Jean-Baptiste Andries  » La justice ne se rend pas en apesanteur « 

Le magistrat liégeois, porte-parole de l’Union professionnelle de la magistrature, a suivi de loin l’affaire Fortis. La future commission parlementaire d’enquête dite de  » séparation des pouvoirs  » l’inquiète.

La magistrature ne risque-t-elle pas de chuter de son piédestal ?

C’est aller vite en besogneà Qu’une commission parlementaire d’enquête s’intéresse au rôle joué par la magistrature me paraît tout à fait normal. En revanche, je m’inquiète du fait que pas moins de quatre enquêtes soient en cours : une au Parlement, une au Conseil supérieur de la justice, une enquête disciplinaire et une instruction pénale à charge d’une conseillère à la cour d’appel de Bruxelles. Elles risquent de se contrarier l’une l’autre.

On s’est aperçu que les magistrats n’étaient pas de purs esprits, qu’ils pouvaient bavarderà

Il n’est pas interdit à un magistrat du siège d’avoir des discussions sur des questions de droit avec des collègues. Mais échanger sur une affaire dont on a la charge avec des personnes qui ne sont pas tenues au même secret professionnel est fautif, sans préjuger d’aucun dossier.

Ils ne sont donc pas coupés de la société ?

J’aime beaucoup cette phrase entendue à la radio :  » La justice ne se rend pas en apesanteur.  » Une décision s’inscrit dans un contexte social et tient compte de l’intérêt général, pour autant que toutes les parties aient pu faire valoir leur point de vue.

Le premier président d’une cour d’appel n’est-il pas responsable du professionnalisme de ses conseillers ?

Non. L’indépendance du juge dans sa fonction de juger fait que même son chef de corps ne peut s’immiscer dans sa délibération. S’il constate des dysfonctionnements, il peut prendre des mesures disciplinaires ou d’organisation, mais seulement a posteriori.

N’attendait-on pas plutôt le procureur général près la Cour de cassation dans le rôle de  » contact  » avec le Parlement assumé par Ghislain Londers, premier président de la même Cour ?

La démarche de Ghislain Londers est assez inhabituelle.

Figure-t-elle dans le Code judiciaire ?

A ma connaissance, non.

A-t-il respecté la présomption d’innocence dans le cadre des événements qu’il évoque ?

Répondre à cette question nécessiterait de connaître les éléments dont il disposait, ce qui n’est pas mon cas.

Des magistrats du parquet officient souvent dans des cabinets ministériels. Certes, ils n’ont pas le même statut que les magistrats du siège : ils sont placés sous l’autorité du ministre de la Justice. Mais est-ce sain ?

C’est une pratique qui se justifie, surtout au cabinet de la Justice, parce que leur expertise est nécessaire. Elle peut déraper lorsqu’un ministre utilise le réseau relationnel d’un magistrat membre de son cabinet pour s’immiscer dans le fonctionnement de la justice.

Comment un ministre doit-il  » parler  » avec les magistrats ?

S’il est le ministre de la Justice, il a un droit général d’information. Il interroge le procureur général concerné, qui lui-même interroge le parquet d’instance. S’il n’est pas ministre de la Justice, il demande à celui-ci de se faire son intermédiaire. Le Code judiciaire prévoit encore d’autres modalités, dont l’injonction positive en matière pénale, c’est-à-dire le droit d’ordonner des poursuites.

Le parquet d’instance et le parquet général de Bruxelles, censés représenter les intérêts de la société, ont rendu des avis divergents dans le dossier Fortis. Est-ce normal ?

C’est la preuve de l’indépendance fonctionnelle du ministère public, reconnue par la Constitution.

Entretien : Marie-Cécile Royen

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire