» J’espère devenir ministre « 

Acquitté en première instance dans l’affaire du casino de Dinant, Richard Fournaux (MR) espère sortir de son purgatoire politique, pour revenir au Parlement dès 2014. Il dénonce l’inhumanité de la justice, revendique sa foi et assume son homosexualité.

Sa secrétaire a prévenu : de là-haut, la vue sur Dinant est superbe. Elle n’a pas menti. Depuis son salon, bordé de larges baies vitrées, Richard Fournaux peut embrasser du regard la vallée de la Meuse, sur des kilomètres. Le bourgmestre a repris du poil de la bête. Suspecté d’avoir favorisé le groupe Accor dans l’attribution du casino de Dinant, il a été acquitté le 26 mars. La saga judiciaire, vieille de plus de dix ans, ne s’achève pas pour autant.

Le Vif/L’Express : Vous êtes acquitté, mais un second procès aura lieu en appel. Vous envisagez déjà un retour politique au premier plan ?

Richard Fournaux : Je dois rester prudent. Un jugement a été rendu en première instance et, en appel, le tribunal devra forcément en tenir compte. Je me présenterai devant les juges un peu plus à l’aise que la première fois, où tout le monde pensait que les carottes étaient cuites. Pour le reste, l’électeur décidera.

Les élections communales d’octobre constituent une échéance immédiate. Et ensuite ? Le régional, le fédéral, cela vous intéresse encore ?

Plus que jamais. Vous ne savez pas gérer une ville sans des contacts directs avec le pouvoir fédéral ou régional. Je m’en suis aperçu à mes dépens ces dernières années. Faire avancer les dossiers dinantais, c’était très, très difficile.

Si vous étiez resté parlementaire, votre ville aurait reçu davantage de subsides ?

Evident. Evident. Evident. S’il faut le dire trois fois, je le dirai trois fois.

Les communes qui ont à leur tête un ministre ou un député sont favorisées, au détriment des autres ?

Je ne veux pas critiquer l’autre n£ud-papillon, mais observez : pas un dossier n’est conclu en Wallonie sans une petite part pour Mons, voire une grosse part. Mon collègue Jean-Jacques Flahaut, bourgmestre de Braine-le-Comte, se plaint de l’état de sa gare. Je pourrais vous parler des problèmes sur la ligne Dinant-Namur. A côté de ça, parce qu’on a construit un mastodonte à Liège, il en faut aussi un à Mons.

Si vous redevenez parlementaire en 2014, ce sera plutôt au fédéral ou au régional ?

Mon choix de c£ur, c’est le fédéral. Parce que je suis attaché à l’unité de mon pays, même si ça paraît con et rétrograde de le dire.

Vous comptez rester en politique combien d’années encore ?

Au moins vingt ans.

Ministre, c’est une ambition ?

Je n’ai pas honte de le dire. Cela me plairait. Tout homme politique digne de ce nom souhaite endosser des responsabilités importantes.

Durant votre traversée du désert, vous vous êtes senti soutenu par votre parti, le MR ?

Oui et non. Des individus m’ont soutenu. Je peux citer Sabine Laruelle, Willy Borsus, Gérard Deprez… Didier Reynders m’a souvent envoyé des SMS ou téléphoné. Tout le monde le perçoit comme antipathique. Moi, je l’ai eu à mes côtés quand ça n’allait pas, je l’ai trouvé humain. Le jour de mon acquittement, Louis Michel et Didier Reynders ont été les deux premiers à me sonner. Didier Reynders a toujours su me protéger. Avant les régionales de 2009, aucun mandataire MR ne pouvait se rendre à un débat sans qu’on lui demande : et Fournaux, qu’en faites-vous ? Malgré tout, ils ont résisté à la pression.

Vous n’étiez pas candidat aux fédérales de 2010. Pourquoi ?

La pression était devenue extrême. A cause de moi, le MR risquait de perdre encore plus de plumes. Gérard Deprez m’a passé un coup de fil pour me dire : écoute, il vaut mieux que tu ne sois pas candidat. Dans ces moments-là, la vie politique, c’est hard. Les partis politiques devraient engager des responsables en ressources humaines, ça aiderait.

Quel regard portez-vous sur la justice ?

Je me souviens de l’après-Julie et Melissa. A l’époque, on parlait d’humaniser la justice. Pour le vivre, je peux vous dire que l’humanité, c’est ce qui manque le plus à la justice. Rien que pour avoir au téléphone le juge d’instruction qui enquêtait sur moi, j’ai dû procéder à mille ruses. A un moment, vous êtes emporté dans une situation catastrophique, sans pouvoir réagir. Je suis resté comme une marionnette suspendue dans le vide. Cela m’a détruit, moralement et physiquement. Si je reviens aux affaires et que j’ai une minuscule parcelle de pouvoir, je veux changer ça. C’est inhumain de laisser des gens mariner pendant des années dans des procédures judiciaires, sans même qu’ils puissent demander : m’enfin, qu’est-ce qu’il se passe ?

L’actuel président du CDH, Benoît Lutgen, a eu des mots très durs lorsque vous avez quitté le parti, en 2004, pour rejoindre le MR.  » Tu as choisi de trahir « , s’intitulait la lettre qu’il vous a adressée. Vous n’avez jamais regretté votre choix ?

Sur le plan humain, si, j’ai des regrets. Entre Benoît Lutgen et moi, ça collait très bien. Je l’ai rencontré, quand il était ministre wallon. Lui au moins a accepté de me recevoir à propos de l’un ou l’autre dossier dinantais, alors que le MR est dans l’opposition et que je n’étais plus député. Mais le lien de sympathie énorme qui existait entre nous, il est rompu. J’en suis triste. Sur le fond, cela dit, le problème qui a poussé plusieurs élus à quitter le CDH, il reviendra sur le tapis.

Quel est ce problème ?

L’omniprésence du Parti socialiste. L’enjeu de 2014, ce n’est pas de savoir si le PS restera ou non au pouvoir en Wallonie. On connaît la réponse. La principale inconnue, c’est ce que donneront les jeux d’influence internes au PS, pour déterminer qui deviendra calife à la place du calife en Région wallonne. Accessoirement, il reste à départager le MR, le CDH et Ecolo. Moi, j’ai cru dans la stratégie de Gérard Deprez : imaginer une autre répartition des cartes en Wallonie, pour qu’une vraie alternance devienne possible.

Le Mouvement des citoyens pour le changement (MCC), fondé par Gérard Deprez, garde-t-il une raison d’être ?

Plus que jamais. Ce serait une erreur de diluer le MCC à l’intérieur du MR. Une grande partie de la population reste allergique au mot  » libéralisme « . C’est une attitude erronée, je pense, mais on doit bien en tenir compte. Et donc, il faut permettre aux citoyens de trouver sur les listes MR des candidats qui défendent le projet réformateur, le changement de la Wallonie, mais qui portent des valeurs un peu plus centristes.

Au CDH, vous défendiez le maintien d’une référence chrétienne dans le programme du parti. Votre foi vous guide-t-elle encore dans votre action politique ?

Dans mon enfance, j’ai fréquenté une école catholique. Je suis passé par tous les échelons du patro – benjamin, chevalier, conquérant. J’ai été directeur de la chorale. J’ai même servi la communion. J’ai baigné dans ce monde-là. Je vais encore à la messe de temps à autre. Au plus profond de moi-même, je crois que j’y crois. Mais voilà, j’ai changé de vie. J’ai quitté mon épouse. J’ai un ami. Ma réflexion a évolué. Je pense à présent que tout ce qui relève du religieux doit rester dans la sphère intime. Mais j’ajoute ceci : dans notre société multiculturelle, on n’est pas assez vigilant par rapport à une sorte de conquête exprimée par certaines religions, notamment l’islam. En tant que chrétien, ça m’inquiète. Je n’ai pas peur de dire que je compte exercer mon droit d’être chrétien au sein du MR. Ce qui ne veut pas dire que le MR doit devenir le mouvement réformateur des chrétiens.

Que pensez-vous des analyses selon lesquelles les homosexuels, en Europe, se rapprochent de plus en plus de la droite ?

En Belgique, il faut reconnaître que, sans la personnalité d’Elio Di Rupo, les choses n’auraient pas évolué comme elles ont évolué. Prenez les lois sur le mariage des homosexuels, sur l’adoption. Sans le dire, Di Rupo a joué un rôle déterminant pour amener ses parlementaires à voter les textes. Je lui en suis reconnaissant, même si d’autres, comme Jean-Pierre Grafé, ont aussi joué un rôle. Je crois que la gauche garde une longueur d’avance sur ces questions. L’une des missions du MCC, cela pourrait être d’ouvrir le MR à des combats progressistes. Mais attention ! Se dire progressiste, cela ne veut pas dire tout accepter. Moi, je refuse qu’on fasse n’importe quoi en matière d’embryons. Sur l’adoption par des couples gays, j’ai beaucoup d’hésitation. Je suis papa d’une fille de 20 ans, je peux en parler. Je sais comment vivent les couples gays. Personne n’ose le dire, mais c’est très difficile. Le concept du couple gay 100 % fidèle n’est pas encore tout à fait abouti.

Il y a quelques années, dans La Dernière Heure, vous disiez être l’objet de quolibets dans les rues de Dinant. Cela vous poursuit encore ?

Non. Mais dans la vie quotidienne, ce n’est pas toujours simple. Après mon acquittement, sur le plateau de RTL-TVI, Pascal Vrebos me pose cette question : n’y a-t-il pas eu un problème avec votre homosexualité ? J’ai eu envie de lui répondre : et avec votre femme, ça se passe bien ? J’étais invité pour parler de mon acquittement dans un dossier qui ne concernait ni DSK ni une affaire de m£urs, mais un marché public lié au casino de Dinant. Et on m’interroge sur mon homosexualité… Pourquoi ?

Vous voudriez que l’homosexualité devienne  » normale  » ?

Je suis le premier à reconnaître que, vu notre système physiologique, il faut un homme et une femme pour se reproduire. Depuis la nuit des temps, la normalité de l’être humain, c’est qu’un homme et une femme s’accouplent. En ce sens, ma façon de vivre n’est pas normale, cela ne me dérange pas qu’on le dise. Mais j’ai aussi envie que la société reconnaisse d’autres manières de vivre, sans stigmatiser les gens.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

 » Ma façon de vivre n’est pas normale, cela ne me dérange pas qu’on le dise « 

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