Issol : bras de fer symbolique

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’entreprise disonaise Issol a été paralysée par un piquet de grève. Depuis, la direction a décidé d’arrêter la croissance de la firme. La FGTB Métal, elle, considère qu’elle a fait la leçon au patronat. Match nul ?

Je ne connaissais pas le milieu syndical. C’est un risque que je n’ai pas vu venir.  » Eloquent aveu d’un patron, Laurent Quittre, bousculé par un rude conflit social. Retour sur les faits.

Il y a environ 18 mois, une délégation syndicale, composée de deux personnes, est mise en place au sein de cette entreprise spécialisée dans la production de panneaux photovoltaïques. Quelque 65 personnes y travaillent. Le personnel ouvrier, plutôt jeune, s’affilie massivement à la FGTB.  » L’arrivée du syndicat dans la maison a débouché sur des corrections pertinentes « , explique Laurent Quittre. En décembre 2011, Stéphane Breda, secrétaire de la régionale FGTB Métal de Verviers, le félicite d’ailleurs pour la façon dont le dialogue social se déroule.

Stéphane Breda et Laurent Quittre se connaissent depuis l’enfance. Le premier a renoncé à une carrière d’arbitre international de football pour se consacrer à ses fonctions syndicales. Le second a entamé son parcours professionnel dans la finance avant de créer Issol, en 2006. Il en est actionnaire à hauteur de 70 %. Jusqu’il y a peu, les deux hommes se retrouvaient environ tous les trois mois pour partager un bon repas et quelques analyses.

A la mi-février, Alexandre, 27 ans, l’un des deux délégués syndicaux de la maison, se plaint de harcèlement de la part d’une collègue. Aussitôt, Stéphane Breda appelle Laurent Quittre  » pour tenter de résoudre le problème. Mais le directeur m’a raccroché au nez et m’a insulté « .

Laurent Quittre reconnaît s’être emporté,  » après avoir été menacé d’un dépôt de plainte pour harcèlement « . Faux, répond l’intéressé :  » J’ai simplement dit que, faute d’une solution en interne, on pourrait en arriver là.  » Stéphane Breda a d’ailleurs fait appel au conciliateur social pour éviter cela.  » Je n’ai aucune raison de vouloir faire du tort à cette entreprise. « 

Les tribunaux s’en mêlent

Ensuite, les travailleurs se réunissent pour évoquer ce problème entre eux, sans la direction et sans Stéphane Breda. Première version des faits : Alexandre fait marche arrière sur les faits de harcèlement, assurant qu’il veut juste  » embêter la direction « . Plusieurs ouvriers et employés rapporteront par écrit ces propos. Seconde version : Alexandre redit qu’une plainte pourrait être déposée mais souhaite avant tout trouver une solution.

Convoqué par la direction, le délégué syndical confirme, par écrit, le harcèlement.  » Sur la base de ce document et des témoignages des autres membres du personnel, notre avocat nous a assuré que ce salarié pouvait être licencié pour faute grave, en raison de la rupture de confiance « , raconte Laurent Quittre.

La direction opte alors pour une procédure devant le tribunal du travail, auquel elle demande si la faute grave est avérée. Le délégué est licencié.  » Même si le tribunal ne reconnaissait pas la faute grave, il n’était plus question pour la direction qu’Alexandre réintègre l’entreprise. Alors à quoi bon faire appel au tribunal ?  » s’interroge Stéphane Breda.

Le matin du mercredi 22 février, un piquet de grève prend place devant l’entreprise, composé, pour l’essentiel, de gens extérieurs à Issol. Par SMS, la direction invite aussitôt le personnel à rester chez lui.

Le jeudi 23, la direction de Issol organise une conférence de presse dans un hôtel de Verviers. Non, le personnel n’est pas en grève, il est empêché de travailler, martèle- t-elle. Il est d’ailleurs payé. Oui, une procédure a été introduite devant le tribunal des référés pour obtenir la levée du piquet. Une partie du personnel, avertie par la direction, est présente. Ce qui n’est pas commun. La FGTB Métal doute, elle, de la spontanéité de cette démarche.

La fédération patronale Agoria et le cabinet wallon de l’Economie conseillent alors à la direction de négocier. Le jeudi 23, Laurent Quittre rencontre donc Francis Gomez, le président des métallos liégeois de la FGTB, à Liège. Leur discussion commence à 18 heures et se termine vers 1 heure du matin.

 » Francis Gomez est un homme très sympathique, assure Laurent Quittre. C’est son métier de négocier. Moi pas. Tout en me souriant, il me lance : « Le piquet peut rester là deux mois sans problème. Vous, vous risquez beaucoup. Discutons, donc. »  » Ce que veut obtenir le patron des métallos liégeois, c’est la réintégration du délégué dans l’entreprise. Il ne retient pas, à ce moment-là, la proposition de son interlocuteur qui consiste à réintégrer Alexandre dans le centre de formation Technifutur.  » On ne peut pas licencier un délégué et s’en tirer comme ça ! commente Stéphane Breda. Nous sommes en période de préélections sociales et on n’a jamais vu autant de délégués ou de candidats délégués se faire licencier. « 

Lors de cette rencontre à Liège, Francis Gomez demande à Laurent Quittre combien Issol est prête à payer pour que le délégué quitte l’entreprise. Le directeur appelle ses associés, qui refusent de payer quoi que ce soit, arguant que le licenciement intervient pour faute grave. Les deux hommes se séparent sans solution.

Menace d’extension du conflit

La FGTB fait alors savoir qu’elle pourrait bloquer d’autres firmes  » pour dénoncer l’attitude des employeurs vis-à-vis des délégués syndicaux. Ce conflit avait une dimension plus importante que le cas strict de ce délégué, estime Stéphane Breda. Pour nous, c’était un combat de principe « .

Le vendredi 24, le tribunal autorise la levée du piquet, une requête cautionnée par une majorité d’ouvriers.  » On peut penser que j’ai fait pression sur eux, concède Laurent Quittre. Cela n’a pas été le cas.  » La FGTB est persuadée du contraire.

Lorsque la police escorte le personnel jusqu’au bâtiment de Issol, une bousculade se produit et des insultes sont lancées. Des plaintes seront d’ailleurs déposées par certains membres du personnel. Les serrures de l’entreprise ayant été forcées et la cabine de haute tension mise hors d’état de fonctionner, les travailleurs rebroussent chemin. Pendant ce temps, un huissier signifie l’astreinte à quelques membres du piquet. Durant le week-end, les salariés font imprimer des tee-shirts sur lesquels on peut lire  » Otage de la FGTB « . L’un d’entre eux ouvre une page Facebook réclamant le droit de travailler.

Le lundi 27, le personnel d’Issol manifeste devant la FGTB de Verviers, se désolidarisant de la sorte de son propre syndicat. La discussion tourne court.  » Le personnel n’a pas voulu nous écouter, analyse Stéphane Breda. Je remarque que, parmi les salariés présents, on recensait plutôt des employés [NDLR : non affiliés à la FGTB Métal], et une dizaine d’ouvriers seulement, sur 40 affiliés. On ne peut donc pas dire que tout le monde nous a lâchés. « 

L’art de l’échange

Une nouvelle rencontre entre Laurent Quittre, Stéphane Breda puis Francis Gomez est organisée à Liège le mardi 28 février. Les deux représentants de la FGTB, souriants, sont d’accord pour réintégrer Alexandre chez Technifutur.  » Mais que donnez-vous ?  » demande Francis Gomez. Laurent Quittre est prêt à retirer la procédure lancée devant le tribunal du travail et propose de ne pas licencier le travailleur pour faute grave.

Vers 21 heures, après 6 heures de discussion, aucun accord ne semble possible. Tandis que Laurent Quittre s’apprête à partir, Francis Gomez lui lance un chiffre. C’est la somme qu’il exige pour mettre fin à l’occupation devant l’usine.  » Moi, je ne veux plus discuter, raconte le directeur. Alors Gomez me crie « Lâche un chiffre ! » A bout, c’est ce que je fais.  »  » Tu mets autant en plus et on arrête le piquet demain « , lui répond-on.

Contre l’avis de ses associés, le patron de Issol cède.  » Les deux syndicalistes me prennent dans leurs bras, poursuit-il. Un moment plein d’émotion, sincère. Moi, j’ai l’impression d’avoir discuté avec des gens de l’ETA. Ou des talibans. Francis Gomez me dit : « On se reverra » sur le ton de « Toi, je t’aime bien ». Parce que j’ai tenu six jours. En général, les patrons, dans les PME, paient plus tôt. On signe un accord écrit. La FGTB paiera pour les palettes brûlées, les dégâts aux voitures, le nettoyage du bâtiment. « 

La négociation s’est-elle dé- roulée de la sorte ?  » Je ne vais pas vous raconter par le menu notre discussion, élude Stéphane Breda. Nous avons obtenu le reclassement de notre délégué et un préavis conséquent, qui fait l’objet de clauses de confidentialité. « 

Depuis, l’eau a coulé sous les ponts.  » Il y a des choses positives à retirer de tout cela, assure Laurent Quittre. Les liens avec le personnel, ici, sont beaucoup plus forts. L’affaire tourne bien. Aux gens d’Agoria, qui m’ont beaucoup soutenu, au cabinet Marcourt, je dis chapeau. Ils bossent jour et nuit. Mais en incitant à négocier sur quelque chose qui, a priori, ne devrait pas l’être, ils entretiennent un système qui se place au-dessus des lois. Nous avons décidé, depuis lors, de ne pas doubler notre capacité de production, comme nous le projetions. Nous consoliderons juste notre croissance, et nous spécialiserons dans des secteurs de niche. « 

De son côté, Stéphane Breda considère que  » tous les employeurs sont à présent informés qu’on ne peut pas procéder comme ça. Je ne vois pas d’erreur de gestion de notre part dans cette crise « . Depuis la fin de ce conflit, 12 ouvriers se sont désaffiliés de la FGTB, au profit de la CSC.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

 » Pour nous, c’était un combat de principe  » Stéphane Breda, FGTB Métal Verviers

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