Internet peut-il tuer la presse ?

Internet est-il pour la presse écrite une planche de salut, un relais de croissance, ou rien de tout cela ?

E Nous assistons depuis quinze ans, date de l’apparition du premier navigateur sur le Web (alors Netscape), à la constitution d’un univers en constante expansion, qui attire désormais près de 1,3 milliard de personnes sur la planète. Rappelons que 6 des 10 principaux sites mondiaux n’existaient pas encore voilà trois ans. Ce big bang a pour la presse écrite deux conséquences importantes. D’abord, la fragmentation des usages, avec l’utilisation par le consommateur d’écrans multiples et nomades. Le deuxième impact, c’est la polarisation. Quand il y a dix ans un même individu pouvait lire jusqu’à quatre hebdomadaires par semaine, il n’en lit plus aujourd’hui qu’un seul.Comment se comportent les lecteurs ?

E Ils sont de plus en plus infidèles et de moins en moins nombreux en raison, là encore, de la généralisation de cette pratique de butinage. Si bien qu’à présent ce sont les modèles industriels, fondés avant tout sur une augmentation permanente des ventes et sur une régularité de consommation, qui sont les plus menacés. Dans cet univers, il n’est pas surprenant de constater que la presse quotidienne est la branche la plus touchée, en particulier la presse nationale, en France comme dans le monde occidental.

D’autant qu’une troisième crise, bien plus profonde encore, semble se profiler à l’horizon…

E C’est la crise de l’information. Si le journalisme d’opinion et de commentaire connaît une vraie explosion, liée à Internet et à la blogosphère, ce qui faisait jusqu’ici le socle de ce métier, c’est-à-dire la collecte de l’information sur le terrain, connaît une crise inquiétante. Qu’on le veuille ou non, depuis le début du xxe siècle, la recherche d’infos a toujours été structurée autour des grands quotidiens, clés de voûte du système. Il y a trois ans, le New York Times disposait d’une équipe de 60 personnes à Bagdad ; aujourd’hui, ils ne sont plus que 20. Peu à peu, radios, télévisions et journaux réduisent la voilure, rapatrient leurs correspondants, ferment leurs bureaux à l’étranger. Demain, qu’en sera-t-il de la collecte de l’information et de son financement ?

N’est-ce pas la question fondamentale ?

E Il en va tout bonnement de la démocratie. Une étude récente a démontré que, malgré l’explosion planétaire du Web, le nombre de pays couverts par Internet restait beaucoup plus faible que celui couvert par la presse dite traditionnelle. Celle-ci demeure le premier vecteur d’information du globe. Et cela pour une raison très simple : informer sur le Zimbabwe, l’Irak ou le Soudan suppose des moyens et des compétences. Si bien que le grand défi auquel est confrontée la presse écrite, par rapport à la révolution numérique, est de faire en sorte que ne se développent pas des zones d’ombre informationnelles, un immense triangle des Bermudes, un no man’s land de populations et de cultures oubliées par l’univers numérique. Et ce qui est inquiétant, c’est qu’au sein des grands journaux comme des agences de presse, personne, pour l’heure, n’a de réponse à cette question.

Même Internet ?

E Naturellement. On voit mal comment un site Internet payant de qualité peut arriver à financer 60 personnes à Bagdad. Quant à l’Internet gratuit, son rapport à la publicité lui interdit tout investissement : rappelons qu’un lecteur papier rapporte aujourd’hui 9 dollars, quand, devenu internaute, il ne pèse plus qu’un petit dollar.

Les industriels de la presse écrite ont tendance à penser qu’un lecteur traditionnel et qu’un internaute naviguant sur un site de presse écrite, c’est la même chose.

E C’est faux. La réalité statistique montre que ce ne sont pas les mêmes personnes qui lisent Le Monde et Lemonde.fr, Le Figaro et Lefigaro.fr. Seuls 15 % des gens utilisent les deux supports. Et, pour avoir interrogé les dirigeants d’El Pais et du New York Times, le constat est identique en Espagne et aux Etats-Unis. Cela signifie que les journaux doivent redoubler d’exigence à l’égard de ce qui fait leur ADN, et innover pour conquérir sur la Toile d’autres lecteurs. l

Propos recueillis par Renaud Revel

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