» Je suis un apparatchik. Pas pour autant un magouilleur « 

Il est tombé dans la marmite socialiste avant même d’être petit. Jean-Pol Baras n’était pas encore né que sa carte du PS était déjà prête. Camarade à l’insu de son plein gré par volonté paternelle, il n’a jamais cessé de carburer au socialisme : depuis le coron Mitant-des-Camps et la Maison du Peuple de La Louvière, jusqu’aux hautes sphères de la machine de guerre socialiste. Le PS et Jean-Pol Baras, c’est à la vie à la mort. Inusop, Agusta-Dassault, affaires carolos : il fut le secrétaire général d’un parti emporté dans la spirale des scandales. Il n’est pas du genre à trahir les secrets de famille. L’homme de l’ombre est ensuite parti pour la Ville-Lumière. L’apparatchik s’est reconverti en diplomate de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Paris. A 65 ans, ce fin lettré et érudit discret prend congé de la vie active avec les insignes d’officier de la Légion d’honneur remis par François Hollande. Décoré par un président de la République socialiste : jusqu’au bout, la vie en rose.

Le Vif/L’Express : Vous voici de retour au bercail, après cinq ans de présence diplomatique à Paris. Il s’en est passé des choses en Belgique durant votre absence. Et ce n’est pas fini…

Jean-Pol Baras : Je trouve que cela ne se passe pas trop mal. On verra bien, au soir des élections du 25 mai prochain, si la Belgique a encore un bel avenir devant elle.  » La France se sait un futur mais ne se voit pas d’avenir « , écrit le brillant historien français Pierre Nora. Remplacez le mot  » France  » par  » Belgique « , et vous avez un beau sujet de dissertation.

Au soir du scrutin fédéral du 13 juin 2010 qui a vu le triomphe de la N-VA, vous avez décodé le vote flamand comme un vote  » surtout émotionnel « . Rebelote le 25 mai 2014 ?

J’espère que le pragmatisme l’emportera. Les gens se réfugient dans le nationalisme plus par émotion que par choix. En France, plus de 60 % des électeurs de Marine Le Pen ne connaissent pas son programme. Ce qui se produit avec la N-VA touche à l’épiderme des citoyens. Le constat vaut aussi pour les Hongrois qui votent Viktor Orban.

 » 541 jours d’impasse politique expliqués aux Français  » : vous avez dû vous prêter au jeu à Paris ?

Les Français sont passés de l’inquiétude à la rigolade. Ils nous voyaient un moment au bord de la guerre civile. Cela en devenait cocasse. Alors que je m’entendais très bien avec le représentant de la Communauté flamande à Paris, on nous avait mis le plus loin possible l’un de l’autre lors d’un face-à-face sur un plateau de télé, avec un député français prêt à intervenir. Quand celui-ci nous a vus nous donner l’accolade dans la salle de maquillage, il ne comprenait plus rien.

Comment les élus français appréhendaient-ils l’imbroglio politique belge ?

Avec beaucoup de courtoisie, sans aucun sourire condescendant. Un point en particulier les inquiétait, si la Belgique devait imploser : la question du rattachement, de l’avenir de la Wallonie mais aussi de Bruxelles, seule capitale francophone après Paris en Europe. La France pourrait-elle rester de marbre ? Les députés ne plaisantaient pas avec cette perspective. J’ai été entendu deux fois par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Le 25 mai prochain, Bart De Wever pourrait avoir rendez-vous avec l’Histoire. Vous lui trouvez une envergure d’homme d’Etat ?

Les groupements nationalistes fécondent en général des personnalités sans grand intérêt. Bart De Wever n’est ni un petit comique, ni un farfelu. Ses idées peuvent être combattues, elles ne sont pas toujours absurdes pour autant.

Elio Di Rupo sera-t-il cet homme providentiel, seul capable de contrer Bart De Wever ?

Je lui souhaite en tout cas de continuer à diriger le pays comme il le fait, c’est-à-dire fort bien. C’est déjà formidable qu’un francophone gouverne au 16, rue de la Loi. Et socialiste de surcroît.

Comment retrouvez-vous le PS, depuis votre prise de distance géographique : en petite ou en grande forme ?

Il ne se porte pas mal du tout. Il garde cette capacité extraordinaire à renouveler ses cadres et à garder le contact avec la base. Cette implantation populaire lui a toujours permis de rebondir dans les périodes plus difficiles vécues dans l’opposition.

Une opposition qu’il n’a plus connue depuis vingt-cinq ans. Le PS est-il dans l’exercice ou dans l’occupation du pouvoir ?

La gestion a pris le pas sur l’idéologie. Pierre Dac disait :  » Le sel, c’est ce qui rend les pommes de terre fades quand on n’en met pas.  » Mieux vaut ne pas souhaiter que le PS soit dans l’opposition, pour devoir constater la différence qu’il y a entre un gouvernement avec ou sans les socialistes.

Dans une vie antérieure, vous avez été secrétaire général du PS de 1996 à 2008. Un sacré bail…

J’ai travaillé trente ans au boulevard de l’Empereur, avec quatre présidents : André Cools, Guy Spitaels, Philippe Busquin et Elio Di Rupo.

L’un d’entre eux sort du lot ?

Ces quatre personnalités enrichissantes m’ont toutes marqué, de manière différente. Cools le baroudeur, l’homme de la base. Spitaels, l’universitaire posé. Philippe Busquin, très intelligent, grand constructeur de projets et d’idées…

… mais souvent perçu comme le maillon faible de la chaîne des présidents du PS.

Et c’est injuste. Je reste très impressionné par Philippe Busquin, plus encore qu’à l’époque où je travaillais à ses côtés. L’Europe a beaucoup progressé grâce à son action de commissaire européen à la Recherche scientifique (NDLR : entre 1999 et 2004). Je l’ai vu être ovationné debout, lors d’une conférence donnée devant l’Académie française des Sciences présidée à l’époque par le fils de Georges Pompidou. Philippe Busquin aurait pu être un très grand président du PS s’il n’avait pas connu une période aussi sombre pour le parti.

Vous avez vécu aux premières loges cette période des scandales politico-financiers à répétition : Inusop, Agusta-Dassault, les affaires de Charleroi. Avez-vous senti le PS réellement trembler sur ses bases ?

Le plus important était de sentir le pouls de la base du parti. Je n’ai jamais autant arpenté les sections locales et les fédérations qu’à cette époque. C’est là que j’ai compris l’atout majeur que représentait l’implantation locale du PS. Quand la famille est en danger, on se serre les coudes.

Au pire moment, vous n’avez jamais douté du PS ?

Non. Vous ne pouvez pas imaginer qu’une pomme pourrie empêche le pommier de continuer à porter des fruits l’année suivante. Je n’ai jamais senti qu’il s’agissait de la fin d’une histoire. La vraie force du PS, c’est son esprit familial, et sa capacité à véhiculer une idéologie fondamentale qui dépasse les fautes, les ennuis et les querelles intestines.

Secrétaire général du PS durant plus de dix ans : la cuisine interne du parti n’avait plus de secrets pour vous. Cela fait de vous un homme redoutable et… redouté ?

Je connais beaucoup de choses sur le parti. Mais même si on me soumettait à la torture, je serais incapable de livrer des secrets majeurs. En revanche, j’ai appris beaucoup sur la gent humaine, la psychologie de l’individu. Ses ambitions, ses faiblesses, ses relations au pouvoir. Vous savez, un compromis ou un arrangement ne sont pas que des gros mots en politique.

Si les murs de certaines salles du boulevard de l’Empereur pouvaient parler…

Le siège du parti n’est pas non plus un bunker. En tout cas, je n’écrirai jamais mes Mémoires. Je m’entends trop bien avec tout le monde, je tiens à ce que cela continue.

L’homme de l’ombre n’a jamais voulu s’exposer à la lumière. L’action politique au grand jour ne vous a-t-elle jamais tenté ? Des ambitions parlementaires, ministérielles…

Aux élections européennes de 1989, à la demande de Guy Spitaels, j’ai figuré à une modeste place de 4e suppléant, avec pour seul objectif de représenter le monde culturel. On est parfois tenté de franchir le pas. Mais j’ai grandi dans le parti et je voulais y rester.

Ce parti, vous lui devez tout ?

Ma carte du PS est plus vieille que moi ! Mon père m’a affilié quand ma mère était enceinte de six mois. Comme le sexe de l’enfant n’était pas connu, seule la case du prénom n’avait pas été remplie. Je suis né dans le coron Mitant-des-Camps, à la Louvière. Mon père a d’abord été mineur, puis le chauffeur du premier bibliobus de Belgique. Il était la cheville ouvrière de la section locale du PS. Mes parents sont devenus gérants de la Maison du Peuple de la Louvière.

Apparatchik et fier de l’être ?

C’est la vérité, je l’assume. Ce n’est pas pour cela qu’on est un salaud ou un magouilleur. Je crois avoir servi le PS de la manière la plus honnête qui soit.

En bon petit soldat ?

Je préfère le mot serviteur.

Le serviteur s’est-il retrouvé un beau jour parachuté par le parti à Paris ? Votre reconduction dans la fonction de délégué de la FWB en 2012, malgré une modeste cinquième place sur une liste de sept candidats, a fait jaser.

C’est injuste et immérité. J’ai souhaité terminer ma carrière à Paris parce que je savais que j’avais le bagage et la capacité pour y représenter la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Les nominations politiques sont-elles un mal nécessaire ?

Pour autant qu’elles s’accompagnent des compétences requises, je ne vois pas en quoi elles sont forcément mauvaises. Mais c’est évidemment un apparatchik qui vous parle…

 » J’en ai marre des parvenus « , s’est écrié Elio Di Rupo en 2005. Ils ont disparu au PS ?

Vous en trouvez aussi chez les numismates de Houte-Si-Plou… Je comprenais l’écoeurement d’Elio Di Rupo. C’était un cri du coeur, il en avait vraiment assez de devoir sans cesse remettre de l’ordre dans la boutique. Elio Di Rupo a rénové le parti dans tous les sens du terme. L’homme est passionné par ce qu’il fait, il s’y consacre corps et âme 24 heures sur 24.

Grand travailleur mais aussi grand communicateur. Le personnage ne pèche-t-il pas par un côté trop fabriqué ?

Elio Di Rupo épouse son temps, celui de la civilisation de l’image. Si Di Rupo ajustait mal son noeud papillon, on ne retiendrait que cela. L’image nuit au texte. Je le regrette, mais l’homme politique qui n’en tient pas compte est perdu. Elio Di Rupo est parvenu au fil du temps à faire la part des choses.

Quel regard le  » mitterrandologue  » que vous êtes porte-t-il sur le président François Hollande ? (Jean-Pol Baras a dirigé un ouvrage collectif, François Mitterrand, un esprit européen.)

Je continue à croire que cet homme va réussir brillamment. La France va avoir un grand président. Il a une vision. Il est beaucoup plus compétent, plus ferme, plus décisionnel qu’on ne l’imagine.

Il le cache plutôt bien…

Nicolas Sarkozy a laissé la France dans un état épouvantable. François Hollande a toujours dit la vérité, alors que son prédécesseur n’a jamais cessé de mentir. Lors de sa campagne présidentielle, le candidat socialiste a martelé que ce serait très difficile au début. François Hollande est un honnête homme, la France en avait besoin à sa tête. Mais avant de pouvoir chanter le temps des cerises, il prône le temps des noyaux.

Quel pourrait être le déclic de cette métamorphose ?

Le retour de la croissance, qu’il aura provoqué, finira par lui être favorable. Il est sur le bon chemin.

Au point de soutenir un jour la comparaison avec François Mitterrand ?

C’est autre chose. Ces personnages dépassent leur temps. François Hollande aura 60 ans le 12 août prochain. A cet âge-là, François Mitterrand était encore dans l’opposition à de Gaulle et encore à cinq ans de son entrée à l’Elysée. Je sens chez François Hollande une capacité à réussir un grand quinquennat.

Propos recueillis par Pierre Havaux

 » Avant de pouvoir chanter le temps des cerises, François Hollande prône le temps des noyaux  »

 » Je connais beaucoup de choses sur le PS. Mais même sous la torture, je ne pourrais livrer de grands secrets  »

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