Jeux d’encres

Guy Gilsoul Journaliste

Les photographies de Michael Kenna relèvent tout à la fois de l’art japonais de la calligraphie et du haïku. De son périple en Hokkaido, il ramène des images minimales et essentielles.

Pour la quatrième fois, Michael Kenna revient à Bruxelles alors qu’au même moment, ses photographies sont aussi présentées à Lucerne, HongKong, Londres et San Francisco et qu’en ces premiers jours de 2016, Séoul, Dallas et Singapour s’apprêtent à les exposer à leur tour. Pourtant, ses images proposées en noir et blanc sur de petits formats ne s’inscrivent dans aucune des catégories attendues et défendues par le grand marché de l’art. Pas de drame au menu et moins encore de complaisance. A 62 ans, cet Anglais aujourd’hui basé à Seattle fait de chaque photo un moment d’expérience intime avec lui-même et la nature. Solitaire, il se souvient qu’enfant déjà, dans la petite ville industrielle du nord de l’Angleterre, il aimait rejoindre le parc et la compagnie des arbres à qui il parlait tout bas. Il aime aussi rappeler certains jours comme au Mont-Saint-Michel où il partageait la vie des moines et photographiait la nuit. Mais c’est au pays du Soleil levant qu’il trouve désormais ces moments bénis.

La première fois, voici trente ans, Michael Kenna avait découvert les temples et les jardins mystérieux de Kyoto et de Nara, les anciennes capitales du Japon impérial. Depuis, il a exploré le pays en ses différentes parties, chaque fois plus fasciné :  » J’ai réalisé à quel point les Japonais honoraient et révéraient la terre.  » Plus récemment, il a rejoint l’île d’Hokkaido en quête de ces lieux quasi déserts où, par un minimum d’éléments, dialoguent, à la manière d’un souvenir, la nature et une structure laissée par l’homme. Un arbre et une barrière. Un vallon et une clôture. Un lointain et une muraille. L’océan et un torii (portail shintoïste). Mais l’efficacité de ces rencontres minimalistes, qui n’est pas sans évoquer le pouvoir évocateur des haïkus, résulte en réalité de la combinaison de quatre facteurs. Le premier, essentiel, relève de l’expérience profonde et presque religieuse entre le photographe qui se décrit comme un pèlerin et le point de vue choisi :  » Le paysage, confie-t-il, devient un lieu de dévotion où l’on peut se reposer et méditer, voire échapper aux complexités et au tumulte de nos vies modernes.  » Le deuxième relève du moment choisi : l’aube, le crépuscule, les neiges d’hiver ou les brouillards d’automne desquels le photographe tire des espaces évanescents. Les blancheurs et les gris à peine différenciés rompus çà et là par le noir profond d’un pin penché, par exemple. Le troisième est d’ordre technique : le temps de pose. Souvent très long, il provoque une déréalisation de l’apparence des nuages, des vapeurs ou de l’eau en les métamorphosant en vastes plans suspendus entre opacité et translucidité. Le quatrième se passe au moment du tirage que Michael Kenna réalise toujours lui-même aux sels d’argent, viré au sépia. L’image est alors poussée vers l’effacement des contrastes ou, au contraire, vers la dureté de certains éléments quasi calligraphiques. La maîtrise est totale. Le résultat, sensuel.

Michael Kenna. Forms of Japan, à la Box Galerie, à Bruxelles. Jusqu’au 23 janvier. www.boxgalerie.be

Guy Gilsoul

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