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Jeux japonais

Les Jeux olympiques de l’été 1964 lavent l’affront, pour l’ensemble du peuple nippon, d’une guerre perdue. Ceux de 2021 questionnent un statut d’hyperpuissance économique menacée de vieillissement. Avec le sport comme baromètre d’émancipation.

Le 23 octobre 1964, l’équipe de volley féminine du Japon remporte la médaille d’or face à l’Union soviétique. La victoire de celles qu’on surnomme les « Sorcières de l’Orient » aura un impact considérable sur la société japonaise. Cette histoire (lire page 56), l’écrivain-journaliste Akio Takahata la remet dans son contexte: « Le Japon était sorti considérablement affaibli et humilié de sa défaite de la Seconde Guerre mondiale qui avait fait près de trois millions de victimes dans le pays. Les Jeux olympiques constituaient donc une extraordinaire occasion de se relever, face à la communauté internationale, celle qui avait banni le Japon des JO de 1948. » Ceux de 1964 font entrer le pays dans la modernité, notamment par la construction de nouvelles infrastructures routières, le développement du métro de Tokyo et la mise en service du Shinkansen, ce train à grande vitesse à profil d’oiseau. Dix-sept ans, quand même, avant l’inauguration du TGV.

Le sport olympique rince donc la défaite de 1945, dans un enthousiasme réel de la population, pourtant peu rompue à certaines des compétitions disputées, comme le montre Tokyo Olympiades, le film fleuve – plus de trois heures – de Kon Ichikawa, où se trouvent néanmoins les images du cataclysme du 23 octobre 1964. Ce jour-là, la défaite en judo d’Akio Kaminaga devant le Néerlandais Anton Geesink constitue un véritable désastre national. L’impossible devenu vrai. Mais c’est aussi la prise de conscience que l’étranger s’inspire une nouvelle fois de la culture locale, un siècle après le japonisme (1). Quitte à vampiriser cruellement, ce soir-là à Tokyo, la plus fameuse de ses disciplines sportives.

En 1964, l'équipe nationale féminine de volley japonaise avait triomphé à Tokyo. Cinquante-sept ans plus tard, la ville accueille la XXXIIe Olympiade, dont la vasque a été enflammée, le 23 juillet, par la tenniswoman japonaise Naomi Osaka.
En 1964, l’équipe nationale féminine de volley japonaise avait triomphé à Tokyo. Cinquante-sept ans plus tard, la ville accueille la XXXIIe Olympiade, dont la vasque a été enflammée, le 23 juillet, par la tenniswoman japonaise Naomi Osaka.

Fukushima économique

Le 24 mars 2020, la pandémie gonflant un peu partout sur la planète, les deuxièmes JO de Tokyo sont reportés à l’été 2021. Episode d’incertitude qui prolonge une candidature contestée depuis son origine par la population. Celle-ci est étonnée, voire choquée, que deux ans à peine après le désastre de Fukushima et son trauma national, le pays, ou plutôt la capitale, accepte l’organisation des Jeux olympiques. On est alors en 2013. « Entre 1964 et aujourd’hui, il y a eu un glissement. C’étaient les Jeux du Japon, ce sont devenus ceux de Tokyo, explique le sociologue du sport Masafumi Arata alors que l’on se retrouve au village olympique de l’édition 2021, en bordure du port de Tokyo. Les athlètes de 1964 étaient logés dans des baraquements en bois, sans grand confort, construits dans le Yoyogi Park, ex-base militaire américaine de l’après-guerre. Les actuels logements pour les 11 000 participants – plus leur entourage – ressemblent à des condos de luxe. Dont Masafumi Arata analyse l’avenir: « Après les JO, ces espaces seront vendus comme des appartements à de riches familles, de jeunes couples fortunés. Ce n’est pas un hasard: tous les aménagements dans ce coin-ci de Tokyo, ancien quartier de pêcheurs évidemment évacué de ses habitants originaux, incarnent un énorme enjeu économique pour Tokyo. La ville a consenti depuis au moins une décennie des investissements considérables, souvent à perte. Pas étonnant qu’elle ait fait une telle pression – à l’instar du Comité international olympique (CIO) – pour surpasser la pandémie et la réticence des Japonais. Une annulation définitive aurait provoqué un Fukushima économique. »

(1) Dans la deuxième partie du XIXe siècle, la peinture et la littérature, française et occidentale, sont influencées par l’art japonais.

Reportage effectué avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

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