Jean Dujardin » Etre connu, ce n’est pas un plan de carrière « 

Chemise bleue près du corps, bras étendus sur le canapé, plaisanteries au bord des lèvres, visage souriant. Difficile de savoir si Jean Dujardin joue ici un rôle mais s’entretenir avec lui reste un moment agréable. Il faut dire qu’en ce moment sa vie professionnelle est plutôt en rose : comédien français parmi les plus populaires, il s’est lentement détaché du Loulou d’Un gars, une fille pour s’installer dans le camp comique intelligent et parodique (OSS 117) avant d’aborder des rôles plus dramatiques. Et plus grinçants également. Dans Le Bruit des glaçons, de Bertrand Blier (le 8 septembre), il joue un écrivain face à son cancer, interprété par Albert Dupontel. Du rire en papier de verre. Qui lui va bien. En septembre, il tournera un film en noir et blanc muet sous la direction de Michel Hazanavicius. Personne ne l’attend dans un truc pareil. Mais c’est justement ce qu’il aime.

Le Vif/L’Express : Vous avez eu 38 ans il y a quelques semaines. Il est donc temps de faire un bilan de votre vie. Comment allez-vous ?

Jean Dujardin : Bien. Qu’est-ce que je pourrais vous dire de plus ? Je n’ai pas encore l’angoisse de la quarantaine. Donc, de ce côté-là, pas de problèmeà J’essaie de chercher un truc pertinent mais je ne vois pas grand-chose. Ça va. Je suis surtout très content des films que j’ai tournés ces derniers mois. Celui de Bertrand Blier, notamment. Et ceux de Nicole Garcia et de Guillaume Canet. Cela dit, si je regarde mon parcours, je ne peux pas dire que j’ai ramé. Ce serait même indécent de l’affirmer. Je ne sais pas si j’ai fait les bons choix mais j’ai l’impression d’avoir fait ces choix-là au bon moment. J’ai commencé dans les années 1996-1997, à l’époque où apparaissait une nouvelle génération de comiques avec des gars comme Jamel [Debbouze] ou Gad [Elmaleh]. J’étais un peu dans la vague. Les choses se sont déroulées. Il y a eu des coups de main. Voilà.

Jusqu’à quel point maîtrisez-vous la façon et la vitesse à laquelle vous avancez ?

Je suis sur un cheval au galop. Il faut tenir les rênes. Parfois, il s’emballe. Je ne contrôle pas tout. Lorsque le film est gros, je m’attends à devenir une image, une marque. L’important, c’est de ne pas se perdre. A partir du moment où je peux retrouver ma vie hors des projecteurs, je suis capable de faire la part des choses et de ne jamais être dupe de ce que l’on dit sur moi. Je sais m’arrêter. Je reste en fond de court. J’observe. Et, surtout, parce que je suis fabriqué ainsi : j’ai mes doutes et mes angoisses. Au début de ma carrière, c’était stressant. Aujourd’hui, je prends cela comme un atout : être heureux à chaque tournage, comme une première fois.

Il faut dire que vous avez aussi le choix de dire oui ou non. Ce qui n’est pas le cas de tous les comédiens.

Oui, mais il y a un revers à cette médaille : il faut traquer les projets originaux, singuliers et ne pas se contenter de ce que j’ai déjà fait. Mais rien n’est facile. Le film de Blier a mis un an et demi à se monter. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi. C’est absurdeà Bertrand Blier, quand même ! C’est un type qui a fait du bien au cinéma ! Je conçois que l’alliance comédie-cancer fasse peur. Mais il y a de l’espoir, de l’amour, des dialogues, du Blierà

Lorsque vous jouiez avec Albert Dupontel, pensiez-vous au duo Depardieu-Dewaere que Bertrand Blier a filmé ?

Pas trop. Mais Bertrand nous le rappelait de temps en temps. Parce que, comme eux, nous étions des sales gosses, parce qu’il y avait, selon lui, une même énergie. Mais Albert et moi, nous étions dans un truc instinctif. Pas intello, donc pas référencé. Ça lui allait, à Bertrand. C’est un truc bizarre, un film. Avant d’arriver sur un écran et de rentrer dans un système commercial, c’est une équipe qui se regarde, qui travaille ensemble, dans un coin, sans vraiment de lien avec l’extérieur. C’est un objet brut qu’il faut polir pour qu’il devienne beau. C’est pourquoi ce qui se passe hors les caméras est important. L’ambiance. L’humeur. Et, pour Bertrand, c’est primordial. Priorité à la bouffe, par exemple. C’est culturel, chez lui, ça vient de son père [Bernard]. Il vous fait tout de suite oublier qu’il est Blier. Il ne vient pas avec ses médailles. Mais il est assez impressionnant. Il ne parle pas beaucoup, le bonhomme. Sa pipe constamment à la bouche. Genre prof de philo. Il vous invite chez lui et vous fait écouter sa musique. Il est pudique. Moi aussi. Donc ça me va. On se voit et on mange des rognons.

Ah, vous êtes rognons ?

Oui, mais rognons moutarde. Pas rognons gros sel. Avec des petites pommes de terre. Les tripes, aussi. Les pieds et paquetsà

Bon. Autre chose. Sur le projet d’affiche [elle a changé depuis l’entretien], le nom de Blier est beaucoup plus gros que celui de Dupontel et de Dujardin. Enervant, non ?

Oui, mais il a eu un oscar, le mec [pour Préparez vos mouchoirs]. On ne peut pas lutter. Respect. Il nous le fait remarquer pour se foutre de nous. Il a quand même pissé à Hollywood avec John Wayne et Cary Grant ! Ça en impose.

C’est vrai que vous, vous n’avez même pas obtenu de césar ! Juste une nomination pour OSS 117. Vous en êtes frustré ?

C’est le vieux débat Nord/Sud. Drame contre comédie. Je n’en pense rien. Cette année, j’ai tourné le Blier, une comédie, et un film plus dramatique, celui de Nicole Garcia. Les histoires me plaisaient. Point. J’irai toujours plus vite que les étiquettes. Je n’aime pas les habitudes. Je veux apprendre. Par exemple, j’ai retenu un truc de Blier qui m’a dit vouloir m’enlever de la vie. Souvent, les metteurs en scène me demandent de fabriquer. Blier voulait que je me rapproche de l’os, c’est-à-dire de moi. A lui, je dis oui.

Avez-vous peur du lendemain ? Que tout s’écroule ?

Oui, puisque je fonctionne au doute. J’ai toujours une vue sur la mort.

Sans aller jusque-làà

Ah mais si ! Il faut y penser. C’est ce qui me donne l’envie de bien faire les choses. D’être conscient du moment que je vis. Après, pour ce qui est du métier, je m’y attends : je ne vois pas pourquoi je ne connaîtrais pas une traversée du désert. Le seul moyen d’y faire face, c’est de ne jamais se croire sur un piédestal. Je ne suis pas en haut, je suis sur un palier. Je monte, je redescends. Cela fait 38 ans que je vis avec moi, je crois savoir à peu près qui je suis et où je veux aller.

Et où, d’ailleurs ?

Tout droit. Rien de plus. J’aime ce proverbe berbère :  » Quand tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.  » Je n’ai jamais voulu faire autre chose que comédien. Je viens de tout droit et je continue.

D’aussi loin que remontent vos souvenirs, quel fut le moment où vous vous êtes dit :  » Je vais être comédien  » ?

Très tôt. Mais pas consciemment. Je faisais l’acteur plus que je le théorisais. Je jouais dans la cour à l’école. Pour amuser mes copains. C’était zizi-poil. En CE1, je rentrais dans le vagin d’une femmeà

C’était Calmos, de Bertrand Blier, revisité par un gamin de 7 ans !

J’avais quatre frères, j’étais assez versé dans la fesse. Mes institutrices s’inquiétaient. J’étais un garçon très timide et, dans ces moments-là, j’existais. Jouer, c’est attirer l’attention sur soi. Mais en faire un métier, jamais. Devenu adulte, je me suis rendu compte que j’y prenais du plaisir et que je faisais marrer les gens. Plus tard, à l’époque où je passais au cabaret, je gagnais trois fois rien et j’étais content. Je rêvais de cinéma comme beaucoup d’acteurs mais sans en faire une fixation. J’écrivais des sketchs, j’avançais. Je n’ai jamais pris de cours, je me faisais confiance.

Tania Balachova, comédienne et professeur d’art dramatique, disait que tous les grands acteurs étaient des timides. D’accord ?

En tout cas, il y a beaucoup de complexés dans ce métier. Petit à petit, on ouvre la porte. On apprend à se lâcher. A souffrir joyeusement. Et, au final, à ne plus jouer. Je le vois chez les anciens. J’ai tourné avec Michel Duchaussoy. Une seule prise. Parfait. C’était déstabilisant de naturel. Comme une seconde peau. Jamais en force. Il faut tendre à ne plus jouer. Ou à surjouer mais en assumant l’aspect fabriqué. Comme pour OSS 117. C’était mon petit boulot : fabriquer. Mais un acteur est friable. Parfois, je ne suis pas en bouche. Et pourtant, quand j’entends  » moteur « , il faut que j’y aille. Tout le monde me regarde. Il faut donner. Je ne suis pas bon. D’autres fois, je déplace des montagnes. Ce n’est pas de l’arrogance, c’est de l’envie de jouer. Etre en jambes. Dans le truc. Pour ça, il faut savoir être en veille. Arrêter de jouer. Etre en jachère.

C’est facile pour vous de dire ça. Vous êtes l’un des comédiens français les plus populairesà

Vous voyez ça de l’extérieur mais, au fond, vous ne savez pas ce que je pense de moi, si je fais le bilanà

Le bilan des 38 ans donc, nous y revoilà.

Je peux être très sévère. Entendre que je suis l’un des acteurs les plus populaires, c’est comme lire l’horoscope : je prends, ça flatte l’ego et je jette. J’ai tourné dans des films pour lesquels la critique a été trop gentille à mon égard. Il ne faut pas croire que je suis content de tout. Il ne faut pas croire non plus un comédien qui dit qu’une mauvaise critique ne le touche pas.

Tout a démarré avec Un gars, une fille. Quels souvenirs en avez-vous ?

Je suis arrivé à la fin du casting. J’ai hésité à y aller. J’étais avec mes potes, on faisait les cons à la télé, j’étais bien. En plus, je ne suis pas très bon pour les essais. Mais j’ai vu la version originale canadienne, que j’ai trouvée très drôle. Il y avait un ton. Ça m’a plu. Et avec Alex [Lamy, la  » fille « ], l’alchimie artistique a été immédiate. Grâce à Un gars, une fille, j’ai joué le trentenaire que j’étais avec les problèmes quotidiens du couple. Je vivais des choses le soir, je les tournais le lendemain. On a travaillé comme des dingues pendant deux ans et un jour, lors d’une dédicace, on a mesuré le phénomène. C’est d’abord effrayant. Puis amusant pendant un an. J’ai fait le barbeau. Je suis sorti. J’étais flatté. Enfin, après avoir fait le tour, il y a deux solutions : soit je refuse tout, les photos, les autographes et je suis une tête de con, soit je prends le bonheur et je fais plaisir au public. Je préfère cette seconde solution. Mais je ne l’ai pas cherché. C’est arrivé. Etre connu, ce n’est pas un plan de carrière. Pour faire ce métier, il faut aussi aimer les gens. Du coup, ils sont gentils avec moi. Quand je revois certains sketchs d’Un gars, une fille, ils me font toujours marrer. Parfois, à l’écran, c’est vraiment moi. Le type qui gueule au volant, c’est moi. Dans une voiture, je peux être tête de con. Je suis un sanguin.

Timide et sanguin, donc.

Oui. Mais ça va souvent ensemble.

De quoi faut-il se méfier quand on est arrivé, comme vous, à ce stade élevé d’une carrière ?

De tomber dans son reflet. De faire ce qu’on attend de vous. Je dois décider seul de ce que je veux. Et, surtout, ne pas penser comme un autre afin d’éviter de rentrer dans une case. On veut tout le temps m’y mettre. Moins maintenant, cela dit. J’aime la génération d’aujourd’hui : Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Pascal Elbéà On a envie de travailler ensemble. Il n’y a pas de jalousie. C’est bien. A chacun son rythme. On m’a proposé de réaliser des films, j’ai toujours refusé. Ce n’est pas mon métier. J’ai toujours peur d’aller trop vite. C’est le truc du moment, ça : réaliser, jouer, écrire, aller là, se montrer icià La vie, ce n’est pas un clip ! Laissez-moi vivre !

Vous faites l’éloge de la lenteurà

Il faut pouvoir s’arrêter, regarder, aimer, prendre le temps. Au lieu d’écraser les gens.

Vous voilà râleurà

Oui, mais je m’améliore. Si on vit avec quelqu’un qui n’est pas râleur, ça guérit. Je parle en connaissance de cause. Ma femme ne l’est pas du tout. Moi, je le suis moins. Je travaille. Je vais passer mon bac de bon mec. On a tout à gagner à être arrangeant. Je m’autorise à faire la gueule mais uniquement chez moi.

Jean-Paul Belmondo est-il toujours un modèle ?

Jean-Paul, c’est la liberté. Il est touché par la grâce. Je pense souvent à lui. On se voit. On se téléphone. Dans Les Acteurs, Bertrand Blier lui fait dire :  » Je n’ai jamais emmerdé les gens avec mes angoisses.  » C’est classe. C’est lui. C’est ce que doit être un comédien quand il arrive sur un plateau. On me compare à lui. C’est gentil mais ce sont des mots. Un rôle que je retiens ? J’aurai bien aimé jouer dans Cent Mille Dollars au soleil. Pour être dans un camion avec Blier, Ventura et balancer un texte d’Audiard. Classe, non ? Ces mecs s’aimaient bien. Ça se voit. Et c’est ce qu’il faut rechercher.

Propos recueillis par éric libiot photos : Jean-paul guilloteau pour le vif/l’Express

 » Je ne vois pas pourquoi je ne connaîtrais pas une traversée du désert «  » Certains sketchs d’Un gars, une fille me font toujours marrer. Parfois, c’est vraiment moi « 

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