Jean-Paul Philippot : "Les premiers jours du confinement furent un peu traumatiques." © HATIM KAGHAT

Jean-Paul Philippot (RTBF): « Je ne crois pas à la fin de la télé et de la radio, mais… »

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Les audiences du petit écran ont explosé pendant le confinement. L’administrateur général de la RTBF Jean-Paul Philippot prédit pourtant un recul de la consommation télévisuelle dans les cinq ans. Avant de passer en revue les défis de l’après-Covid.

Où en sera la RTBF dans cinq ans ?

Celui qui détient la réponse a un avenir assuré. Le nôtre ne l’est pas… Je ne crois pas à la fin de la télé et de la radio. La crise qu’on vient de vivre a témoigné de leur nécessité et de leur rôle. Par contre, je pense que dans cinq ans, la consommation de télévision se sera sans doute encore réduite en temps. On ne sera peut-être pas moins nombreux à la regarder mais on la regardera moins souvent. Je ne suis pas sûr qu’on sera moins nombreux à écouter la radio. On sera tous, et plus longtemps, sur des plateformes non linéaires. Je pense qu’il y a une place pour une plateforme comme Auvio sur le territoire belge francophone. Une plateforme de référence de contenus locaux ou à intérêt local. C’est ce qui nous distinguera à côté de la formalisation et du caractère mainstream international de Netflix et des autres, nous aurons toute la spécificité et la diversité créative et culturelle locale.

Ce que je retiens de cette crise, c’est que ce qui est impossible le matin devient possible en cours de journée et le lendemain parfois tout à fait normal.

Comment la RTBF a-t-elle fait face au Covid-19 ?

Il faut poser le cadre. On est dans la deuxième année d’une transformation interne importante. On avait digéré les réorganisations et on s’apprêtait à vivre un été sportif avec Roland-Garros et le Tour de France mais aussi l’Euro et les Jeux olympiques… On avait un programme très balisé. Puis est arrivé le confinement. Il nous est tout de suite apparu qu’il fallait protéger le personnel, mais que dans une période dont on ne connaissait rien, anormale et exceptionnelle, il fallait mobiliser tous nos canaux d’information. Sur le plan éditorial, à côté de l’info, on devait mettre en place, poursuivre, amplifier des programmes – facile en radio, plus compliqué en télévision – pour interagir en direct. Faire perdurer le lien social au travers du média. Puis aussi activer les gestes de solidarité qui ne manqueraient pas d’être attendus et proposés. Le troisième axe a été de continuer à divertir dans un moment anxiogène.

La RTBF a dû mobiliser tous ses canaux pour faire face à une situation inédite. Ici, François De Brigode avec l'épidémiologiste Marius Gilbert (à g.).
La RTBF a dû mobiliser tous ses canaux pour faire face à une situation inédite. Ici, François De Brigode avec l’épidémiologiste Marius Gilbert (à g.).© RTBF

Comment tout cela s’est-il matérialisé ?

En 48 heures, on a mis 1 200 personnes en télétravail avec des outils leur permettant de bosser de chez elles. On a construit des nouvelles manières de faire. Des systèmes pour limiter les interactions. Pendant deux mois, on a interdit à François De Brigode et à Nathalie Maleux de se retrouver ensemble dans les locaux. Après les premiers jours un peu traumatiques où on a réduit très drastiquement notre activité, on s’est mis à remobiliser autour de l’info, de l’interactivité, de la solidarité et de l’évasion. Quelques semaines plus tard, en comprenant chaque jour, de manière plus aiguë, la difficulté de nos partenaires naturels à traverser la crise, on s’est dit qu’on aurait un rôle à jouer par après. Je parle de l’audiovisuel, de ceux et celles à qui on commande des émissions, des fictions, des séries, des documentaires. Des pans entiers d’activité à l’arrêt avec des effets dominos importants. Parce qu’il y a un producteur, un réalisateur, évidemment des acteurs. Mais aussi tous les métiers techniques jusqu’au catering. L’autre pan, c’est celui du spectacle vivant, des arts de la scène, des musées. Mi-avril, on a regardé ce qu’on pouvait se permettre comme effort sur le plan financier et dans quel domaine pour soutenir ces secteurs partenaires qui vont avoir besoin rapidement de visibilité mais aussi d’un retour à une activité économique qui leur permette d’alimenter l’ensemble de leur écosystème. C’est un peu la genèse de #Restart (NDLR : un plan de 13,4 millions d’euros pour soutenir la culture au temps du coronavirus). D’une part être vitrine, ambassadeur, promoteur. De l’autre injecter de l’argent. Faire en sorte qu’il y ait un transfert financier pour alimenter la boucle du secteur. On le faisait déjà. L’année passée, on a injecté 48 millions dans l’économie de la production et des droits d’auteur. Là, on libère huit millions supplémentaires. On raisonne sur 2020-2021 pour deux motifs : on ne va pas revenir à la normale tout de suite et certaines actions ont besoin de temps pour se développer.

Comment votre plan d’action va-t-il se traduire à l’antenne ?

On allait capter cette année-ci et l’année prochaine cinq pièces de théâtre, dix au total. On va en faire vingt. On avait planifié de coproduire dix courts métrages, on va partir sur vingt également. On aura à la rentrée, tous les jours, un microprogramme culturel sur La Une en prime time synthétisé sous forme d’agenda le week-end. On aura aussi cet été des programmes nouveaux qui visent à mettre en évidence le tourisme local, le patrimoine, les circuits courts. Le Reine-Elisabeth n’aura pas lieu. On va organiser un concert dans une salle vide avec tous les lauréats belges. Le festival Musiq’3 est annulé. On assurera des captations tout le week-end à Flagey et une captation télé. On va aussi aller capter des artistes qui figuraient à l’affiche dans des lieux un peu emblématiques des festivals. En bord de Meuse avec les Ardentes, sous les boules de l’Atomium avec Couleur Café et sur un champ de patates à Dour. On va aussi lancer davantage d’appels à projets pour des podcasts et de la webproduction. On injecte de l’argent. On suscite la créativité. Parfois, de plus jeunes auteurs ou auteures. Et on renforce notre stratégie de bascule vers le numérique, de présence sur des plateformes non linéaires. On termine aussi une campagne sur la réouverture des musées. On remet en lumière dans le JT la photographie de presse… D’autre part, on réfléchit à la possibilité d’accueillir sur Auvio des contenus de producteurs de spectacle vivant qui seraient payants. De manière à ce qu’ils puissent les monétiser. C’est aussi le questionnement d’artistes qui demandent : où sont nos droits d’auteur ? Quand on met ça sur Auvio en accès gratuit, la rémunération est faible… On cherche dans une démarche d’apprentissage à associer nos ressources à celles, créatives, des secteurs pour créer une dynamique positive.

L’action doit-elle à tout prix être collective ?

On a beaucoup parlé du statut, de la détresse des artistes mais il faut se rappeler que culture et création sont des piliers du modèle démocratique européen. La ministre (NDLR : Bénédicte Linard, Ecolo) vient d’annoncer un plan de relance pour l’audiovisuel et le cinéma. C’est en actionnant les énergies de tout le monde qu’on va non pas réparer les dommages mais en tout cas redonner un futur, un espoir, un dynamisme à un secteur à plat. C’est notre rôle et celui du gouvernement. Et peut-être demain celui des sponsors, d’acteurs économiques… Des actions qui, prises séparément, ont peu d’effets peuvent ensemble aider à un redémarrage rapide. On a aussi un rôle pédagogique à jouer. Il faut restaurer la confiance du public dans la sécurité des espaces culturels.

Le 6-8 de VivaCité, une émission à voir ou revoir sur Auvio, qui a connu une très forte hausse de fréquentation.
Le 6-8 de VivaCité, une émission à voir ou revoir sur Auvio, qui a connu une très forte hausse de fréquentation.© RTBF/AUVIO

L’annulation des grands rendez-vous sportifs pose-t-elle un problème en matière de rentrées publicitaires ?

Au niveau des annonceurs, on sera entre 20 et 30 % de revenus en moins cette année. Des épreuves sont reportées. Des compétitions ont été arrêtées. Certains avaient précommandé des spots à l’Euro. La D1 de football, on a payé les droits. Elle ne va pas en réduire le volume parce qu’il n’y a pas eu de playoffs 1 cette saison. Ce sont de très fortes perturbations. On va faire vivre le sport cet été. La F1 va reprendre en juillet. On proposera de la rediffusion, de l’e-sport. Mais ensuite, les épreuves vont s’accumuler en septembre, octobre et novembre. Le Tour, Roland-Garros, les classiques belges… On va avoir un pic de production. C’est un peu un casse- tête. D’autant que tout ce calendrier est encore sujet à fluctuations. On a quelques week-ends embouteillés. Or, on ne peut pas occuper toutes nos chaînes avec du sport. Il reste Auvio. On a augmenté fortement notre trafic. On compte 3,2 ou 3,3 millions d’abonnés. Mais on a des obligations contractuelles. Parfois, le contrat prévoit l’obligation d’une diffusion télé.

Fin mars, à notre pic, on avait 11 à 12 % de spectateurs supplémentaires tous les jours et 60 % d’internautes en plus.

Est-ce que le coronavirus a accéléré votre transition digitale ?

Fin mars, à notre pic, on avait 11 à 12 % de spectateurs supplémentaires tous les jours et on avait 60 % d’internautes en plus. En quête d’info, surtout au début. Mais aussi de contenu. On a mis à disposition des séries, de la fiction, du documentaire, du dessin animé. On sent bien qu’après une phase où la télé était le seul moyen de s’évader, de s’informer, on a retrouvé une activité sociale, sportive. Mais on reste très haut sur tout ce qui est numérique. Dans #Restart, il y a notamment le développement et l’amplification de la création digitale. C’est un vrai champ de développement. Ça répond à des modes d’usage qui évoluent et permet des modes de production rapides.

Vous persistez et signez avec Auvio. Vous reconnaissez quand même ses limites ?

Pendant la crise, la télévision a connu partout en Europe une croissance importante. Les plateformes de streaming audio ont stagné et, chez nous, la radio s’est bien tenue alors qu’on avait peur avec la perte du drive time. Les plateformes de streaming vidéo ont, elles, connu une très forte hausse. Auvio reste un point de développement et d’investissement majeur. On a upgradé la plateforme l’an dernier et on améliore en phases successives les outils de recommandation pour faire profiter de la richesse et de la profondeur du catalogue. Le public méconnaît beaucoup de choses qui existent sur Auvio. On est en train d’ajouter nos archives de la Sonuma. Les archives ont eu droit à un fort taux d’audience pendant le confinement. Je reconnais des problèmes techniques. Il y a des bugs. Mais on va améliorer tout ça. C’est sur notre trajectoire. On va d’ailleurs ouvrir un call center pour résoudre ces soucis et proposer une plus grande réactivité sur les problèmes d’ergonomie. On va aussi enrichir notre offre avec un catalogue payant édité par UniversCiné qui sera accessible le mois prochain.

Hep Taxi!, une émission à voir ou revoir sur Auvio, qui a connu une très forte hausse de fréquentation.
Hep Taxi!, une émission à voir ou revoir sur Auvio, qui a connu une très forte hausse de fréquentation.© RTBF/AUVIO

Vous déclarez soutenir les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais l’heure d’antenne musicale qu’on leur dédie quotidiennement sur La Première a été fixée entre 5 et 6 heures du matin…

Il faut se replacer dans le contexte, on a dû revoir en quelques jours l’ensemble de nos grilles. On les a vraiment bouleversées. On a notamment pris la décision de fusionner nos matinales de Vivacité et de La Première. On a très substantiellement augmenté en deux ou trois semaines la présence des artistes belges sur toutes nos chaînes. De Tarmac à La Première. Et on a mis cette case-là en plus. On ne peut pas résumer notre action à ce créneau. Beaucoup se sont focalisés là-dessus sans regarder tout le reste. On a fait ce calcul. On a deux heures d’artistes belges en moyenne par jour et par chaîne. Je crois qu’on a doublé à peu près. On oublie aussi que, de toutes nos chaînes radio, La Première est la moins musicale. On a moins de place, de cases. Ça aurait été bien entre 8 et 9 heures. Mais où vont Matin Première, le débat politique, les invités, les humoristes ? Alors, c’est vrai. Ce n’est pas une heure de grande écoute. Je ne vais pas vous dire que c’est la meilleure des idées que nous avons eues. Mais les chiffres en attestent, ce n’est qu’un élément parmi d’autres. Sur toutes nos chaînes, à toutes les heures.

Vous soutenez clairement le documentaire mais pourquoi, dans certaines cases, proposer des productions françaises bas de gamme ?

Vous généralisez. Je ne suis pas d’accord. On fait de l’acquisition, c’est clair. De l’acquisition française. Il y a des genres coûteux dans le documentaire qu’on ne peut pas produire nous-mêmes. Avec #Restart, on va lancer des appels à davantage de projets. Y compris du documentaire d’info et d’investigation. Un genre pas très répandu en Belgique. Ça fera bosser des journalistes et des équipes extérieures. Il n’y a pas de volonté de nivellement par le bas. Il y a des choses en télé parfois un peu plus mainstream. On va ouvrir une nouvelle case pour faire du documentaire et de l’événementiel sur La Trois aussi. Sachant qu’on a déjà bien renforcé sa programmation depuis dix-huit mois. Notamment avec des cases nouvelles qui intéressent un public davantage de niche.

« Le cordon sanitaire médiatique reste efficace »

Baptiste Erkes.
Baptiste Erkes.© HATIM KAGHAT

Sera-t-il possible encore longtemps de maintenir le cordon sanitaire médiatique face à la montée des populismes ?  » La liberté et l’autonomie journalistiques sont importantes, répond Baptiste Erkes (Ecolo), président du conseil d’administration de la RTBF. Ce n’est certainement pas aux politiques du conseil d’administration de donner le ton. J’ai quand même l’impression que s’il a ses limites, s’il pose des questions par rapport à la démocratie, le cordon sanitaire médiatique reste efficace. J’ai lu l’étude d’une chercheuse néerlandaise qui montre qu’il a un impact direct sur le fait que l’extrême droite ne perce pas en Belgique francophone. Avec la place que prennent aujourd’hui les réseaux sociaux, on peut se demander si on n’est pas en décalage. Je n’y ai pas de réponse, malheureusement. Malgré tout, les médias traditionnels donnent par l’information et son traitement, professionnel, objectif, neutre, un récit sociétaire. Ne pas y mettre au centre des ennemis de la démocratie la garantit et la protège. J’en suis à titre personnel persuadé.  »

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