Jonathan, 14 ans, la rue, la prison, l’enfer

A Kinshasa, de plus en plus d’enfants sont arrêtés pour viols, association de malfaiteurs ou simples vols. Les nouveaux juges de la jeunesse tentent de trouver des alternatives à la détention.

La tête rentrée dans les épaules, le regard fixe et sombre, Jonathan est assis au milieu de la cour. Des enfants plus jeunes que lui l’entourent, le houspillent, tentent de le mêler à leurs jeux. Mais le garçon en haillons est indifférent à tout.  » Il vient d’arriver au centre, confie un éducateur. Il a passé plus de deux ans à la prison centrale de Makala. « 

Prostré, Jonathan ne répond pas quand on l’interroge. Il aurait 14 ans. Ou 15. Un shégué (enfant des rues) ? Un kuluna (voyou, bandit) ?  » Un simple petit voleur sur les marchés, répond l’éducateur. Il ne parle presque pas. Il dit qu’il est malade.  » Pierrot, autre adolescent placé dans ce  » centre de sauvetage  » de Ngaliema, commune de l’ouest de Kinshasa, explique :  » Jonathan a volé la chikwangue d’une marchande. La  »maman » a menacé de lui jeter un sort s’il ne lui rendait pas immédiatement son pain de manioc. Il raconte que le pain s’est alors transformé en cercueil. Il dit aussi qu’il est envoûté.  »

Les éducateurs du centre confirment ces propos. Ils rappellent que la sorcellerie et les pratiques fétichistes tiennent toujours une grande place dans la société congolaise.  » Ce garçon devrait bénéficier d’un soutien psycho-médical « , reconnaît Hilaire Omalete, directeur du centre.

Conséquences désastreuses

Mais pourquoi l’a-t-on incarcéré au pénitencier de Makala, où s’entassent assassins, caïds de la pègre kinoise, violeurs,  » comploteurs  » et hauts fonctionnaires condamnés pour détournement des deniers publics ?  » Accusés d’homicide, d’agression, de vol qualifié ou victimes de rafles de la police, beaucoup d’enfants de la rue se retrouvent en prison, nous précise Me Anastasie Muleka, du barreau de Kinshasa Matete. Le pavillon X de Makala, réservé aux garçons mineurs, compte aujourd’hui 165 détenus. Les mineures, elles, sont placées au pavillon IX, avec les femmes adultes, dont beaucoup se livrent à la prostitution et aux relations homosexuelles. Vous imaginez les conséquences sur les gamines ! « 

Les tribunaux pour enfants manquent de moyens

Jugés par des tribunaux pour adultes jusqu’à la promulgation de la loi congolaise de 2009 sur la protection de l’enfant, les mineurs sont désormais, en principe, traduits devant des juridictions spécifiques. Mais la plupart des tribunaux pour enfants créés dans le pays n’ont pas les moyens de fonctionner : l’intervention de l’Etat et des bailleurs de fonds est insuffisante. En outre, les juges pour enfants, formés avec l’appui de l’Unicef et de la Communauté française de Belgique, sont trop peu nombreux.  » Notre travail n’est pas toujours pris au sérieux « , déplore Daudet Mputu Ilua, président du tribunal pour enfants de Kinshasa.

Installé il y a dix-huit mois dans un baraquement préfabriqué de la justice de paix de N’Djili, ce tribunal dépourvu d’équipement moderne a pris en charge 1 900 cas. Quelque 350 enfants seulement ont pu être réintégrés dans une famille. D’autres, âgés de 14 à 17 ans, rejoignent des  » centres de sauvetage « , comme celui où vit à présent Jonathan. Alternative à la détention des jeunes, ces centres sont rares à Kinshasa et en province.

Les jeunes récidivistes au pénitencier

L’établissement de Ngaliema est un centre d’éducation et de réhabilitation semi-ouvert. Dans la cour, les jeunes  » en conflit avec la loi  » ou rejetés pour  » sorcellerie  » jouent avec des gosses de militaires venus d’un camp tout proche.  » Avec une autorisation, les enfants placés par le juge peuvent sortir, notamment pour se rendre à l’école, explique Hilaire Omalete, le directeur. Bien sûr, il y a des fugues. Les récidivistes se retrouvent à Makala. « 

Sur le tableau noir d’une classe du centre, un éducateur social a inscrit une série de messages destinés aux jeunes :  » Un enfant, c’est un ange « ,  » N’accuse pas sans preuve un enfant d’avoir volé « ,  » Tu n’es pas ici pour toujours « ,  » Tu dois te préparer à rentrer chez toi « …  » Ici, il y a un peu d’espoir de voir les gamins s’en sortir un jour, glisse Daudet Mputu Ilua, le président du tribunal pour enfants. Ceux qui sont à Makala, eux, quittent leur geôle plus dangereux qu’à leur arrivée. Pour ces jeunes-là, pas de réinsertion possible ! « 

OLIVIER ROGEAU, ENVOYÉ SPÉCIAL À KINSHASA

 » Les récidivistes se retrouvent en prison « 

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