » ne parlent ni latin ni grec « . Dès que l’occasion se présente, il pointe l’érotisme qui surgit là où on ne l’attend pas. Pour preuve, La Mort de Sardanapale. Quoi de plus sauvage que ce meurtre saisi par le pinceau de Delacroix ? Assiégé, le roi assyrien ordonne à ses esclaves d’égorger ses maîtresses, dont sa favorite, au premier plan. Une scène d’une telle cruauté qu’on en néglige ses courbes appétissantes. Il suffit pourtant de se décaler. Vu de biais, le tableau prend une autre allure. A travers l’oeilleton, on se met à détailler le corps nu débordant de sensualité, qui semble jaillir en relief de la toile. Et on le dévore des yeux, en oubliant ce barbare de Sardanapale.

De même avec la Vénus de Milo. On la snoberait volontiers, la star. On la connaît trop.  » Filez derrière, souffle le guide. C’est là que tout se joue.  » Il a raison. Dans l’enfilade des arcades, se détache le dos de la déesse, tandis que, sur ses hanches, glisse un drapé, laissant apercevoir l’échancrure des fesses. Un miracle de volupté. L’envers ne vaut cependant pas toujours l’endroit. En témoigne, le fameux Esclave mourant, de Michel-Ange. Ici, le postérieur est à peine esquissé. Grosse déception. La sculpture, réalisée pour le mausolée du pape Jules II, devant être installée dans une niche, est inachevée. Mieux vaut, du coup, revenir à la vision frontale. Même si cet homme nu qui se caresse est une bombe d’impudeur.  » L’art est présenté comme sacré, mais il n’y a rien de plus charnel « , constate une visiteuse d’un soir.

Dans une vitrine repose une terre cuite des plus coquines

Et l’on n’a pas tout vu ! La salle la plus  » chaude  » du Louvre ne paie pas de mine. Juste un corridor, consacré à la sculpture gothique, situé à la sortie d’un ascenseur. Les visiteurs ne s’arrêtent pas. S’ils savaient ! Dans une vitrine repose une petite terre cuite des plus coquines, signée du Suédois Johan Tobias Sergel. Elle s’intitule Centaure enlaçant une bacchante.  » Main aux fesses  » serait plus exact. Car c’est l’image qu’offre cette oeuvre, de dos. Vue de trois quarts, elle laisse même apparaître des doigts encore plus entreprenants et, si on se déplace davantage, on note que le Centaure ne manque décidément pas de vitalité. Qui dit mieux ? Bruno de Baecque a réservé le meilleur pour la fin : la célèbre sculpture romaine de l’Hermaphrodite endormi. Lascivement étendu, le fils d’Hermès et d’Aphrodite exhibe ses attributs masculin-féminin, de façon si voluptueuse que, plusieurs siècles après sa création, le Bernin glissa un matelas de marbre sous son corps androgyne… La visite s’achève. Le groupe revient sous la Pyramide. Chacun se serre la main, l’oeil dans le vague. La nuit à venir pourrait bien ne laisser personne de marbre.

Infos pour les visites : Vusouscetangle.net A lire : Les Plus Belles Fesses du Louvre, par Bruno de Baecque (Séguier).

Par Annick Colonna-Césari Photos : Bertrand Desprez/Vu pour Le Vif/L’Express

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