JALIL BENNANI :  » L’INFLATION DE L’IDENTITÉ EN EXIL « 

Psychiatre et psychanalyste installé à Rabat, Jalil Bennani a écrit plusieurs livres, dont le plus récent, Désirs et sexualités. D’une culture à l’autre, d’une langue à l’autre (éditions Erès), un ouvrage collectif qu’il a coordonné avec Bertrand Piret.

Le Vif/L’Express : Les dérives qui ont conduit à la mort de Latifa, Imane et Layla existent-elles au Maroc ?

Jalil Bennani : Non, pas avec cette gravité-là. Aucun homme de religion ne le tolérerait. Au Maroc, les pratiques magico-religieuses coexistent avec la médecine scientifique. L’identité plurielle, inscrite dans notre nouvelle Constitution, se répand dans tous les domaines alors que la situation d’exil conduit à une inflation de l’identité, voire à une crispation identitaire. On cherche à faire valoir quelque chose qui est de l’ordre de la nostalgie… Voyez ce qui s’est passé chez nous avec cette jeune femme, Amina, qui a été obligée de se marier avec son violeur et qui s’est suicidée. La société civile s’est rebellée contre l’article du code pénal qui permet ce genre de chose et les parents d’Amina, qui avaient soutenu ce mariage pour se conformer à la norme sociale, ont rejoint le mouvement. Le droit des femmes évolue. La société civile et les individus ne se laissent plus faire au nom de la morale patriarcale.

Comment accueillez-vous les personnes qui ont cette croyance au surnaturel ?

Quand ils viennent me voir, c’est qu’ils ont déjà un doute. Ils savent que je suis un représentant de la science mais je ne suis pas que cela. Disons que nous sommes dans une rupture épistémologique, à mi-chemin entre la croyance en des forces obscures et une implication de soi dans ce qui nous arrive. En principe, le psychanalyste est neutre, il est laïc par définition. Mon rôle est de les accompagner dans leurs doutes, dans une parole individuelle qui n’implique pas qu’ils se coupent de la masse.

La difficulté ne provient-elle pas du côté religieux ?

L’islam maghrébin est mêlé à des pratiques maraboutiques issues des confréries soufies. Ces pratiques se mêlent elles-mêmes à la magie. Certains hommes de religion, tout en étant mal à l’aise face à ces pratiques, peuvent ne pas les condamner. Mais le discours scientifique se développe et, personnellement, je veille à ce qu’il ne devienne pas une autre croyance car je sais bien que les gens ne peuvent pas être guéris que par des pilules.

ENTRETIEN : M.-C.R.

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