» Je veux réviser la loi sur les entreprises publiques « 

Dernier arrivé au sein du gouvernement, Jean-Pascal Labille (PS) n’est pas seulement un ministre technicien de transition. En se disant humblement dispo pour son parti, il cache mal ses ambitions en politique. Interview de rentrée.

Le Vif/L’Express : Pourquoi les nominations des patrons des entreprises publiques ont-elles pris tellement de temps ?

Jean-Pascal Labille, ministre des Entreprises publiques et de la Coopération : On aurait pu aller plus vite, c’est vrai. Le dossier était déjà sur la table quand je suis arrivé, en janvier. Les choses se sont accélérées quand j’ai lancé la réforme de la SNCB qui doit être terminée pour le 1er janvier 2014 et qui implique de nommer de nouveaux patrons. La cristallisation qu’il y a eu autour de ces nominations est classique.

On ne risque pas, en plafonnant leur salaire, d’avoir des patrons de moins bonne qualité ?

Je ne crois pas ; 25 000 euros par mois, c’est tout de même pas mal ! Je ne crains pas l’hémorragie que certains évoquent. On ne mesure pas la qualité d’un manager à ce qu’il gagne.

Comment expliquez-vous alors les deux exceptions pour Johnny Thijs, chez B-Post, et Didier Bellens, chez Belgacom ?

Ce ne sont pas des exceptions. Les mandats de Johnny Thijs et Didier Bellens arriveront à échéance en 2014 pour le premier, en 2015 pour le second. Nous verrons à ce moment-là. Evidemment, nous avons désormais un cadre de référence. La discussion risque d’être savoureuse.

Comment ça se passe entre vous et Didier Bellens ? Vous lui avez déjà remonté quelques fois les bretelles…

Les contacts sont excellents. J’aime beaucoup parler avec lui de la vision qu’il a pour son entreprise.

Vous avez déjà évoqué avec lui ce nouveau cadre de référence salarial ?

Non, car le problème ne se pose pas encore.

Johnny Thijs, lui, a déjà dit qu’il ne resterait pas à son poste pour 290 000 euros…

Il aurait peut-être mieux fait de ne rien dire. Mais c’est aussi un très bon manager.

Et les dirigeants de la Banque nationale de Belgique, ne sont-ils pas trop bien payés ?

On attend des propositions du ministre des Finances, Koen Geens (CD&V), à ce sujet.

Vous avez un avis ?

Je préfère ne pas interférer dans les dossiers de mon collègue.

Malgré les promesses de transparence, la nomination des top-managers a donné lieu à d’âpres marchandages entre partis…

Les candidats ont tout de même eu des entretiens avec des chasseurs de tête qui ont vérifié leurs aptitudes et les ont interrogés sur la vision qu’ils avaient de l’entreprise. Sur les cinq candidats retenus, il s’est avéré que, pour la SNCB, l’une n’avait pas le diplôme requis. Elle a été écartée. Il y avait une place vacante et c’est Frank Van Massenhove qui a été choisi.

Ses compétences n’ont pas été validées par les chasseurs de tête…

Non. Il avait en revanche passé les examens du Selor (NDLR : le centre de recrutement de la Fonction publique). Mais je suis le premier à dire que ce système est perfectible.

On a quand même l’impression que la Belgique reste une incroyable particratie, non ?

Je peux comprendre ce sentiment. Mais ce n’est pas parce qu’on vient du secteur privé et qu’on est lié à un parti politique qu’on est un con. Ce qui importe, ce n’est pas de savoir qu’un type est lié à tel parti, mais qu’il a les compétences pour relever les défis de l’entreprise publique.

Mais il y a bien une répartition des étiquettes politiques dans les nominations…

Oui. L’actionnaire majoritaire, c’est l’Etat. Si l’Etat ne se préoccupait pas de ces nominations, on nous le reprocherait. Pour moi, l’Etat doit même jouer davantage son rôle de stratège en définissant mieux les objectifs de service public de ces entreprises. On a fait un effort dans ce sens-là. Maintenant, on peut toujours nous critiquer. Cela dit, la N-VA, qui dégaine très vite à ce sujet, a mis l’un des siens, Danny Pieters, à la tête du VDAB (NDLR : l’office flamand de l’emploi)…

Comment l’Etat peut-il jouer davantage son rôle de stratège vis-à-vis des entreprises publiques ?

Je compte proposer de réviser la loi de 1991 sur les entreprises publiques autonomes, même si ce n’est pas dans l’accord de gouvernement. Lorsqu’il y a un grave accident de train à Wetteren, comme en mai dernier, le ministre de tutelle ne peut rien dire, parce que la loi lui interdit d’intervenir. Logique ? Mon objectif n’est pas de me mêler de la gestion quotidienne des entreprises publiques. Par contre, l’Etat doit avoir son mot à dire sur les rémunérations et les indemnités de départ des patrons. Celles-ci ont été fixées, il y a six ans, dans des contrats négociés par l’entreprise seule. Je ne trouve pas ça normal.

Marc Descheemaecker, ex-patron de la SNCB, vous a-t-il dit s’il profiterait de son parachute doré de 900 000 euros ?

Le cas de Marc Descheemaecker est différent de celui de Jannie Haek (ex-patron de la SNCB Holding). Le premier ne retrouve pas un poste exécutif, comme le second, dans une structure publique. J’ai suggéré à Jannie Haek de laisser tomber ses indemnités de sortie. Il m’a répondu que pas un de ses cheveux n’avait pensé les réclamer. C’est facile pour un chauve. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est de changer à l’avenir la manière dont on a fixé ces contrats. Le conseil des ministres restreint va revenir sur ces indemnités de départ, qu’on va limiter drastiquement. Idem pour les stock-options qu’il faut abolir pour les patrons d’entreprises publiques. Une autre réflexion doit porter sur la rémunération des administrateurs. Si l’Etat avait joué son rôle il y a six ans, le problème ne se poserait pas aujourd’hui.

Vous êtes fort préoccupé par le rôle de l’Etat ?

Oui. Nous ne sommes plus dans un Etat providence. Il faut redéfinir l’Etat. Pour moi, ce doit être un Etat régulateur et préventif, qui intervient plus en amont, dans le domaine de l’enseignement, par exemple.

Vous semblez donneur de leçon vis-à-vis des top-managers. Avant d’être nommé ministre, vous étiez l’homme aux 56 mandats. N’est-ce pas un peu gênant ?

Je suis imperméable à ce genre de critique. Sur les 56 mandats que j’occupais, une quarantaine découlaient de ma fonction aux Mutualités socialistes. Si je retourne aux Mutualités, je prendrai des mesures pour que cela soit modifié à l’avenir. A la SRIW (NDLR :Société Régionale d’Investissement de Wallonie), la règle voulait aussi que le président siège dans toutes les filiales. Ce qui explique la pléthore de mes mandats.

Vous évoquez votre retour aux Mutualités. On a dit de vous que vous étiez un ministre technicien et de transition. Que comptez-vous faire après 2014 ?

Je pense avoir été davantage qu’un technicien. J’aurai encore un certain nombre de choses à dire d’ici à mai 2014. Pour la suite, je reste à la disposition de mon parti.

Vous pourriez donc vous présenter aux élections de 2014 ?

Pour l’instant, je suis attendu aux Mutualités.

A la fédération liégeoise du PS, vous prenez de plus en plus de place. Vous faites le tour des Unions socialistes communales…

Je fais ce tour des USC parce que je considère qu’un ministre est le premier des militants. Il est dépositaire d’informations particulières qu’il doit expliquer. La perte de démocratie vient du fait qu’on n’a plus ce contact-là. Quant à la place que je prends… Eh bien, quand il y a deux ministres (NDLR : l’autre étant Jean-Claude Marcourt) au sein d’une fédération importante, ils prennent d’office de la place.

Qu’est-ce qui vous a surpris en débarquant au sein de l’équipe gouvernementale fédérale ?

J’ai été étonné du temps qu’il fallait pour trouver un consensus mais aussi de la rapidité avec laquelle on y arrivait parfois, comme pour l’emprunt populaire. La grande difficulté du Premier ministre est de parvenir à créer ce consensus et à gérer des tensions qui peuvent être idéologiques. Le tout dans les contraintes budgétaires que l’on sait. Ce rôle de chef d’orchestre n’est pas simple, mais Elio (Di Rupo) le fait avec maestria.

Ce chef d’orchestre doit-il souvent s’asseoir sur ses convictions de gauche pour parvenir au consensus ?

Au gouvernement, c’est Laurette (Onkelinx) qui monte aux barricades. Le rôle d’Elio n’est pas le même. La manière dont il remplit ce rôle est saluée par beaucoup de monde. Même Didier Reynders vient de proposer la reconduction du gouvernement en 2014…

La réforme de la SNCB est lancée. Les syndicats critiquent toujours le modèle à deux têtes (SNCB et Infrabel) qui va être mis en place. Craignez-vous des remous sociaux cet automne ?

Le dialogue est permanent avec les syndicats. On ne construira pas une entreprise ferroviaire forte sans le personnel. Nous sommes très attentifs à la manière dont sera constituée HR-Rail, la filiale commune aux deux entités, qui garantit un employeur unique au personnel et le maintien de son statut. Avec 26 milliards d’euros, jamais la dotation du fédéral n’a été aussi grande pour les chemins de fer. Quant aux projets wallons, j’ai dit au ministre de la Mobilité, Philippe Henry (Ecolo), qu’il était facile de jouer les Saint-Nicolas en voulant me faire passer pour le Zwarte Piet. J’attends sous peu la liste remaniée des projets.

Quelle place la Belgique doit-elle accorder à l’aide au développement en période de crise ?

Tous les départements ont dû faire des efforts, vous le savez. La part consacrée à la coopération est du coup tombée à un peu moins de 0,5 % du Revenu national brut, alors que l’ONU recommande que les pays industrialisés atteignent 0,7 %. Cela reste absolument notre objectif.

La Belgique avait suspendu sa coopération militaire avec le Rwanda lorsque l’ONU avait accusé Kigali de soutenir la rébellion congolaise du M23. L’heure des sanctions est-elle révolue ?

Je ne veux stigmatiser personne. Affirmer que le M23 est le seul fauteur de troubles est réducteur. Je préfère aller de l’avant. Il faut parvenir à mettre tout le monde autour d’une même table. Je n’exclus donc aucun interlocuteur. Je veux parler à tous avec diplomatie. Attention, si la diplomatie implique de ne pas tout dire en public, cela n’empêche pas de dire certaines vérités entre quatre yeux.

Propos recueillis par Laurence Van Ruymbeke et Thierry Denoël

 » On ne mesure pas la qualité d’un manager à ce qu’il gagne  »

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