« J’connais tout ça… »

Séance d’éducation à la vie affective et sexuelle dans une classe de troisième secondaire. Ou l’immense chemin qu’il reste à parcourir…

Jean-Philippe Hogge retourne une chaise et la pose sur le bureau. « Qui veut venir dérouler un préservatif sur l’un des pieds? » demande-il à la quinzaine de jeunes filles installées face à lui. « On ne pourrait pas plutôt le faire pour de vrai? » ose l’une d’entre elles. « Non »: la réponse est calme mais ferme. C’est la troisième fois, déjà, que cet assistant social se rend dans la classe avec Véronique Fraccaro, une éducatrice qui travaille, comme lui, au planning familial des Marolles (Bruxelles). Au programme: une formation à la vie affective et sexuelle. Aujourd’hui, les gamines qui ont 14 ans et plus sont, en immense majorité, musulmanes, d’origine maghrébine.

Passé un premier jeu, les choses « sérieuses » commencent: « Vous vous mettez en petits groupes et vous tentez de répondre par écrit à ce questionnaire. » Ça commence par « Qu’est-ce que la puberté? » et ça se termine par « C’est quoi être une femme? », en passant par « Combien de temps vit un spermatozoïde? ou « Qu’est-ce que l’érection? ». Visiblement, en dépit de l’aide souriante, complice et jamais moralisatrice des animateurs, ces 13 questions donnent du fil à retordre aux jeunes filles, même si l’une affirme: « J’connais tout ça! » Un des groupes sèche presque complètement. Dans un autre, on écrit que la puberté commence, chez le garçon, « quand il tire son sperme ». La contraception, on connaît déjà (le sujet a été discuté lors de la deuxième séance): « Ça sert à éviter de tomber enceinte. » Mais il faut barrer le « cezarienne » ( sic) cité par une jeune fille parmi les méthodes de contraception. Une des élèves parle aussi de « compter les jours ». Interrogée plus précisément, elle affirme que deux semaines après les règles, « on est tranquille ». Ah, voilà de beaux bébés en perspective!

A la question de savoir si on peut avoir des relations sexuelles pendant la grossesse, un des groupes dit que non, tous les autres pensent qu’au début, oui, mais plus après cinq ou six mois. A l’interrogation: « Qu’est-ce que l’érection? », on répond « la bande » mais, aussi, « c’est comme l’éjaculation ». Jean-Philippe, vigilant, rectifie: « Non, c’est avant. » Pour certaines, enfin, la définition d’une femme, c’est « de rester à la cuisine et de faire le ménage. A l’inverse, être un homme, ce serait de… « ne jamais faire le ménage ». Et puis, « les femmes, elles, ne sont pas des obsédées », assure une blonde de 17 ans.

« Autour d’elles, les garçons n’ont souvent pour référence sexuelle que le porno et, parfois, la prostitution, souligne l’éducatrice. Ils envoient aux jeunes filles l’image d’une sexualité violente, agressive, ne serait-ce qu’au niveau du langage. En fait, très clairement, les jeunes sont sous-informés. Ils ne savent pas grand-chose, sinon rien, de la sexualité. Ce constat est valable également au niveau de leur propre corps. »

La deuxième partie de la séance sert à tenter de répondre, oralement, au questionnaire. C’est, surtout, l’occasion de revenir sur les moyens de contraception. « Ne croyez pas votre copain s’il vous dit qu’un préservatif, c’est trop petit pour lui et qu’il ne peut donc pas en employer », répètent Laurence et Jean-Philippe. Pour le prouver, ce dernier gonfle une capote, l’enfile sur sa tête jusqu’au nez, puis souffle, jusqu’à la faire exploser. Entre joie et peur, les filles hurlent: une détente bienvenue après ces minutes à parler de l’intime. A poser des questions candides, des questions précises : « Une femme, ce n’est pas propre qu’elle se masturbe? » ou « Quand on se doigte, on peut se dévirginiser? » En moins de deux heures, outre la contraception, on aura parlé du clitoris, de l’hymen, de l’acné, de l’entente avec les parents… Un peu à l’écart, deux jeunes filles n’ont cependant pas participé au débat. Comme tétanisées à certains moments, ou complètement absentes à d’autres.

« Récemment, dans un autre établissement, à la fin d’une animation, deux jeunes filles sont venues nous confier qu’elles avaient été violées. L’une par son beau-père, l’autre par son frère », racontent les animateurs. Après les 5 formations prévues dans cette classe, la dernière séance se déroulera au planning. « Certaines y reviennent ensuite d’elles-mêmes. » Pour un test de grossesse, des conseils, des confidences, une demande de reconstruction de l’hymen et bien d’autres questions encore. Jean-Philippe et Laurence sont des passeurs de paroles. Mais il y a tant de mots qui n’ont pas été dits avant eux, et tant d’autres qu’ils n’auront pas le temps de prononcer ici…

P.G.

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