Israël veut-il la paix?

Quels sont les buts du gouvernement israélien? A-t-il une stratégie, et si oui, laquelle? Ce sont les questions que se posent les observateurs, confrontés au seul constat qui rallie l’unanimité tant il s’impose avec évidence: le cabinet d’Ariel Sharon a manqué la seule promesse qu’il avait faite à la population, à savoir restaurer la sécurité. Si certains hésitaient encore à diagnostiquer cet échec, les épouvantables carnages du week-end dernier, qui ont coûté la vie à une trentaine de civils israéliens et en ont gravement blessé des dizaine d’autres, auront balayé les dernières incertitudes. Jamais sans doute la vie n’a été si dangereuse en Israël. Jamais, surtout, ce pays n’a été aussi éloigné de la moindre perspective de pacification, de la plus ténue promesse d’espoir et de sérénité.

Car rien de lumineux ne pointe à l’horizon. Les représailles lancées par Israël en réponse aux derniers attentats produiront, on le sait, les mêmes effets que les précédentes: des contre-représailles vengeresses, menées sous la forme de nouveaux attentats suicides commis par des kamikazes issus des familles palestiniennes endeuillées. En un mot comme en cent, rien ni personne ne semble en mesure d’enrayer l’engrenage des violences qui, depuis la fin septembre 2 000, entraîne la région dans une spirale de plus en plus sanglante.

Devant un tel constat d’impuissance partagée, on pourrait se contenter de renvoyer les adversaires dos à dos. En les rendant responsables, au même degré, du désastre qu’ils s’infligent mutuellement. Mais ce serait à la fois trop facile et trop superficiel, sans ouvrir pour autant la moindre perspective.

La logique des Palestiniens est relativement facile à comprendre, parce qu’ils ont le sentiment de n’avoir plus rien à perdre. La lutte politique et militaire, le terrorisme, la diplomatie mondiale, la négociation avec Israël: en plus de cinquante ans, ils ont tout essayé pour recouvrer ne fût-ce qu’une partie des droits et des terres dont les a privés la création d’Israël, en 1948. Mais rien n’y a fait. Et l’échec du processus de paix, naufragé l’an dernier après sept ans de négociations, a provoqué un soulèvement que les plus radicaux d’entre eux s’efforcent, aujourd’hui, de transformer en une guerre de décolonisation « classique ». « Classique », c’est-à-dire avec les souffrances indicibles que les conflits de ce type engendrent, pour la puissance occupante comme pour ceux qui tentent de se libérer de son joug. L’Autorité palestinienne reste cependant prête à reprendre des négociations, à tout moment.

La logique d’Israël paraît plus difficile à comprendre, du moins si l’on part du postulat que ses gouvernants souhaitent la paix. Depuis des mois, Jérusalem exige « sept jours de calme absolu » pour reprendre le dialogue avec les Palestiniens, mettant cette condition à la merci du premier individu qui tirera un coup de feu. En Israël même, nombreux sont ceux qui considèrent cette exigence comme irréaliste et de mauvaise foi. Jérusalem demande à Yasser Arafat d’arrêter les terroristes et de démanteler leurs réseaux. Mais son armée s’acharne à détruire l’ossature même de l’Autorité palestinienne, la rendant incapable d’exercer ses prérogatives. Après la destruction de ses moyens de transport, Arafat est aujourd’hui prisonnier dans la ville cisjordanienne de Ramallah, encerclé par les chars israéliens et empêché de « gouverner » quoi que ce soit. Jérusalem impute à l’Autorité palestinienne les responsabilités d’un Etat souverain, alors que sa « juridiction » se limite à des enclaves isolées, sans continuité géographique et soumises, la plupart du temps, au blocus de l’armée israélienne. Jérusalem condamne à juste titre la terreur semée par les « bombes humaines » qui ont déjà tué quelque 200 Israéliens, mais lui oppose une terreur d’Etat qui a, en quatorze mois d’Intifada, fauché quatre fois plus de vies palestiniennes. Bombardements d’édifices publics, tirs de roquettes par hélicoptère, destruction de centaines de maisons au bulldozer, assassinats « ciblés », incursions et encerclement par chars, destructions de cultures, de canalisations et de lignes électriques, entraves à la circulation, humiliations de chaque instant: du chasseur-bombardier à l’intimidation quotidienne, rien ne manque à la panoplie de cette terreur d’Etat.

De tels comportements, par le désespoir et la haine qu’ils suscitent immanquablement dans la société palestinienne, font germer le doute sur la volonté sincère qu’Israël aurait, un jour, de coexister paisiblement avec ses plus proches voisins.

Au contraire, l’acharnement mis à diaboliser Arafat, l’insistance à assimiler la situation d’Israël à celle des Etats-Unis en lutte contre Ben Laden et les taliban, l’absence même de toute évocation d’une possible issue négociée alors que le sang coule en Israël, le refus des offres de médiation extérieure, notamment européennes: tous ces éléments font craindre que le gouvernement Sharon soit désormais résolu au scénario du pire. Car l’éviction définitive de l’Autorité palestinienne et d’Arafat laisserait Israël sans interlocuteurs véritables. La Cisjordanie et la bande de Gaza se fractionneraient probablement en principautés et chefferies médiévales, dont seuls émergeraient des mouvements comme le Hamas et le Djihad islamique qui, eux, et contrairement à l’OLP, veulent la destruction d’Israël. Sauf à réoccuper -mais à quel prix!- la totalité de la Cisjordanie et de Gaza, Israël se trouverait alors confronté pour de bon à la situation dont il brandit aujourd’hui l’épouvantail: celle d’une forteresse assiégée de partout. Ce grand pays, ce grand peuple méritent mieux. Il n’est pas encore trop tard pour y réfléchir.

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