Itinéraire secondaire d’une enfant gâtée

Sophie Le Clercq travaille dans l’immobilier depuis 1995. Elle a mis du temps pour faire mentir le proverbe du cordonnier mal chaussé. Sa seconde paire de chaussures a de quoi faire rêver tout Belge qui a l’envie d’une seconde brique dans le ventre. De quoi le faire réfléchir aussi. Un itinéraire à méditer pour limiter les écueils.

« Depuis toujours, j’aime les maisons de famille… ailleurs. J’aime faire revivre une habitation endormie depuis des mois, ouvrir les volets, enlever les housses des fauteuils. M’installer pour un long moment hors du temps et de la lumière habituels. Mais repartir, refermer tout, pour mieux revenir…  » Elle ose à peine l’avouer de peur de  » faire un peu tarte « , mais Sophie Le Clercq garde ancrée dans sa chair l’image et les mots de Maureen O’Hara dans Autant en emporte le vent, quand l’héroïne revient dans sa propriété longtemps abandonnée et s’écrie, une poignée de terre en main :  » C’est ma terre ! « 

Sa terre, elle l’a finalement trouvée un peu par hasard au c£ur du Lubéron sauvage, non loin des gorges d’Oppedette, sur la commune de Viens.  » La propriété était exploitée par un berger et les moutons avaient tout mangé. Il ne restait quasi aucune plantation digne de ce nom. Mais la vieille bâtisse du xviiie siècle était bien dimensionnée et la vue était soufflante… « 

C’était en octobre 2000, il y a juste dix ans.  » Depuis quelque temps, l’envie montait en nous de trouver un lieu où nous nous sentirions bien et où reprendre racine pour nos vieux jours. Sophie et son nouveau mari, le peintre Yves Zurstrassen, pensaient aussi à trouver un nouvel endroit de vie pour leur famille recomposée, riche alors de 7 enfants.  » Pour nous et pour eux, insiste Sophie. Qu’ils aient tous un toit en commun qui n’ait été ni celui des uns ni des autres avant. « 

La trouvaille : les Davids

Il y eut d’abord le parcours du combattant : rêver sur Internet ou dans Propriétés et demeures de France en espérant un jour trouver la perle à prix abordable. Et désespérer de la trouver.  » En 2000, on a pris un week-end en amoureux, en Provence. On a pris contact sur place avec un agent immobilier qui nous a d’abord proposé un truc foireux : renseignements pris, la propriété à vendre était traversée par des sentiers de grande randonnée et des servitudes. Et Yves a tout de suite vu que l’endroit, très boisé, était trop dangereux en cas d’incendies forestiers. Vu le refus, l’agent s’est un peu fermé. Puis il nous a dit, un moment, avoir un truc à vendre, depuis longtemps. Et à un très bon prix, vu l’état du bien et la complexité des vendeurs. Et on a risqué le coup, directement, sans trop y croire. « 

Le paysan, André Roux, reçoit les amoureux au domaine des Davids. Au bout de quelques minutes, le vin de noix aidant, la sentence, digne de Pagnol, fuse :  » J’en ai vu des tronches, mais vous ça va, je veux bien vendre !  » Le compromis est rapidement signé. L’acte le sera un an plus tard.

Entre-temps, Sophie se renseigne, découvre que, dans cette région, presque rien de nouveau n’a été bâti depuis la Révolution française. Pour preuve : les cartes de l’IGNF et des frères Cassini (Louis XVI).  » Les Davids sont déjà dessus !  » Pour rassurer encore les futurs occupants sur l’avenir préservé des lieux, la bâtisse se trouve dans le périmètre, immense, du parc naturel régional du Lubéron.

Seul hic : la Safer locale, société parastatale spécialisée dans l’achat, la vente, la gestion et la location de propriétés rurales, dispose d’un droit de préemption sur toute exploitation agricole à vendre, pour promouvoir et garantir le maintien des fermes. Et elle brandit ce droit. Pour contourner la préemption, Sophie doit garantir qu’elle poursuivra une activité agricole dans les lieux. Elle y va au culot et demande que la Safer lui octroie le statut d’agricultrice. Et ça marche.  » J’ai évidemment dû me faire aider et apprendre sur le tas. « 

Premier chantier urgent, planifié par l’agricultrice en herbe : tout replanter pour redonner relief et vie aux dizaines d’hectares de landes et de prairies du domaine des Davids.  » Nous avons invité à quelques reprises un ami belge, Jean-Noël Capart, jardinier-paysagiste, à venir redessiner l’ensemble. Il donnait ses idées à haute voix, en arpentant les lieux. Et pour gagner du temps et ne pas attendre ses croquis des années, je prenais des notes au vol. Je les ai fait appliquer à la lettre, sans attendre. Et aujourd’hui, à peine huit ans après les premières plantations, les fruitiers produisent des tonnes de pêches et de pommes ; on vend le jus de nos raisins et de nos cerises, et bientôt le vin de nos vignes. Et on espère avoir nos premières truffes sous les chênes truffiers dès l’an prochain. « 

Sophie avoue néanmoins avoir commis d’emblée une première erreur, qu’elle conseille d’éviter à tout propriétaire en herbe :  » J’aurais dû faire des prélèvements de terre et les faire analyser avant de replanter en long et en large. On y est allé au feeling, en écoutant un peu trop les gens du coin, à droite et à gauche. Ce n’était pas assez scientifique. « 

Autre conseil de la maîtresse de maison : vivre dans ses nouveaux murs avant d’y projeter des transformations.  » C’est une des règles que je m’impose dans chaque lieu de vie : nous ne rénovons jamais qu’après avoir vécu l’espace en famille. Et puis, nous entreprenons les chantiers par tranches successives, progressives. Jamais tout d’un coup. « 

Pour les travaux, Sophie et Yves font appel à des corps de métier originaires des Alpes-de-Haute-Provence.  » Ceux du département 04 voisin, bien moins chers que ceux originaires du 84, le Vaucluse, tous hors de prix vu la clientèle habituelle beaucoup plus riche… « 

Aujourd’hui, la propriété est méconnaissable. Sophie et Yves la rejoignent le plus régulièrement possible, en TGV direct Bruxelles-Avignon. Yves y a installé son atelier de peinture dans une des dépendances. Tous les étés, désormais, la famille s’isole dans son nouveau nid deux mois durant. Mais la saison qu’y préfère Sophie est l’hiver  » pour la lumière unique et l’ambiance vraiment festive qui règne alors dans les hameaux… « .

Boulimique de nature, quand Sophie aime, elle aime. Et comme elle aimait le lieu, elle y a rapidement jeté son dévolu sur un petit hameau de trois feux non loin de là, baptisé Cournille.  » Cournille, c’est mon mari, lâche-t-elle. On a pensé à trouver un lieu où nos enfants pourraient habiter quand ils fonderaient eux-mêmes une famille. Là, on s’est un peu fait avoir par le vendeur, un Parigot ex-fumeur de moquette, qui parlait bien. Il recevait dans son petit domaine, qu’il exploitait déjà sous forme de chambres d’hôtes, et ne louait qu’à des lecteurs du Nouvel Obs… C’était bien arrangé… On a acheté trop cher : quand on a gratté la déco, ça tombait en lambeaux derrière. « 

Location à la semaine

Commence alors le chantier, petit à petit. D’abord la maison du berger et la maison rose. Puis la grande maison, les piscines et, enfin, la grange. Aujourd’hui, tout le hameau est exploité sous forme de locations à la semaine (voir www.hameaudecournille.fr et photos). La grange accueille banquets et réceptions, entreprises au vert et mariages. L’an prochain, après quelques années seulement d’exploitation, Sophie rentrera déjà dans ses frais. Le chantier de rénovation lourde – décoration d’Amélie de Borchgrave y compris – n’a finalement coûté qu’un peu plus de 1 000 euros le mètre carré : un exploit quand on voit de près la qualité du travail.

 » Ma fille Clémence vient de me demander si elle pourrait s’occuper de la gestion des lieux quand elle aura fini ses études. Elle pense sérieusement à s’inscrire à l’Ichec pour s’y préparer. Je trouve ça chouette comme premier pas d’un futur enracinement de la deuxième génération.  » l

philippe coulée

 » nous ne rénovons jamais qu’après avoir vécu dans le lieu en famille « 

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